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N° 53 : Mai-Juin 2024
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La Lettre d’information en bref :
- Focus réglementaire sur l’entrée en vigueur le 3 juin 2024 du système douanier ICS 2 applicable aux transporteurs par voie maritime et par voies navigables intérieures.
- Droit des transports :
- La Cour de Versailles a rappelé que la qualification conventionnelle en contrat de transport ou en contrat de manutention devait être déterminée en considération de la prestation principale.
- La Cour de Paris a jugé que constitue une faute inexcusable le défaut de sécurisation d’un site d’entreposage du voiturier où un premier vol avait été commis une semaine plus tôt.
- La Cour de Poitiers a jugé que l’argument selon lequel le coût du transport aurait été mis à la charge du destinataire en vertu d’une prétendue vente ExWorks ne saurait permettre au vendeur d’échapper au jeu de l’action directe de la loi Gayssot.
- Droit de la propriété intellectuelle : l’institut national de la propriété intellectuelle a annulé une marque en faisant prévaloir les éléments figuratifs des marques litigieuses sur leurs éléments « verbaux » (les noms des marques).
- En matière douanière :
- Dans un arrêt de principe, la chambre mixte de la Cour de cassation a consacré le droit de l’administration de procéder à des auditions sur le fondement de l’article 334 du Code des douanes et rappelé les règles en matière de « prise en compte de la dette douanière ».
- Deux décisions ont statué sur les procédures douanières de recouvrement, l’une de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) concernant l’exécution provisoire d’un jugement de première instance favorable au demandeur, l’autre sur les pouvoirs du juge de l’exécution pour constater l’acquisition d’une prescription.
- En matière d’accises sur les alcools, la CJUE a fixé sa jurisprudence sur la notion de « cas fortuit » et la Cour de cassation la sienne sur les exigences de tenue des comptabilité-matières des entrepositaires agréés.
- Concernant la fiscalité de l’énergie et de l’environnement, la CJUE a défini dans deux arrêts les « procédés minéralogiques » (non taxés) et les possibilités de cumul entre les taux réduits et les cas de non-taxation ; la Cour de cassation a précisé pour sa part les modalités d’application de l’exonération de la taxe sur le charbon en cas de valorisation de la biomasse.
- En matière de taxe générale sur les activités polluantes, la Cour de cassation a déterminé l’assiette de la taxation de déchets dangereux qui avaient fait l’objet d’un « prétraitement ».
- La Cour de cassation a rappelé que les contestations des délibérations du conseil départemental d’un DOM fixant le taux ou les exonérations d’octroi de mer relèvent du juge judiciaire ; dans une autre affaire, la Cour a défini ce qu’était une « production » ultramarine taxable.
- Concernant les règles de bases du dédouanement, la CJUE a rendu une décision sur le classement tarifaire de constructions préfabriquées et la Cour de cassation a examiné comment l’administration peut appliquer la méthode d’évaluation en douane dite « de dernier recours ».
- Le 14 mai 2024, Nicolas Godefroy a animé un atelier auprès de l’ADC (Association Design Conseil) pour rappeler les règles de bases concernant les droits d’auteurs (Originalité), les droits de marques (Distinctivité et Disponibilité) et l’usage de l’intelligence artificielle et des caractères typographiques dans la création d’éléments de branding et de communication. Cet atelier avait tout d’abord pour objet l’utilisation d’Internet pour procéder à des pré-vérifications que les agences de design peuvent effectuer afin de vérifier, au regard des possibles marques, créations ou exploitations antérieures, la disponibilité des projets pour relever les meilleurs candidats et éliminer ceux qui présentent des risques premiers. Ces pré-vérifications doivent ensuite être complétées par des recherches juridiques approfondies, mais elles permettent aux agences de ne pas s’engouffrer dans des impasses.
De plus, cet atelier a permis d’effectuer des premières vérifications juridiques sur les licences de droits notamment octroyées en matière de typographie, qui sont souvent obscures.
- Le 22 mai 2024, Nicolas Godefroy a animé dans le cadre du congrès mondial de l’INTA (International Trademark Association) qui s’est déroulé cette année à Atlanta (Etats-Unis) un « Table Topic – Luxury Trade Dress – Ease and Benefits » (Table ronde – Marques 3D de luxe- Enregistrement et bénéfices). L’objet de cette présentation et de ces échanges avec des confrères de nombreux pays partait du fait que certains produits de luxe français, notamment le mobilier, la joaillerie et la maroquinerie, ne sont pas protégés par des droits d’auteur dans de nombreux pays et font l’objet de contrefaçon de masse. Déposer l’objet sous forme de marque en 3 dimensions est souvent un parcours du combattant, la pratique étant très différente d’un office de marques à l’autre. Dans les pays où cette protection est facilement accordée, elle peut être ultérieurement remise en cause par des tiers notamment sur le fondement de la distinctivité.
Néanmoins, une fois acquis, ce droit, a minima, a un effet dissuasif pour lutter contre la contrefaçon. En outre, un droit de marque, à la différence d’un droit de dessins et modèles ou d’un droit d’auteur, peut durer jusqu’à la fin des temps.
Dans un arrêt du 19 juin 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation a accueilli la position défendue par Vincent Courcelle-Labrousse sur la compétence du Tribunal judiciaire en matière de contestation des délibérations des conseils départementaux dans le contentieux douanier de l’octroi de mer. La Cour d’appel de Saint-Denis-de-la-Réunion avait retenu la compétence du juge administratif.
La Cour de cassation a consacré le principe en matière d’octroi de mer qu’il résulte de l’article 357 bis du Code des douanes et de l’article 42 de la loi n°2004-639 du 2 juillet 2004 « qu’il appartient aux tribunaux judiciaires, lorsqu’ils sont saisis d’une contestation concernant le paiement de l’octroi de mer fondée sur une prétendue illégalité des délibérations en fixant le taux, ou en accordant une exonération, de se prononcer sur leur légalité. » (22-21.925).
Le système informatique dénommé ICS2 constitue un système créé pour collecter des données sur toutes les marchandises pénétrant sur le sol européen, avant leur arrivée. Les données relatives à la sûreté et à la sécurité doivent être déclarées dans ce système ICS2 par le biais de la déclaration sommaire d’entrée (DSE, ENS en anglais).
La version 1 du système ICS2, en service depuis le 15 mars 2021, concerne les opérateurs postaux et les transporteurs express dans le transport aérien.
