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n° 55 Novembre-Décembre 2024
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La Lettre d’information en bref
- Focus réglementaire sur l’expertise privée à valeur d’expertise judiciaire
- La jurisprudence en droit des transports :
- La Cour d’appel de Colmar a jugé dans un arrêt du 9 octobre 2024 que l’incendie d’une semi-remorque qui stationnait sur la voie publique sans surveillance ni mesure de protection particulière ne constituait pas un cas de force majeure, mais résultait d’une imprudence caractérisant une faute inexcusable du transporteur routier.
- En matière douanière :
La Cour de cassation s’est également prononcée sur le classement tarifaire de ceintures lombaires et d’attelles médicales.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt sur l’application des règles d’origine non préférentielle en cas de transformation de bois de teck originaire de Birmanie à Taïwan, au regard des mesures de prohibition frappant le commerce avec la Birmanie.
La CJUE a rendu également un arrêt sur la remise en cause d’une origine correspondant à des fabrications de motocyclettes Harley-Davidson qui sont considérées comme n’étant pas « économiquement justifiées » dès lors que la production a été délocalisée en Thaïlande pour échapper à des mesures de défense commerciales communautaires.
La Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence sur le contrôle de la « prise en compte de la dette douanière » et sur les possibilités de régularisation qui s’offrent à l’administration des douanes.
La CJUE a admis qu’un Etat membre pouvait imposer des pénalités de retard à titre de sanction à un opérateur en plus de l’intérêt de retard prévu par l’article 114 du Code des douanes de l’Union.
En matière de franchise douanière, la CJUE a défini quels « instruments ou appareils scientifiques » bénéficient de la franchise de droits de douane prévue par le règlement 1186/2009 du 16 novembre 2009.
En matière de classement tarifaire, la Cour de cassation a rendu un arrêt sur le classement tarifaire des emballages réutilisables.
Dans un dossier défendu de longue date par Vincent Courcelle-Labrousse, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu le 15 octobre 2024 (n° 23-83.578) un arrêt favorable qui mérite d’être rapporté.
La Cour de cassation a validé l’arrêt de la chambre de l’Instruction de la Cour d’appel de Paris qui avait annulé la mise en examen pour homicide et blessures involontaire du client de notre associé, à qui l’on reprochait, en substance, après l’attentat à la voiture piégé de Karachi du 8 mai 2002 contre un autobus de la marine pakistanaise transportant le personnel de la DCN, d’avoir sous-évalué à l’époque la menace terroriste au Pakistan.
Vincent Courcelle-Labrousse a commenté ainsi pour l’AFP : « Cette décision signe la fin d’une procédure longue et injuste contre mon client à qui la justice reprochait de n’avoir pas anticipé la commission d’un attentat suicide, dont les auteurs et commanditaires n’ont pas été identifiés, et alors que la protection du personnel sur place incombait à l’armée pakistanaise. Nous n’avions aucun doute sur le sort qu’aurait donné un tribunal à une telle aberration judiciaire ».
Aurélie Giordano a été reçue en octobre 2024 par un courtier d’assurances français de premier plan afin de présenter à ses équipes les difficultés liées à la preuve des préjudices et les stratégies offertes par le droit français pour améliorer un dossier de réclamation. Les équipes ont été particulièrement intéressées par la possibilité de procéder à une expertise privée à valeur d’expertise judiciaire, que nous détaillons dans cette Lettre d’information.
La candidature d’Aurélie Giordano en tant que membre a été acceptée par le Pôle Mer Méditerranée en octobre 2024. Le cabinet Godin Associés est fier de rejoindre une organisation soutenant l’innovation et le développement durable de l’économie maritime et littorale, sur le bassin méditerranéen, en Europe et dans le reste du monde.
En vertu des articles 1547 à 1554 du Code de procédure civile, les parties, dans le cadre d’une procédure participative, peuvent désigner un technicien d’un commun accord et déterminer sa mission. Le rapport du technicien a valeur de rapport d’expertise judiciaire.
Afin de mettre en place une telle expertise, les parties doivent signer une convention de procédure participative, contenant en annexe un acte contresigné par avocat de désignation d’un technicien. Chaque partie doit être représentée par un avocat. Le technicien peut être inscrit sur la liste des experts judiciaires ou non.
En vertu de l’article 2065 du Code civil, tant qu’elle est en cours, la convention de procédure participative conclue avant la saisine d’un juge rend irrecevable tout recours au juge pour qu’il statue sur le litige. Toutefois, l’inexécution de la convention par l’une des parties autorise une autre partie à saisir le juge pour qu’il statue sur le litige. En cas d’urgence, la convention ne fait pas obstacle à ce que des mesures provisoires ou conservatoires soient demandées par les parties.