La version 2 concerne toutes les marchandises transportées par voie aérienne et est en service depuis le 1er mars 2023 (par suite d’une dérogation la version 2 est en service en France depuis le 1er juillet 2023).
La version 3 concerne toutes les marchandises transportées par voie maritime et par voies navigables intérieures ainsi que par voie routière et ferroviaire (y compris les marchandises contenues dans les envois postaux transportés dans ces moyens de transport).
La mise en œuvre de la version 3 du système ICS 2 se fera en 3 étapes :
– les transporteurs par voie maritime et par voies navigables intérieures depuis le 3 juin 2024,
– les opérateurs niveau «fille» (les déclarants internes) intervenant dans le transport par voie maritime et par voies navigables intérieures à partir du 4 décembre 2024,
– les transporteurs par voie routière et ferroviaire à partir du 1er avril 2025.
Selon l’alinéa 5 du préambule de la décision d’exécution (UE) 2023/2879, le système ICS 2 pourra être déployé au cours d’une « fenêtre de déploiement ».
La fenêtre de déploiement pour les transporteurs par voie maritime ira du 3 juin au 4 décembre 2024, celle pour les déclarants internes intervenant dans le transport par voie maritime et par voies navigables intérieures du 4 décembre 2024 au 1er avril 2025, et celle pour les transporteurs par voie routière et ferroviaire du 1er avril au 1er septembre 2025.
Pour mémoire, aux termes de l’article 127 paragraphe 4 du Code de l’Union (CDU) :
« 4. La déclaration sommaire d’entrée est déposée par le transporteur.
Nonobstant les obligations du transporteur, la déclaration sommaire d’entrée peut aussi être déposée par l’une des personnes suivantes:
- a) l’importateur, le destinataire ou toute autre personne au nom ou pour le compte de laquelle le transporteur agit;
- b) toute personne en mesure de présenter ou de faire présenter les marchandises en question au bureau de douane d’entrée. »
L’article 127 paragraphe 5 et paragraphe 6 du CDU ajoute :
« 5. La déclaration sommaire d’entrée comporte les énonciations nécessaires pour l’analyse des risques réalisée à des fins de sécurité et de sûreté.
- Dans des cas spécifiques, lorsque toutes les énonciations visées au paragraphe 5 ne peuvent être obtenues des personnes visées au paragraphe 4, il peut être exigé d’autres personnes qu’elles communiquent ces énonciations dans la mesure où elles les détiennent et qu’elles disposent des droits nécessaires pour le faire. »
A compter de la mise en place de la version 3 du système ICS 2, l’article 112 paragraphe 1 du règlement délégué (UE) n°2015/2446 et l’article 184 § 1 du règlement d’exécution 2015/2447 précisent que lorsque le transporteur maritime émet un connaissement principal, il devra réunir les données nécessaires à partir de tous les connaissements internes sous-jacents auprès des commissionnaires de transport émetteurs.
Si le commissionnaire de transport ne fournit pas les données requises, le transporteur maritime devra soumettre une DSE partielle en se basant sur son connaissement principal et déclarer l’EORI du commissionnaire de transport dans sa déclaration.
Il reviendra alors au commissionnaire de transport de procéder à la déclaration des données internes dans le système ICS2. Il devra réunir les données auprès des autres parties ayant émis un connaissement interne, ou déclarer dans sa DSE partielle l’identité des parties devant encore procéder à la déclaration.
En l’absence de connaissement sous-jacent, si le transporteur ne dispose pas de toutes les données requises, il devra déclarer l’EORI du destinataire dans sa DSE partielle. Le destinataire devra alors soumettre sa déclaration partielle dans le système ICS2.
En vertu de l’article 113 bis § 1 du règlement délégué (UE) n°2015/2446 et de l’article 15, § 2, points a) et b) du CDU, chacune des personnes qui fournit les énonciations visées à l’article 127, paragraphe 5 du code est responsable de l’exactitude et du caractère complet de celles-ci, ainsi que de l’authenticité, de l’exactitude et de la validité des documents accompagnant la déclaration.
Depuis le déploiement de la version 3 du système ICS 2, il est possible de présenter un ou plusieurs jeux de données pour fournir les énonciations de la DSE conformément à l’article 183 paragraphe 1bis du règlement d’exécution 2015/2447.
Par application combinée des articles 127 paragraphe 4 du CDU et 183 paragraphe 1bis b) du règlement d’exécution 2015/2447, ces jeux de données pourraient être transmis par le transporteur, l’importateur, le destinataire ou toute autre personne au nom ou pour le compte de laquelle le transporteur agit, ainsi que par toute personne en mesure de présenter ou de faire présenter les marchandises en question au bureau de douane d’entrée.
Ainsi, le transporteur peut dorénavant décider s’il souhaite soumettre lui-même toutes les données de la DSE dans le système ICS2, ou plutôt se mettre d’accord contractuellement avec ses clients pour se charger, en tant que transporteur, de soumettre les données de niveau principal et que ces clients fournissent de leur côté les informations partielles restantes dans le système ICS2 dans les délais requis.
Une telle possibilité peut également être mentionnée dans les conditions générales de vente du transporteur.
La Cour d’appel de Versailles a rappelé dans un arrêt du 28 mars 2024 (n°22/04954) les critères de distinction entre contrat de transport et contrat de manutention lorsqu’un transport est précédé ou suivi d’une manutention.
En l’espèce, le défendeur s’était vu confier la manutention et le transport de deux armoires électriques sur une courte distance. Les armoires ont été endommagées au cours des opérations de manutention par le bras grue du camion les transportant.
La Cour d’appel a rappelé que « Le contrat de transport est un contrat synallagmatique par lequel un professionnel s’engage à déplacer des personnes ou des biens en contrepartie du paiement du prix.
L’existence d’un contrat de transport suppose que le déplacement constitue l’obligation principale du contrat. L’objet du contrat, le besoin qu’il vise à satisfaire doit être le déplacement de personnes ou de biens. L’itinéraire, la longueur du déplacement et le matériel mis en œuvre sont indifférents. Il n’est pas nécessaire que le transport soit la seule prestation prévue pour que le contrat puisse être qualifié de contrat de transport. D’autres prestations peuvent l’accompagner, dès lors qu’elles ne présentent qu’un caractère accessoire et qu’elles visent à permettre la réalisation du déplacement. En revanche, la qualification de contrat de transport doit être exclue lorsqu’elle ne constitue pas la prestation principale, mais une prestation accessoire. »
Ainsi, la Cour rappelle que la qualification du contrat dépend de la prestation principale exécutée en vertu de celui-ci.
Afin de déterminer la prestation principale, la Cour ajoute que « dans le cadre de la qualification du contrat, il appartient au juge de se référer non à la lettre du contrat, mais à son objet et aux obligations souscrites. »
Après analyse du détail de l’opération, la Cour a relevé que la « prestation comporte, outre le transport, une série d’opérations de manutention importantes et techniques compte tenu des matériels en cause ». Compte tenu du caractère complexe de l’opération de manutention la Cour a jugé que la prestation principale du contrat était la manutention, le transport des armoires électriques n’étant qu’une prestation accessoire.
Ce faisant la Cour a écarté l’application des limitations d’indemnité du contrat-type des transports publics de marchandises.
La Cour d’appel de Paris a considéré dans un arrêt du 4 avril 2024 (n°21/20042) que le voiturier, qui n’avait pas sécurisé son site d’entreposage à la suite d’un premier vol, commettait une faute inexcusable ayant concouru au second vol commis une semaine plus tard et ne pouvait donc invoquer le bénéfice des limitations de responsabilité du contrat type général.
Le destinataire n’ayant pas réglé sa facture, un voiturier s’est retourné contre le vendeur de la marchandise transportée sur le fondement de l’article L.132-8 du Code de commerce (Loi Gayssot).
Le vendeur prétendait ne pas avoir la qualité d’expéditeur, notamment car la vente aurait été conclue aux conditions Ex-Works.
Par un arrêt du 7 mai 2024 (n°22/03074), la Cour d’appel de Montpellier a notamment considéré que l’argument selon lequel le coût du transport aurait été mis à la charge du destinataire en vertu d’une prétendue vente ExWorks n’était pas pertinent. La Cour d’appel a notamment relevé que la société venderesse avait émis les bons de livraison et qu’elle avait directement échangé avec le transporteur pour l’enlèvement des marchandises, ce qui lui conférait la qualité d’expéditeur effectif. Le vendeur expédiant ainsi les marchandises à son client, il était redevable du paiement du prix du transport.
Tout comme la Cour d’appel de Poitiers dans son arrêt du 12 septembre 2023 (voir notre newsletter n°50), la Cour d’appel de Montpellier confirme la redoutable efficacité de l’article L.132-8 du Code de commerce.
La société américaine Signorini Tartufi USA est notamment titulaire d’une marque semi-figurative française « » (« SIGNORINI TARTUFI ») n° 4477953, déposée le 24 août 2018 en classes 29, 30, 32 et 33. Elle vise notamment en classe 29 des huiles à usage alimentaire et des fruits secs.
Celle-ci a introduit une demande en nullité d’une marque semi-figurative française « » (« TERRES DE NOYERS ») n° 4907643, déposée le 24 octobre 2022 en classe 29 pour des produits strictement identiques à ceux précités, soit des huiles à usage alimentaire et des fruits secs.
Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de l’appréciation d’un risque de confusion entre deux signes, une prépondérance est donnée à leurs éléments verbaux par rapport à leurs éléments figuratifs. En l’occurrence, les signes verbaux « SIGNORINI TARTUFI » et « TERRES DE NOYERS » ne partagent aucune similarité.
Néanmoins, quelques décisions mettent l’accent sur les éléments figuratifs présents dans les signes, ce qu’a justement fait l’INPI dans cette espèce.
Ici, l’INPI relève que les éléments verbaux sont insérés plus ou moins au centre de l’élément figuratif dans chacun des signes sur une ligne droite. Au-dessus, est stylisé d’une part le feuillage fourni d’un arbre et d’autre part un arbre au feuillage fourni. En-dessous des éléments verbaux, sont stylisées les racines de l’arbre placé dans la partie supérieure de l’élément figuratif, les éléments verbaux constituant en fait le sol dans lequel s’enracinent les arbres. Le tout créant une forme circulaire. S’agissant des couleurs, l’INPI relève que les signes sont tous deux composés exclusivement de doré sur un cartouche noir.
Parmi les quelques décisions de l’INPI concluant à la similarité de signes semi-figuratifs qui, en dépit d’éléments verbaux très différents possèdent des éléments figuratifs proches, nous pouvons citer « PUMA » contre le félin ailé « CIEL BLEU» (INPI, 19 sept. 2023, n° OPP 23-0701, Puma / N.G.).
Pour conclure à la similarité des signes et annuler la marque «TERRES DE NOYERS », l’INPI se fonde sur la position distinctive autonome de l’élément figuratif par rapport à l’élément verbal. En réalité, sa décision aurait tout aussi bien pu s’appuyer sur la forte similitude existant, de manière globale, entre les marques en conflit.
Les oliviers de Signorini Tartufi sont bien plantés.
Les recherches figuratives évitent de se faire couper les racines sous le pied.
Un arrêt en chambre mixte de la Cour de cassation (pourvoi n° 21-13.403) du 29 mars 2024, extrêmement rare en matière douanière, a accordé les jurisprudences des chambres criminelle et commerciale qui divergeaient sur le point important de savoir si la Douane pouvait interroger la personne contrôlée dans le cadre de l’article 334 du Code des douanes, concernant des faits antérieurs à l’instauration du mécanisme de l’audition libre par l’article 67F du Code des douanes en 2014. Ce nouveau mécanisme présente les avantages d’informer la personne en amont de ses droits de se faire assister d’un avocat et de se taire et d’imposer à l’administration d’indiquer la qualification des faits, de la date et du lieu présumé de l’infraction conduisant à diligenter cette « audition libre ».
L’article 334 du Code des douanes ne comporte aucune de ces garanties et l’administration en a fait une application extensive. Vincent Courcelle-Labrousse avait commenté à la revue Dalloz AJ Pénal (janvier 2023) l’arrêt de la chambre criminelle du 9 novembre 2022 (pourvoi 21-85.747) qui avait exclu tout pouvoir général d’audition des agents des douanes sur le fondement de l’article 334 (cf. également notre Lettre d’information n° 46 – janvier-février 2023). La chambre commerciale n’était pas de cet avis.
À la suite de débats apparemment intenses, la chambre mixte a articulé cet article 334 avec l’article 336 du Code des douanes.
L’article 334 dispose en substance que les procès-verbaux de constat énoncent la date et le lieu des contrôles et des enquêtes effectués, la nature des constatations faites et des renseignements recueillis, la saisie des documents, s’il y a lieu. Quant à l’article 336 § 2, il énonce que « les procès-verbaux de constat ne font foi que jusqu’à preuve du contraire de l’exactitude et de la sincérité des aveux et déclarations qu’ils rapportent ».