Conformément à l’article 2238 du Code civil, la prescription est suspendue à compter de la conclusion d’une convention de procédure participative. Le délai de prescription recommencera à courir à compter du terme de la convention, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois.
L’expertise privée à valeur d’expertise judiciaire présente l’avantage d’être plus rapide et moins coûteuse qu’une expertise judiciaire, tout en disposant de la même force probante.
Elle est encore peu connue et faiblement usitée, mais promise à un bel avenir.
Alors que le chauffeur routier effectuait sa coupure hebdomadaire à son domicile, le conducteur avait laissé sans surveillance la semi-remorque qui lui avait été confiée à proximité de son domicile. Un violent incendie s’était déclaré dans la nuit et le chargement avait été intégralement détruit.
L’origine de l’incendie étant inconnue, le transporteur routier a invoqué la force majeure pour espérer échapper à toute responsabilité.
La Cour d’appel de Colmar, dans un arrêt du 9 octobre 2024 (RG n°22/02643), a considéré que la survenance d’un incendie était prévisible.
Un incendie, fût-il d’origine humaine, et possiblement liée à un acte de vandalisme ou à une tentative de vol, apparaissait raisonnablement envisageable au moment de la conclusion du contrat de sorte que la condition d’imprévisibilité n’était pas remplie.
La Cour considère également que la condition d’extériorité fait défaut, cet événement n’échappant pas au contrôle du débiteur, puisque le véhicule était stationné sur la voie publique en toute conscience du risque de vol ou de dégradation, et ce, sans surveillance particulière autre que la proximité relative du domicile du chauffeur et la présence de ses chiens, alors que le lieu de stationnement, le long du mur d’enceinte d’une usine, à proximité d’un bâtiment de stockage, ne permettait pas d’assurer une protection par la surveillance des occupants d’habitations à proximité.
Compte tenu des circonstances du sinistre, la Cour a jugé que celles-ci caractérisaient une inaptitude du transporteur à l’accomplissement de la mission contractuelle qui lui avait été impartie, les conclusions du rapport d’expertise démontrant qu’il était possible d’assurer la protection du chargement de manière effective en garant l’ensemble routier dans la cour du domicile du chauffeur, et qu’ainsi les conditions de la faute inexcusable étaient remplies.
Par un arrêt du 5 septembre 2024 (C-67/23), la CJUE a rendu une décision intéressante sur les règles d’origines, concernant les « transformations ou ouvraisons substantielles ».
Une seconde décision du 21 novembre 2024 (C-297/23 P) porte sur les « transformations ou ouvraisons non économiquement justifiées ».
Les principes
La règle d’origine de base du droit douanier communautaire a été successivement prévue par l’article 24 du Code des douanes communautaire (CDC – règlement 2913/92 du 12 octobre 1992) puis l’article 60 du Code des douanes de l’Union (CDU – règlement 952/2013 du 9 octobre 2013 depuis le 1er mai 2016). Sur la base des principes et textes existants depuis la mise en œuvre de l’union douanière communautaire en 1967, l’origine des marchandises produites dans plusieurs pays successivement est attachée au pays dans lequel elles « ont subi leur dernière transformation ou ouvraison substantielle, économiquement justifiée, effectuée dans une entreprise équipée à cet effet et ayant abouti à la fabrication d’un produit nouveau ou correspondant à un stade de fabrication important. »
Ces règles d’origine sont dénommées « non préférentielles » ou « de droit commun » dès lors qu’elles n’ont pas pour objectif de conférer un taux réduit de droit de douane au moment de la mise en libre pratique du produit considéré dans l’Union européenne. Elles se distinguent des règles plus exigeantes, relevant de ce que l’on dénomme « l’origine préférentielle » découlant des accords commerciaux de l’Union ou de règlements communautaires unilatéraux.
En revanche, les règles d’origine « non préférentielles » s’avèrent extrêmement importantes pour l’application des mesures de défense commerciale en cas d’imposition de droit antidumping et de droit compensateur, ou dans le cadre de mesures de rétorsion.
L’essence même de ces règles de défense commerciale est de cibler un ensemble de produits et de producteurs dans un pays dénommé (dans les espèces citées la Chine et les Etats-Unis).