La chambre mixte a jugé que « L’effet utile de ces textes commande que les agents des douanes puissent, pour l’efficacité des contrôles et enquêtes, procéder à des auditions en lien avec l’objet de ceux-ci, sous réserve qu’ils n’exercent pas un pouvoir de contrainte. » (point 14).
La chambre mixte a jugé que l’entrée en vigueur de l’article 67F ne signifiait pas que le droit d’audition des redevables n’existait pas avant 2014. Les auditions ont toujours été possibles « sous le contrôle du juge compétent » mais « les droits de la défense doivent être respectés ».
La Cour de cassation indique au passage que le contentieux douanier civil et pénal « concernant le paiement, la garantie ou le remboursement des créances de toutes natures recouvrées par l’administration des douanes » ne relève pas de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme.
Le principe est donc consacré, applicable avant comme après 2014, que « les agents de l’administration des douanes, lorsqu’ils n’agissent pas en qualité d’agents de la douane judiciaire, tiennent des dispositions de l’article 334 la faculté de recueillir des personnes concernées par leurs contrôle et enquête, en dehors de toute mesure de contrainte et dans le respect du principe des droits de la défense, les renseignements et déclarations, spontanées ou en réponse aux questions posées, en lien avec l’objet de leurs contrôle et enquête. » (point 17)
La Cour d’appel avait retenu que les déclarations recueillies dans le cadre de l’article 334 avaient été faites sans contrainte. Son arrêt a donc été confirmé par la Cour de cassation.
Un second point de cette décision porte sur la problématique de la « prise en compte ». Le droit douanier communautaire subordonne la validité de la communication d’une dette douanière au redevable à sa « prise en compte » préalable, à savoir son inscription comme caractérisant un « reste à recouvrer » en faveur du budget communautaire. Les décisions de justice ont été nombreuses sur ce sujet (cf. nos Lettres d’information n°12 – février 2015, n° 37 – janvier 2021, n° 41 – novembre-décembre 2021, n° 47 – mars-avril 2023).
Le moment de la prise en compte a évolué dans la pratique en raison de l’évolution de la procédure le redressement. Celle-ci se caractérise désormais par une phase contradictoire ouverte par un avis de résultat d’enquête. Cet acte informe le redevable de la décision envisagée. La dette, par définition n’existe pas encore, dès lors qu’elle est soumise à la discussion contradictoire du redevable au moyen de cet avis. La prise en compte devrait être postérieure à la réponse du redevable, si l’administration n’est pas convaincue et entend persévérer dans son redressement.
Telle n’est pourtant pas la pratique de l’administration qui prend souvent en compte la dette douanière et en informe les services communautaires dès qu’elle engage la procédure contradictoire.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la chambre mixte, il était établi que la prise en compte était postérieure à la notification de l’avis de résultat d’enquête.
Toutefois la procédure a été validée, dès lors que la dette douanière avait fait l’objet d’un « acte la communiquant de nouveau au redevable, tel un procès-verbal de notification d’infraction, celui-ci régularise la communication de la dette douanière au redevable. »
Le pourvoi de la société a donc été rejeté après ces vastes controverses.
Dans un arrêt du 11 avril 2024 (C-770/22), la CJUE a examiné une affaire dans laquelle l’importateur s’était vu notifier des droits antidumping, avait contesté la dette douanière devant l’administration puis devant une juridiction italienne qui lui avait donné raison en première instance. L’administration avait fait appel et entendait prendre de nouvelles mesures conservatoires nonobstant le jugement favorable.
La société importatrice avait contesté ces mesures et demandait le remboursement des sommes qu’elle avait payées conformément au titre exécutoire qui lui avait été initialement notifié. La jurisprudence de la Cour de cassation italienne était plutôt favorable à l’administration des douanes en l’occurrence, interdisant de restituer la somme, alors même que le jugement favorable était exécutoire de droit au regard du droit italien.
Se posait ainsi la question du champ d’application des articles 44 et 45 du Code des douanes de l’Union qui organisent le droit au recours du redevable.
La CJUE a considéré que ces deux dispositions ne portent que sur la phase administrative de la contestation et pas sur les conséquences d’un jugement résultant de la saisie du tribunal judiciaire. Ces conséquences procédurales ne sont pas régies par le CDU.
La Cour de cassation italienne retenait qu’une des raisons pour conserver les fonds était que le recouvrement avait été tardif alors qu’il s’agissait de ressources propres communautaires qu’il fallait mettre à disposition du budget communautaire conformément au règlement 609/2014 du 26 mai 2014 relatif aux modalités et à la procédure de mise à disposition des ressources propres du budget communautaire, dont faisaient partie naturellement les droits antidumping en cause.
La CJUE a jugé que cette règlementation financière entre les Etats membres et l’Union ne peut pas voir ses effets atténués, par exemple, par une négligence commise par les autorités douanière d’un Etat qui, souligne la Cour, « ne dispense ce dernier de son obligation de mettre à la disposition de l’Union les droits qu’il aurait dû constater, le cas échéant, assortis d’intérêts de retard » … soulignant que « le manque de diligences des autorités douanières ne sauraient dispenser l’Etat membre de cette obligation » (point 46).
Ainsi, les conséquences éventuelles du litige sur les relations entre l’Etat membre et la Commission dans le cadre du règlement 609/2014 ne peuvent en aucune façon être impactées par les éléments de la procédure successive, à tout le moins, tant qu’aucune décision définitive n’ait été prise sur le bien-fondé du redressement initial.
Dans un intéressant arrêt du 29 mai 2024 (pourvoi n° 22-21.890), la chambre commerciale de la Cour de cassation a examiné les conditions du recouvrement forcé et les textes en résultant. Confrontée à un recouvrement très tardif, au titre d’un « droit de passeport » pour un navire (prévu par l’article 238 du Code des douanes national) pour les années 2007 à 2009, l’administration avait notifié un avis à tiers détenteur le 19 novembre 2016 puis avait fait procéder le 21 octobre 2020 à deux saisies administratives à tiers détenteurs. L’intéressé avait assigné la douane devant le juge de l’exécution, compétent sur la base de l’article 349 nonies du Code des douanes, le 18 mars 2021 et avait soulevé notamment la prescription de la créance.