La tentation est grande chez certains exportateurs de délocaliser en apparence leurs productions dans un pays qui ne fait pas l’objet des mesures de défense commerciale afin d’éluder le montant des droits lors de l’importation de la marchandise dans l’Union européenne. L’application des règles d’origine non préférentielles permet d’établir la véritable « nationalité économique » du produit en cause.
Ces règles servent également pour appliquer certaines mesures de prohibition contre des produits à raison par exemple de la situation politique de Etat dans lequel ils sont obtenus.
Cette affaire a été jugée par la CJUE le 5 septembre 2024 (C-67/23). Une mesure restrictive prévue par l’article 2 § 2 a) d’un règlement n°194/2008 du 25 février 2008 avait interdit « d’importer les biens énumérés à l’annexe I si ceux-ci:
i) | sont originaires de la Birmanie/du Myanmar ou |
ii) | ont été exportés de la Birmanie/du Myanmar; » |
L’annexe I ciblait « les bois ronds, bois d’œuvre et produits dérivés du bois », à savoir des marchandises relevant des positions 4403 et 4407 de la nomenclature combinée.
Une société allemande avait importé du bois de teck et était spécialisée dans l’importation de ce bois provenant de ce pays. Elle avait continué son activité nonobstant le règlement 194/2008.
Le fournisseur de la société allemande, établi à Taïwan, avait coupé des arbres de teck en Birmanie/au Myanmar puis avait transporté les grumes de ces arbres à Taïwan où celles-ci avaient « ouvrées » dans des scieries. Une juridiction allemande avait constaté que « ces grumes avaient fait l’objet de trois types d’ouvraison à Taïwan. »
« Certaines y avaient été simplement ébranchées et écorcées. D’autres avaient été ébranchées et écorcées, puis équarries, c’est-à-dire découpées en forme de parallélépipèdes rectangles. Enfin, certaines grumes avaient été découpées en traverses ou en planches, c’est-à-dire en bois de teck scié. Après ces ouvraisons, le bois, pourvu de certificats d’origine établis par les autorités taïwanaises, a été transporté par bateau jusqu’à Hambourg, où il a été réceptionné par la société concernée. » (point 25).
Dès lors que le règlement 194/2008 interdisait les importations lorsque ces biens étaient « originaires de la Birmanie/du Myanmar » ou avaient été « exportés de la Birmanie/du Myanmar », le juge allemand avait jugé que les produits avaient acquis l’origine taïwanaise mais n’en demeuraient pas moins « exportés de la Birmanie/du Myanmar ».
Par conséquent, une violation du règlement 194/2008 avait été retenue.
La société allemande avait interjeté appel de cette décision au motif que le point déterminant était que les grumes de teck avaient acquis l’origine de Taïwan à la suite des transformations qu’elles avaient subies dans ce pays. La juridiction d’appel s’interrogeait sur le point de savoir si les opérations à Taïwan avaient été suffisantes pour entraîner un changement de l’origine (point 30).
Le juge considérait par ailleurs que l’expression « exportées de la Birmanie / du Myanmar » ne visait qu’une exportation directe vers l’Union européenne, ce qui n’était pas le cas en l’occurrence puisque le produit avait été exporté vers Taïwan.
La Cour de justice a procédé à l’interprétation de l’article 2 § 2 a) du règlement 194/2008, lu en combinaison avec l’article 24 du code des douanes communautaire.
Elle a tranché le point de savoir si « l’ébranchage, l’écorçage, l’équarrissage ou la transformation en bois scié de grumes de teck constituent des transformations ou ouvraisons déterminant l’origine des marchandises obtenues à la suite de telles opérations. » La Cour de justice rappelle la nécessité que la dernière ouvraison substantielle entraîne une modification qualitative importante des propriétés du produit. Les modifications de la présentation du produit ne suffisent pas.
En premier lieu, la Cour de justice a apporté une réponse négative concernant l’ébranchage et l’écorçage des grumes de teck en cause, dès lors que ces opérations n’affectent « que la présentation du bois. » (point 53).
En second lieu, l’équarrissage des grumes de teck, c’est-à-dire leur découpage en forme de parallélépipèdes rectangles, a été jugée également non déterminant par la CJUE (point 54). La société allemande avait essayé de soutenir que cette opération d’équarrissage apportait une valeur ajoutée de plus de 30%.
Elle entendait faire appliquer les principes consacrés que l’origine est acquise dans le pays où la valeur ajoutée est la plus importante (voir l’arrêt Heko du 10 décembre 2009, C-260/08).
La CJUE souligne que ce critère de la valeur ajoutée ne s’applique qu’en présence de l’assemblage de différents éléments qui aboutissent à une transformation.
Aux yeux de la CJUE, ce critère intervient ainsi de manière subsidiaire lors d’opérations d’assemblage qui n’existaient pas en l’espèce. Enfin, la circonstance que la « réalisation de grumes de tecks équarries nécessite des équipements de sciage spéciaux et ne peut être réalisée que par des professionnels spécialement formés » (point 61) a été écartée.
Cette organisation a été considérée comme insuffisante en soi pour faire acquérir l’origine non préférentielle de Taïwan.
En revanche, en troisième lieu, l’ultime ouvraison pratiquée par les opérateurs de Taïwan, à savoir « la découpe de grumes de teck en bois scié » est apparue suffisante aux yeux de la Cour de justice au motif que « la transformation en bois scié peut en effet être considérée comme constituant l’étape du processus de production au cours de laquelle les marchandises concernées acquièrent leur destination ainsi que des propriétés et une composition spécifiques qu’elles ne possédaient pas auparavant et qui ne sont pas appelées à subir ultérieurement des modifications qualitatives importantes.» (point 64)
Comme le juge la Cour de justice « les grumes de teck et les grumes de teck équarries sont classées sous la position 4403 de la NC, en tant que bois bruts, tandis que le bois de teck scié est classé à un stade d’ouvraison plus avancé, sous la position 4407 de la NC. » (point 65).
Au visa de sa jurisprudence, la CJUE rappelle que « le changement de position tarifaire d’une marchandise, causé par l’opération de transformation de celle-ci, constitue une indication du caractère substantiel de sa transformation ou de son ouvraison » (point 66).
La CJUE a donc donné raison à l’opérateur sur ce point concernant la troisième ouvraison, à savoir la transformation des grumes de teck en bois scié.
Concernant la deuxième question, portant sur le point de savoir si la notion de produits « exportés de la Birmanie/du Myanmar » devait s’entendre d’exportations directes et indirectes, la CJUE a adopté une position « contre-intuitive » mais logique.
Dès lors qu’il existait deux critères, à savoir la question de l’origine et la notion d’exportation, l’origine pouvait viser des circuits de produits qui avaient fait l’objet de transformation dans un autre pays, comme en l’occurrence à Taïwan, caractérisant des flux « indirects ».
La CJUE a considéré que cette disposition sur l’origine serait superflue si la seconde disposition concernant la notion « d’exportation » s’entendait à la fois d’exportations directes et indirectes vers l’UE. La CJUE a considéré que la notion s’entendait d’une exportation directe (point 60).
Enfin, la Cour de justice a rappelé que la production d’un certificat d’origine ne lie pas les autorités douanières qui ont le droit de contrôler l’origine du produit.
Les arrêts de la CJUE en matière d’origine non préférentielle sont relativement rares et celui-ci présente l’intérêt de faire une synthèse complète de toute la jurisprudence de la Cour de justice depuis plus de 50 ans.
La seconde décision est l’arrêt Harley-Davidson rendu par la CJUE le 21 novembre 2024 (C-297/23P). Cette affaire porte sur les relations commerciales entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique. En rétorsion à des droits de douane additionnels imposés par l’administration Trump en 2018, l’Union européenne avait mis en place des droits de 25% notamment sur des motos Harley Davidson. La société américaine éponyme fabricante avait immédiatement et publiquement manifesté auprès de ses actionnaires sa volonté de déplacer sa production en Thaïlande pour ne pas avoir à payer ces droits additionnels.
Cette société avait déjà une usine sur place et elle y a déplacé la fin de sa chaîne de production.
La filiale britannique de Harley-Davidson avait demandé des renseignements contraignants sur l’origine (RCO) à l’administration belge. Après consultation de la Commission européenne, qui aurait émis des réserves (non formalisées) sur la conformité de l’origine thaïlandaise aux règles de défense commerciale, l’administration belge avait délivré les RCO.
Cette autorité avait vérifié que la société remplissait effectivement les critères de l’article 60 du Code des Douanes de l’Union localement. La Commission avait toutefois exigé en 2021 de la Douane belge qu’elle révoque ses RCO, au motif qu’ils seraient contraires à l’article 33 § 1 du règlement délégué complétant le CDU n° 2446/2015 du 28 juillet 2015 : « Toute ouvraison ou toute transformation effectuée dans un autre pays ou un autre territoire est réputée ne pas être économiquement justifiée s’il est établi, sur la base des éléments de fait disponibles, que l’objectif de cette opération était d’éviter l’application des mesures… » [ tarifaires]
La Douane belge avait fini par s’exécuter de mauvaise grâce et le bénéficiaire des RCO contestait les décisions de révocation. Sa requête avait été rejetée par un arrêt du Tribunal de l’Union européenne le 1er mars 2023 (T-324/21).