L’administration rétorquait qu’au regard de l’article L 281 du livre des procédures fiscales, d’une part, le juge de l’exécution était incompétent et, d’autre part, l’article L 281 imposait d’exposer tous les moyens critiquant la saisie au moment de la saisine du directeur (recours administratif préalable obligatoire). En effet, ce texte interdit d’évoquer d’autres moyens devant le tribunal.
La Cour de cassation a fait une lecture doublement extensive de l’article 349 nonies du code des douanes. D’une part, elle a écarté toute application de l’article L 281 du livre des procédures fiscales et retenu la compétence exclusive du juge de l’exécution. D’autre part, elle a jugé que l’article 349 nonies n’interdisait pas d’invoquer des moyens non soutenus lors de l’une des étapes précédentes de la procédure. La prescription est donc, semble-t-il, acquise au redevable.
- Par un arrêt du 18 avril 2024 (C-509/22) la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) a statué sur une mésaventure survenue à une société italienne spécialisée dans la dénaturation d’alcool éthylique. Alors que cette société procédait à des opérations de chargement d’une cuve d’alcool dénaturé rendu impropre à la consommation humaine, en présence d’un agent des douanes, un salarié avait laissé ouvert une vanne, aboutissant à l’écoulement d’une quantité importante d’alcool. Une partie avait pu être recueillie, le reste avait été irrémédiablement perdu.
La question était de savoir si la fraction irrémédiablement perdue était taxable ou non. La société faisait observer que, de toute façon, la quantité irrémédiablement perdue était rendue définitivement non consommable pour quiconque et sollicitait une décharge des droits y relatifs. La société soutenait que cette situation relevait d’un « cas fortuit ». La Cour de cassation italienne avait interrogé la CJUE sur les points de similitude entre les « cas de force majeure » et les « cas fortuits » aux fins de savoir si la faute d’un salarié de la société intéressée pouvait avoir une incidence quelconque. De plus, au visa de l’article 7 § 4 de la directive 2008/118/CE du 16 décembre 2008 organisant le régime général des accises, la Cour de cassation italienne s’interrogeait sur l’incidence du fait que les autorités compétentes de l’Etat membre avaient donné leur accord sur la dénaturation des produits. La CJUE a fait remarquer que les notions de « cas fortuit » et de « force majeure » sont une limite à l’exigibilité des accises.
Dès lors que cette exigibilité doit intervenir au même moment dans tous les Etats membres, la Cour de justice considère que la définition des « cas fortuits » revêt « nécessairement un caractère autonome et l’uniformité de leur interprétation dans tous les Etats membres doit être assurée. » (point 41).
Rappelant un ancien arrêt du 18 décembre 2007 SPMR (C-314/06), puis un arrêt du 18 mai 2017 (C-154/16, cf. notre Lettre d’information n° 24 – juin-septembre 2017), la CJUE retient une définition du « cas fortuit » qui est identique à la définition de la force majeure ; le « cas fortuit » est caractérisé « par un élément objectif, relatif aux circonstances anormales, imprévisibles et étrangères à l’intéressé, et un élément subjectif, tenant à l’obligation, pour ce dernier, de se prémunir contre les conséquences de l’événement en cause en prenant des mesures appropriées sans avoir à consentir des sacrifices excessifs. » (point 50).
A l’instar de sa jurisprudence sur la « force majeure », la CJUE a jugé que le « cas fortuit » doit faire l’objet d’une interprétation stricte, dès lors que la notion de « cas fortuit » « établit une dérogation la règle générale selon laquelle les droits d’accise afférents aux produits qui ont été détruits ou perdus demeurent exigibles. » (53).
Concernant l’incidence de la faute de l’opérateur, la CJUE a retenu que « lorsque les circonstances ayant donné lieu à la destruction totale ou à la perte irrémédiable des produits soumis à accise relèvent de la sphère de responsabilité de l’entrepositaire agréé, la condition tenant à l’existence de circonstances étrangères à l’opérateur concerné n’est pas satisfaite et, partant, l’élément objectif constitutif du cas fortuit fait défaut, empêchant ainsi de constater l’existence d’un cas fortuit » (point 59).
La Cour de justice en déduit que « …la perte irrémédiable d’un produit liquide soumis à accise causée par une fuite, elle-même provoquée par l’inadvertance d’un employé ayant omis de fermer la vanne d’une cuve à l’issue d’une opération de transvasement de ce liquide, ne saurait être considérée comme étant une circonstance anormale ou étrangère à l’opérateur dont l’activité est la dénaturation de l’alcool éthylique. Au contraire, une telle perte doit être regardée comme relevant de la sphère de responsabilité de cet opérateur et comme étant la conséquence d’un manquement à la diligence normalement requise dans le cadre de l’activité de ce dernier, de telle sorte que tant l’élément objectif que l’élément subjectif caractérisant la notion de « cas fortuit », au sens de l’article 7, paragraphe 4, de la directive 2008/118, font, dans de telles circonstances, défaut » (point 60).
Toutefois, la CJUE a prêté attention au fait que la perte de la marchandise s’inscrivait dans une dénaturation sous surveillance de l’administration douanière qui impliquait que le produit ne puisse plus donner lieu à une consommation humaine et partant, à aucun fait générateur de droits d’accise : « Lorsque les faits constitutifs d’une faute non grave ayant entraîné la destruction totale ou la perte irrémédiable du produit soumis à accise ont été commis dans le cadre d’une opération de dénaturation de ce produit qui a elle-même été préalablement autorisée par les autorités nationales compétentes, il y a lieu de considérer que la destruction totale ou la perte irrémédiable est intervenue à la suite d’une autorisation émanant des autorités compétentes de l’État membre concerné, de sorte que cette destruction ou cette perte ne doit pas être considérée comme une mise à la consommation, sous réserve, notamment, que la destruction totale ou la perte irrémédiable dudit produit ait été prouvée à la satisfaction des autorités nationales compétentes, conformément à l’article 7, paragraphe 4, troisième alinéa, de la directive 2008/118 » (point 70).
- Par un arrêt du 13 mars 2024 (pourvoi n° 22-85.319), la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi d’une distillerie à laquelle l’administration des douanes avait reproché des omissions et inexactitudes dans sa comptabilité-matières, des omissions de payer les droits et des manquants taxables d’eau-de-vie de Cognac. Le demandeur au pourvoi soutenait que seuls les manquants réellement constatés dépassant le seuil maximum des déductions possibles admises en franchise étaient taxables et devaient avoir un caractère réel et pas simplement comptable pour pouvoir être assujettis aux droits d’accise.
La Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation avait simplement retenu que même si les agents n’avaient pas trouvé d’entrées ou de sorties irrégulières d’alcool, ils avaient constaté que « les indications règlementaires étant absentes des contenants, le recensement des alcools détenus a été opéré sur les déclarations du prévenu et que celui-ci déclarait qu’il ne tenait pas ses comptes, ni par nature de contenant ni par compte d’âge, les balances ont ainsi dû être effectuées à partir de la déclaration annuelle d’inventaire déposée à l’administration des douanes par la distillerie. » (point 10)
La Cour de cassation a validé l’arrêt dès lors que le manquant n’avait rien de théorique mais reposait sur une balance « entre le stock théorique, tel qu’il figure ou devrait figurer en comptabilité matières et le stock physique présent dans les locaux de l’entrepositaire agréé. » (point 13)
La Cour de cassation a également considéré que la constatation de manquants aboutit à une taxation car ces manquants « impliquent nécessairement une telle mise à la consommation » taxable (point 16, au visa de l’arrêt BP EUROPA SE du 28 janvier 2016 de la CJUE, C-164/15, point 44).
Dans un arrêt du 18 avril 2024 (C-133/23), la CJUE a examiné un des cas dans lequel l’utilisation d’un produit énergétique ou d’électricité est « hors champ » de la directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003 portant harmonisation de la fiscalité des produits énergétiques et de l’électricité. Pour rappel, les activités « hors champ » sont celles qui sont définies par l’article 2, paragraphe 4 de la directive. Ces activités ne sont pas couvertes par l’harmonisation. Cependant, les Etats membres gardent la possibilité de taxer ces usages aux conditions qu’ils fixent.
En l’occurrence, il s’agit des « procédés minéralogiques », à savoir des procédés de fabrication classés dans la Nomenclature des Activités Economiques de la Communauté (Nomenclature « NACE » sous le code DI 26 « Fabrication d’autres produits minéraux non métalliques »).
Cette catégorie désormais numérotée « Division 23 » pose des problèmes aux sociétés qui ont une activité extractive, dès lors que la frontière entre la fabrication d’autres produits minéraux non métalliques d’une part, et des activités extractives qui ne bénéficient pas de la « mise hors champ », d’autre part, s’avère délicate.
Cette affaire en est l’illustration. Le demandeur était un exploitant d’une carrière qui fabriquait des produits finis à partir des éléments extraits, notamment des « fillers » de calcaire en République Tchèque. L’administration tchèque entendait assujettir l’électricité utilisée pour toute l’activité de production de « fillers » considérant que cela relevait de l’activité d’extraction du calcaire et non pas d’une activité de transformation. La CJUE a examiné si cette activité intervenait dans le cadre d’un « procédé minéralogique » au sens de l’article 2, paragraphe 4, b) de la directive et si la consommation d’électricité présentait « avec ledit procédé un lien suffisant aux fins de l’application de la même disposition. » (point 28).
La CJUE a appliqué la nomenclature NACE REV. 2 qui comprend des notes explicatives qui, rappelle la Cour, « ne produisent pas en tant que telles, d’effets contraignants, il n’en demeure pas moins qu’elles fournissent les éléments utiles à l’interprétation à cette nomenclature, notamment lorsqu’elles éclairent l’interprétation des dispositions de celle-ci ou lorsqu’elles ont pour objet de préciser les dispositions du droit de l’Union ayant un caractère contraignant. » (point 36)
La CJUE n’a pas retenu une approche large de la division 23 de la section C de la NACE qui aurait conduit à ce que toute opération de concassage ou de broyage de pierres ou d’autres produits minéraux puisse être considérée comme relevant de cette division.
La CJUE a décidé qu’une partie des opérations de concassage, de broyage, nettoyage relevait de la section B concernant les industries extractives, partant, non couvertes par la « mise hors champ ». La CJUE a retenu que seul « les opérations de concassage et de broyage impliquant une altération physique ou chimique substantielle de la matière extraite, au sens indiqué, doivent être considérées comme étant des opérations de transformation de cette matière en un nouveau produit et comme relevant, en conséquence, de la section C de ladite nomenclature. » (point 42)
Parmi les « fillers » calcaires, ceux qui étaient fins et grossiers résultent d’une opération d’extraction, ceux dont la surface est modifiée peuvent relever d’une activité de production, d’autant qu’ils sont obtenus en mélangeant des « fillers » calcaires fins et de la stéarine (point 46).
La CJUE a également considéré, quand une entreprise avait plusieurs activités dont seule une partie pouvait bénéficier d’une « mise hors champ » / non taxable, qu’il convenait d’établir un calcul des quantités correspondant à l’activité ainsi « mise hors champ » de la directive (point 54).
Enfin, la CJUE a retenu sans difficulté « qu’il existe un lien direct et étroit entre l’électricité utilisée pour alimenter le dispositif de chauffage électrique employé pour chauffer l’air et ledit processus [mélange des fillers calcaires fins et de la stéarine dans de l’air chaud] » (point 58).
Un arrêt du 13 juin 2024 de la CJUE (C-266/23) a statué sur la situation d’une société polonaise qui bénéficiait d’une utilisation « hors champ » de la directive pour des activités d’électrolyse.
La société était également une entreprise grande consommatrice d’énergie et souhaitait bénéficier d’une exonération fiscale prévue par le droit polonais en application de l’article 17 de la directive 2003/96/CE. L’administration polonaise avait indiqué que la « mise hors champ » (correspondant à une exonération/absence de taxation) et l’exonération (prévue pour les grandes entreprises consommatrices d’énergie) n’étaient pas cumulables.
La CJUE a rendu une décision qui éclaire de manière intéressante l’article 17 paragraphe 1 a) de la directive, d’abord pour déterminer quelle est « l’électro-intensité » (quantité de Kwh consommés par unité de valeur ajoutée produite) d’une entreprise et notamment, puisque l’article 17 dispose qu’il faut que « les achats de produits énergétiques et d’électricité atteignent au moins 3% de la valeur de la production… ». La même disposition stipule « qu’on entend par « achats de produits énergétiques et d’électricité », le coût réel de l’énergie acheté ou produite dans l’entreprise. Il ne comprend que l’électricité, la chaleur et les produits énergétiques qui sont utilisés pour le chauffage aux fins prévus à l’article 8, paragraphe 2 b) et c). Toutes les taxes sont comprises à l’exception de la TVA déductibles. »
Interprétant ce dernier paragraphe, la CJUE, interrogée pour ce faire par une juridiction polonaise, a examiné si les tarifs de distribution d’électricité prévus par la règlementation nationale relèvent du « coût réel de l’énergie achetée ». Ainsi, la CJUE a considéré que pour correspondre à l’acception normale du sens de coût réel, il fallait inclure dans le ratio « des charges supplémentaires, qui ne sauraient constituer des « taxes » au sens de cette disposition telles que des tarifs de distributions obligatoires de cette énergie supportés en vertu de la règlementation nationale, lors de l’achat de ladite énergie ». (pt 35)
Concernant le caractère cumulable d’une « mise hors champ » et d’une exonération fondée sur l’article 17, la CJUE examine l’économie de cet article 17 pour en déduire que les Etats membres conservent toute liberté notamment, comme le relève son paragraphe 1 a) : « les Etats membres peuvent appliquer des critères plus restrictifs, tels que les définitions du chiffre d’affaires, du procédé et du secteur industriel ». Pour la CJUE cette énumération « n’a pas vocation à être exclusive » (point 50).
La CJUE a validé le droit polonais qui avait considéré, qu’une « mise hors champ » et une exonération fondée sur l’article 17 n’étaient pas cumulables. Il s’agit ainsi d’un « critère » que les Etats membres peuvent retenir. La CJUE a imposé que « ce critère et son application ne soient pas discriminatoires » (point 53), ce qu’il incombera à la juridiction nationale de vérifier (point 56).
Un fabricant de sucre avait revendiqué le bénéfice d’une exonération prévue au 4° du 5 de l’article 266 quinquies B du code des douanes pour des achats de charbon utilisé pour son activité de valorisation de biomasse, à savoir la transformation de pulpes de betteraves en aliments pour animaux par un procédé de déshydratation.
Le texte de loi prévoyait à l’époque que cette exonération était acquise lorsque le charbon était utilisé pour cette valorisation de biomasse et que les achats de combustible représentaient au moins 3% du chiffre d’affaires de l’entreprise.
La Douane considérait qu’il fallait appliquer les achats de charbon sur l’intégralité du chiffre d’affaires de la sucrerie. Le pourcentage n’était pas atteint. Toutefois, par un arrêt du 4 avril 2024 (pourvoi n° 22-18.594) la chambre commerciale de la Cour de cassation a validé l’arrêt d’appel qui donnait satisfaction au fabricant de sucre au motif que « il résulte de l’[article 266 quinquies B] que seule l’activité de valorisation de la biomasse ouvre droit au bénéfice de l’exonération de la TICC et que sont exclusivement pris en compte pour le calcul du seuil de 3% les achats de combustibles et d’électricité utilisés par l’entreprise pour la valorisation de la biomasse. » (point 6)
La Cour de cassation ajoute que « Dès lors, dans l’hypothèse où l’entreprise qui demande le bénéfice de l’exonération exerce plusieurs activités, le seuil de 3 % prévu à l’article 266 quinquies B, 5, 4°, du code des douanes doit être apprécié au regard du chiffre d’affaires et des achats d’énergie imputables à la seule activité de valorisation de la biomasse. »
Depuis sa mise en place entre 1992 et 1998, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) a tenté de décourager les activités génératrices de nuisance en les taxant, sous différents aspects. Au-delà de la taxation bien connue du stockage des déchets non dangereux, la TGAP cible également depuis 1998 les traitements physico-chimiques des déchets dits « industriels spéciaux » désormais dénommés « déchets dangereux ». Or, la taxe posait des difficultés dans son champ d’application lorsque les activités étaient fractionnées dans des installations qui s’avéraient dissociables, comportant tout d’abord un pré-traitement.
Ce système était apparu inutilement complexe et la taxation a été simplifiée depuis le 1er janvier 2017 (cf. notre Lettre d’information n° 22 – janvier-février 2017).
Une affaire illustre cette complexité dans un arrêt du 4 avril 2024 (pourvoi n°22-16.708). En l’occurrence, l’exploitant d’une installation de traitement thermique de déchets dangereux demandait le remboursement de la TGAP au titre des années 2012 à 2014 sur « les déchets industriels spéciaux soumis à une opération de pré-traitement par un procédé d’évapo-concentration, (…) ». (point 2). Pour la société cette opération n’était pas taxables seul le véritable traitement physicochimique en aval étant assujetti. Il s’agissait d’un effluent et en réalité le problème portait sur l’eau contenue, qui était séparée de matières nocives lors du pré-traitement.
La société soutenait que le mécanisme d’évapo-concentration ne « conduit à aucune élimination de déchets dès lors que l’intégralité des déchets traités se retrouvent à la sortie de cette installation, sous forme distincte de résidus organiques, d’une part et d’eau résiduaire, d’autre part » ce qui caractériserait « une installation de pré-traitement qui n’est pas soumise à la taxe » (point 8)
La société soutenait également que « l’application de la taxe doit être appréciée séparément pour chacune de ces installations », alors que la Cour d’appel avait considéré que « la circonstance que l’évapo-concentrateur soit une installation physique autonome du reste des installations d’incinération et encore qu’il soit constitué de machines spécifiques à son fonctionnement » était indifférent à la solution du litige (point 8).
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’exploitant contre le refus d’accorder le remboursement de la somme demandée.
Appliquant l’article 266 sexies, I, 1 du Code des douanes dans sa rédaction issue de la loi 2011-1977 du 28 décembre 2011, la Cour de cassation a reconnu que « si plusieurs installations peuvent coexister sur un même site industriel de traitement des déchets », elle a jugé que « les unités qui concourent à l’élimination des déchets par l’un des procédés énuméré par ce texte font partie de l’installation taxable laquelle est alors considérée comme unique. » La Cour de cassation a validé l’arrêt de la Cour d’appel qui considérait que « l’évapo-concentrateur, bien que physiquement autonome de l’incinérateur, faisait partie de l’installation taxable » (point 13). En effet, la Cour d’appel avait retenu une imbrication de l’évapo-concentrateur dans le process (cf. le point 12).
Le dernier problème posé était en fait le principal et portait sur la taxation des eaux résiduaires lesquelles étaient renvoyées dans une station d’épuration. L’opérateur considérait dès lors que ces eaux résiduaires avaient terminé leur parcours dans la station d’épuration, les eaux résiduaires ne devraient pas être taxées. Ces stations relèvent du cadre général de la loi sur l’eau, exclusif du champ d’application de la TGAP.