La société britannique Harley-Davidson avait formé un pourvoi contre cette décision devant la CJUE.
Dans des conclusions très éclairantes du 3 mai 2024, Madame l’Avocate Générale Juliane Kokott avait conclu à l’annulation de l’arrêt du TUE.
La CJUE a néanmoins rejeté le pourvoi, en adoptant un raisonnement diamétralement opposé à celui de son Avocate Générale.
La CJUE a approuvé le Tribunal d’avoir jugé que les termes « l’objectif de cette opération » recouvre « l’objectif principal ou dominant d’une opération de délocalisation ». Le Tribunal pouvait donc retenir que l’opération n’était pas économiquement justifiée dès lors que son objectif principal était d’échapper à la mesure de défense commerciale communautaire (points 50 à 53).
Sur ce point l’Avocate Générale avait construit son opinion sur une interprétation de l’article 33 en ce sens qu’il s’agissait d’une disposition « anti-contournement » impliquant des actes positifs de « manipulations » de l’origine, alors que à ses yeux le Tribunal en faisait une disposition « anti évitement » qui pouvait réprimer des décisions économiques parfaitement avisées (point 89).
Elle soutenait également que la décision prise par Harley-Davidson était complètement conforme à l’objectif de la mesure puisqu’elle aboutissait à affaiblir l’économie américaine en la privant d’une partie de la chaîne de production qui avait été transférée en Thaïlande.
Elle faisait ainsi une analyse très intéressante de l’objectif des droits additionnels adoptés dans le cadre de mesures de rétorsion (point 71)
La CJUE a écarté tous les moyens soutenus par la société.
Elle a ainsi jugé que, contrairement à ce que faisait valoir la société, celle-ci conservait la possibilité de rapporter la preuve de ce que l’objectif principal ou dominant n’était pas d’éviter les mesures de politique commerciale. Cette preuve ne pouvait toutefois pas résulter, selon ce qu’avait jugé le Tribunal « de la recherche à posteriori d’une justification économique ou de la rationalité économique de ladite délocalisation. » (point 62).
À rebours de l’argumentation de la société, la CJUE a considéré que l’objectif principal ou dominant n’était pas une notion de nature subjective, mais que sa caractérisation devait résulter d’éléments objectifs « à savoir des éléments de fait disponibles » (point 63). Il convenait de retenir les faits et données tels qu’ils existaient et se présentaient à la date à laquelle la décision de délocalisation avait été prise, tout appréciation rétrospective étant exclue (point 65-66). Dès lors il incombait à l’administration d’établir les faits justifiant l’application de l’article 33, puis à l’entreprise de réfuter cette présomption par la preuve factuelle contraire.
L’arrêt du Tribunal a également été validé en tant qu’il avait constaté une « coïncidence temporelle » entre la publication du règlement n° 2018/886 instaurant les droits additionnels et la décision de Harley-Davidson de procéder à la délocalisation.
Cette affaire est à retenir, dès lors qu’elle est annonciatrice des controverses juridiques qui vont accompagner le regain de la guerre commerciale entre les grands blocs économiques de la planète.
La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu le 6 novembre 2024 un arrêt instructif sur le contrôle des procédures de « prise en compte de la dette douanière » par l’administration des douanes (pourvoi n° 23-12.486 publié au Bulletin).
La « prise en compte » correspond à l’inscription d’un montant de droits de douane restant à recouvrer à la suite d’une enquête ou d’un contrôle, dans la comptabilité administrative.
Cet acte aboutit à la « mise à disposition » de la dette douanière en faveur du budget communautaire, étant rappelé que les droits de douane sont une « ressource propre » du budget communautaire.
Prévue par l’article 217 du CDC puis par l’article 104 du CDU, la « prise en compte » est une procédure importante pour les redevables. L’inscription dans la comptabilité publique d’un « reste à recouvrer » constitue un acte préjudiciable pour le redevable. L’article 217, lu en combinaison avec l’article 221 du CDC imposait à l’administration de procéder à cette prise en compte avant la « communication de la dette douanière ».
La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne est très ferme depuis 2006 sur la nécessité que la « prise en compte » précède la « communication » de la dette douanière. La jurisprudence de la Cour de cassation a appliqué les principes de la Cour de justice, notamment par un arrêt du 10 février 2015 (n°13-10.774).