La Cour d’appel avait écarté l’argumentation de la société et la Cour de cassation a entériné sa position. En effet, ces eaux résiduaires faisaient partie des déchets qui avaient fait l’objet d’une « réception » dans l’installation, au sens de l’article 266 septies qui dispose que « le fait générateur de la TGAP est constitué par la réception des déchets ». Ainsi, la Cour d’appel était en droit de retenir que « l’ensemble des déchets réceptionnés par celle-ci [l’installation taxable exploitée par la société] qu’ils soient envoyés directement vers l’incinérateur ou, préalablement, vers l’évapo-concentrateur entraient dans l’assiette de la TGAP sans qu’il y ait lieu d’en abstraire la partie aqueuse résiduaire obtenue par l’évapo-concentration » (point 17).
Dans un arrêt du 4 avril 2024 (pourvoi n° 21-24.499), la Cour de cassation a validé un redressement à la Réunion concernant l’octroi de mer en régime intérieur dans l’île qui est également recouvré par l’administration des douanes.
En l’occurrence, un groupement d’intérêt économique procédait à un assemblage de rhums de plusieurs distilleries et à la réduction du degré d’alcool par adjonction d’eau, permettant de réduire le titre alcoolique de 89% à 49%.
Selon le GIE, il s’agissait d’une simple manipulation et non pas de la « production » d’un produit nouveau.
La Cour d’appel de Saint-Denis-de-la-Réunion a jugé que « le GIE procède à une transformation physique entre une matière première, les rhums livrés par les distillateurs, qui présentent un taux d’alcool de 89 %, et un produit fini, le rhum mélangé avec de l’eau, au taux d’alcool réduit à 49 %, et retient que la fabrication de ce rhum exige, outre le mélange des produits livrés par les distilleries, l’ajout d’une quantité d’eau dans des proportions fines garantissant le bon niveau d’alcool pour le produit fini, modifiant ainsi substantiellement les caractéristiques de la matière première livrée. Il ajoute que ce processus de fabrication, qui ne peut être assimilé à une simple manipulation des matières premières, modifie les qualités gustatives du rhum brut et le rend commercialisable selon une recette propre à la marque « Rhum Charrette » déposée à l’INPI » (point 6).
Ainsi « le processus mis en œuvre par le GIE modifie les qualités intrinsèques du produit », de sorte qu’il existe bien « une activité de production par fabrication, au sens de la loi du 2 juillet 2004 » qui était dès lors passible de l’octroi de mer (point 7).
- Par un arrêt du 13 juin 2024 (C-104/23), la CJUE a statué sur le classement tarifaire de « niches pour veaux » (abris) sur le point de savoir s’il pouvait s’agir de « constructions préfabriquées » ou pas au sens de la position 9406 de la nomenclature combinée communautaire ou si comme le soutenait la Douane, il s’agissait banalement d’ouvrages en matière plastique relevant de la position 3926. La société entendait bénéficier de la position 9406 qui était moins taxée (2,7% de droits) que la position résiduelle 3926 90 97 (6,5%) revendiquée par la Douane. La Cour de justice a donc examiné ce qu’était une construction préfabriquée. Elle a considéré que « s’agissant du sens habituel en langage courant du terme « construction », force est de constater que ce terme renvoie notamment à une structure bâtie d’une certaine taille, en principe pourvue de murs et d’un toit, généralement utilisée par des personnes pour y séjourner, y exercer des activités ou y entreposer des objets » (point 42).
Ainsi le critère de la construction préfabriquée ne résidait pas dans le fait que l’espace fût entièrement clos mais simplement qu’une personne pût s’y tenir debout, ce qui n’était pas le cas, dès lors que les niches étaient dimensionnées par rapport à la hauteur des veaux.
Plus intéressante est la consécration de l’importance des délibérations du comité du code des douanes – section de la nomenclature tarifaire et statistique, qui est un groupe d’experts dépêchés par les Etats membres avec le soutien des agents de la direction générale « TAXUD » de la Commission européenne. Ces délibérations reprises sous forme de « minutes » (publication suivie par le cabinet) éclairent l’application à retenir de la nomenclature combinée. La Cour de justice rappelle que « si les conclusions du comité du code des douanes sont dépourvues de force obligatoire en droit, elles constituent néanmoins des moyens importants pour assurer une application uniforme du code des douanes par les autorités douanières des Etats membres et peuvent en tant que telles être considérées comme des moyens valables pour l’interprétation de ce code. » (point 46).
Or, ce comité avait défini ce qu’était une construction préfabriquée au sens de la position 9406 de la nomenclature combinée indiquant qu’« elle ne doit pas nécessairement posséder quatre murs, mais doit avoir un toit et quelques murs. » La Cour de justice a dit pour droit que « la notion de construction préfabriquée ne couvre pas une marchandise en matière plastique qui sert à protéger des animaux contre les intempéries dénommée « niche à veaux » qui dispose d’un toit et de parois mais qui ne forme pas nécessairement un espace clos de tous les côtés et dont les dimensions ne permettent pas à une personne de taille moyenne d’y pénétrer en se tenant droit et d’y exercer des activités en se tenant debout. »
- En matière de valeur cette fois, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 10 mai 2024 (pourvoi n° 22-15.207) concernant une application de la méthode d’évaluation dite « du dernier recours ».
Dans cette affaire, il s’agissait d’importations de fruits et légumes très variés pour lesquelles la valeur transactionnelle avait été écartée. Faute d’avoir pu obtenir de la part du commissionnaire en douane des indications sur la valeur à partir de méthodes dites secondaires d’évaluation, la Douane avait appliqué la « méthode du dernier recours » en se fondant sur le poids des marchandises prédominantes, semble-t-il.
La Cour d’appel avait écarté les résultats de la « méthode du dernier recours » dès lors que « l’administration des douanes a accordé au poids des articles importés une qualité de fiabilité ne correspondant pas à ses affirmations sur l’existence de fraude et d’irrégularité. » (point 9).
En revanche, la Cour de cassation a jugé que « pour déterminer la valeur en douane des marchandises en application de l’article 31 paragraphe1 du code des douanes communautaire » [règlement du 2913/92 du 12 octobre 1992 désormais abrogé par le CDU] l’administration des douanes pouvait se référer à des données relatives aux marchandises importées telles que leurs poids. » (point 10). L’arrêt d’appel a été cassé.