Le principe a ensuite été réaffirmé par un arrêt du 16 décembre 2020 (voir notre Lettre d’information n°37 – janvier 2021).
Une communication faite antérieurement à la prise en compte est irrégulière et n’interrompt pas la prescription triennale en matière douanière (voir un arrêt du 20 mars 2012 pourvoi n° 10-18607 publié au Bulletin, cité à notre Lettre d’information n°12 – février 2015).
Le droit douanier communautaire n’a pas fixé quel instrument juridique devait être utilisé pour cette « communication ». En France, le procès-verbal de notification d’infraction est généralement utilisé comme mode de communication de la dette douanière.
Toutefois la pratique de la Douane peut varier. A cet égard, un arrêté du 16 octobre 2024 considère que la communication peut intervenir dans le cadre du document que l’administration établit à la fin de la procédure contradictoire pour répondre aux observations du redevable, dénommé « position définitive de l’administration ».
La Cour de cassation a jugé dans l’arrêt de 2015 précité que le seul acte de communication de la dette douanière était le procès-verbal de notification d’infraction valant notification du redressement. En revanche, l’avis de mise en recouvrement, qui est le titre exécutoire public permettant ensuite d’imposer à la société de payer les droits en litige, ne peut pas remplir cette fonction de communication de la dette douanière.
Dans un arrêt du 23 juin 2021 (pourvois n°19-10.019 et 19-14.472) la Cour de cassation a réaffirmé le principe que la communication de la dette douanière ne pouvait pas intervenir dans le cadre de l’avis de mise en recouvrement (voir notre Lettre d’information n°41 – décembre 2021).
La Cour de justice de l’Union européenne avait jugé le 9 mars 2023 (C-358/22) qu’une « prise en compte » irrégulière à l’encontre d’un débiteur principal, avait pour effet que la dette douanière n’était pas exigible auprès du débiteur principal, de sorte que sa caution était libérée par voie accessoire (voir notre Lettre d’information n°47 mars – avril 2023). La Cour de cassation a appliqué ce principe et libéré la caution dans un arrêt du 21 juin 2023 (pourvoi n°19-23.516 ayant donné lieu à la saisine de la CJUE et à l’arrêt du 9 mars 2023).
En revanche, la CJUE a laissé aux Etats membres la liberté des modalités de la « prise en compte » du support sur lequel cette inscription devait avoir lieu.
A ce niveau, la problématique de la « prise en compte », toujours dans des litiges initiés sous l’empire du CDC, a été renouvelée par une initiative de l’administration des douanes. En effet, pour échapper aux rigueurs de la jurisprudence, la Douane a entrepris de renseigner un document interne créé ex nihilo dénommé « registre de prise en compte, de communication de la dette douanière et de mise en œuvre du droit d’être entendu ».
Un arrêt rendu en chambre mixte par la Cour de cassation (chambre criminelle et chambre commerciale) du 29 mars 2024 a statué sur le point important de savoir si la Douane pouvait interroger la personne contrôlée dans le cadre de l’article 334 du Code des douanes (pourvoi n°21-13.403 voir notre Lettre d’information n°53 – mai-juin 2024). La Cour était également revenue sur la problématique de la prise en compte. L’examen de la tenue du « registre » mis en place par l’administration avait fait apparaître que la « prise en compte » était postérieure à la notification de l’avis de résultat d’enquête.
Toutefois, la Cour de cassation a validé la procédure en considérant qu’un procès-verbal de notification d’infraction (postérieur à l’avis) « régularise la communication de la dette douanière au redevable. »
Cette même solution a été retenue dans l’arrêt du 6 novembre 2024, qui a conduit à la cassation d’un arrêt de la Cour d’appel de Rouen défavorable à l’administration des douanes. L’affaire apparaissait pourtant mal engagée pour l’administration. La prise en compte avait eu lieu le 20 novembre 2015 à 10h30 et l’avis de résultat de contrôle avait été établi le même jour. Il était établi que la communication des droits à la société résultait de cet avis de résultat de contrôle.
La Cour d’appel avait considéré que ce document du 20 novembre 2015, dénommé avis de résultat de contrôle « permettait à la société de connaître le montant de la dette douanière susceptible de lui être réclamée, » et la Cour de cassation retient que « la Cour d’appel a exactement déduit que ce document valait communication des droits à régler au sens de l’article 221 § 1 du Code des douanes communautaire. » (point 9).
La Cour d’appel, pas plus que la Cour de cassation n’avait contesté le caractère prématuré de la communication d’une dette douanière au moment même où l’administration engageait une procédure contradictoire, laquelle pouvait conduire à l’abandon total ou partiel de la taxation envisagée.
La jurisprudence a validé sans hésitation cette façon de procéder qui est très restrictive des droits des opérateurs et vide la procédure contradictoire de toute portée. On peut douter que l’administration examine avec impartialité les observations de la société, alors que la Douane s’est placée sous l’œil inquisiteur des services comptables de la Commission européenne.
En étant ainsi informés de cette « prise en compte », les services bruxellois escomptent à brève échéance la « mise à disposition » des sommes correspondantes.
Pourtant, l’administration pensait sauver sa procédure dans l’affaire de Rouen en soutenant que l’avis de résultat de contrôle n’avait été reçu par le redevable que le 23 novembre 2015, donc postérieurement à la prise en compte de la dette survenue le 20 novembre 2015. La Cour de cassation a écarté ce moyen en rappelant que la CJUE laisse aux Etats membres le choix des « modalités appropriées » pour communiquer la dette. La Cour de cassation a appliqué les principes de l’article 668 du Code de procédure civile qui dispose que « la date de notification par voie postale est, à l’égard de celui qui procède, celle de l’expédition, et, à l’égard de celui à qui elle est faite, la date de réception de la lettre » et a écarté le moyen de l’administration : « … la date de la communication du montant des droits est celle de l’expédition de l’avis de résultat d’enquête valant communication du montant des droits. » (point 15)
Enfin, l’administration, faisant feu de tout bois dans son moyen, tentait de faire juger que la concomitance entre la prise en compte d’une dette douanière et sa communication au redevable respecterait l’obligation faite à l’Etat membre de communiquer la dette au redevable dans les plus brefs délais. Ce moyen a été rejeté par la Cour de cassation, qui comme elle l’avait déjà fait dans les arrêts antérieurs précités dont celui du 10 février 2015, a retenu que « la concomitance des opérations de prise en compte, de communication du montant des droits constitue une irrégularité entachant la validité de l’avis de mise en recouvrement. » (point 19)
En définitive, la jurisprudence de la chambre mixte précitée a permis à l’administration de sauver sa procédure.
Après un rappel des différentes étapes de la jurisprudence de la Cour de justice sur la prise en compte (points 28 et 29), la Cour de cassation a constaté que les autorités douanières conservaient la faculté de procéder à une nouvelle communication de ce montant.
Au point 30, la Cour de cassation a donc rappelé le « standard » de l’arrêt de la chambre mixte. L’administration avait notifié, comme elle le fait toujours, une infraction « de fausses déclarations dans l’espèce tarifaire, par procès-verbal du 18 janvier 2016, entrainant un redressement de droits et taxes pour un montant identique, ce dont il résultait que la communication de la dette douanière avait été régularisée postérieurement à sa prise en compte… » (point 32).
Tout ça pour ça….
La CJUE a rendu un arrêt le 5 décembre 2024 (C-506/23) sur l’articulation entre l’intérêt de retard prévu par le Code des douanes de l’Union et une mesure nationale dénommée « pénalités de retard ».
L’article 232 du Code des douanes communautaire imposait aux Etats membres de faire payer des intérêts de retard en plus de la dette douanière, mais sans fixer leur taux.
En France, le particularisme de la matière douanière (son « tropisme pénal ») a pendant très longtemps eu un corolaire qui apparaissait comme une mesure de faveur pour les redevables, à savoir que la Douane ne recouvrait aucun intérêt de retard.
La situation a changé avec l’article 114 du Code des douanes de l’Union qui a imposé la mise en place d’un intérêt de retard et retenu un taux calculé sur la base du « taux d’intérêt des opérations principales de refinancement » de la Banque Centrale européenne (dit « taux REFI ») augmenté de deux points. Ce taux d’intérêt a été appliqué sur les dettes douanières venant à échéance après l’entrée en vigueur du Code des douanes de l’Union, le 1er mai 2016.
L’administration des douanes a donc fait évoluer sa pratique et commencé à demander des intérêts de 2% / an. On signalera à cet égard que le taux est resté stable pendant très longtemps dès lors que le « taux REFI » était égal à zéro. A partir de juillet 2022, ce taux a rapidement augmenté jusqu’à 4,5 % pour contrecarrer l’inflation.
Nous attirons l’attention de nos lecteurs et lectrices sur les demandes de l’administration, après une longue inertie, tendant à appliquer des taux d’intérêt correspondant au taux actuel (3,15% à ce jour en décembre 2024 + 2 points, soit 5,15%). Des demandes de paiement et calculs d’intérêts à 6,5% pour 2024 ont été récemment reçus.
L’article 114 du CDU ne constitue pas une harmonisation complète des systèmes des Etats membres.
L’arrêt de la CJUE du 5 décembre 2024 tranche l’articulation en la matière entre les ordres juridiques communautaire et nationaux.
Il s’agissait d’un litige sur l’origine de bicyclettes à pédales et/ou électriques et de différentes pièces de rechange déclarées originaires de Thaïlande, importées en Roumanie. Un redressement des autorités roumaines avait fait apparaitre que les marchandises étaient originaires de Chine. Les autorités roumaines avaient donc exigé le paiement des droits anti-dumping qui avaient été éludés, l’intérêt de retard au titre de l’article 114 du CDU, ainsi qu’une « pénalité de retard » au titre d’une règle fiscale locale, à concurrence d’un taux de 0,01% par jour de retard.
Cette pénalité était expressément qualifiée dans le texte roumain comme étant complémentaire de l’intérêt de retard. Le redevable avait obtenu la saisine de la CJUE pour déterminer si l’autorité locale avait le droit d’imposer une « pénalité de retard » nationale en sus de « l’intérêt de retard » communautaire.
Énonçant sa jurisprudence sur l’article 232 du CDC (un arrêt du 31 mars 2011 C-546/09, cité au point 31 de l’arrêt du 5 décembre 2024), la CJUE a retenu que « les intérêts de retard visent à pallier les conséquences du dépassement d’un délai de paiement et à compenser les avantages que l’opérateur économique tire indument du retard pris pour s’acquitter d’une dette fiscale, et non à sanctionner un tel retard. » (point 32).
Sur la base de l’article 42 § 1 du CDU, la CJUE a rappelé que les Etats membres doivent sanctionner les infractions à la législation douanière de manière effective, proportionnée et dissuasive. Les Etats membres conservent une grande liberté en la matière, à condition d’appliquer le principe de proportionnalité. Les sanctions ne doivent pas être démesurés par rapport auxdits objectifs (voir arrêt du 4 mars 2020, C-655/18, cité aux points 34 et 35).
La Cour de justice a jugé qu’« une telle sanction prévue par le droit national n’est pas, par principe, incompatible avec les droits de l’Union, sous des vérifications qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer quant à la proportionnalité de cette sanction ».
De manière beaucoup plus intéressante, la CJUE a enfin pris position de manière formelle sur une controverse concernant l’application du règlement n°2988/95 du 18 décembre 1995 à la matière douanière. Ce règlement relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés est un règlement « transversal » qui s’applique à toutes les politiques publiques communautaires. La jurisprudence sur l’application de ce règlement, à la politique agricole commune en particulier, est extrêmement fournie et dense (voir en matière de prescription l’arrêt du 5 mai 2011, C-201/10, à notre Lettre d’information n°7- mai 2014, 3 septembre 2015, C-383/14, voir notre Lettre d’information n°16 – octobre 2015 dans laquelle nous écrivions déjà que « le règlement n°298895 étant transversal, il s’applique à toutes les politiques et à toutes les ressources de l’Union, donc nécessairement en matière de douane. »)
Bien qu’un arrêt du 4 juin 2009 (C-158/08) de la Cour de justice avait retenu que les dispositions de ce règlement réprimant l’abus de droit étaient applicables à la matière douanière, la chambre commerciale de la Cour de cassation n’avait pas donné tout son effet à ce texte, alors que la question lui avait été expressément posée sur l’application des règles de prescription prévues par le règlement 2988/95 à la matière douanière (voir arrêt du 5 juillet 2017, pourvoi n°14-11.212).
La CJUE vient donc en 2024 consacrer l’applicabilité du règlement n° 2988/95 pour tirer les conséquences des « irrégularités » (articles 4 et 5, point 36) en douane.
Par un arrêt du 5 septembre 2024 (C-344/23), la CJUE a examiné des étiquettes recouvertes de matière plastique ou constituées d’une tige de polyéthylène destinées à être attachées aux poissons vivants afin d’observer leur migration et leur croissance dans le cadre de recherches scientifiques.
Une société lettone avait classé ces produits dans la position 3926 90 92 en tant qu’autres ouvrages en matière plastique et ouvrages en autre matière des n°39013914 qui sont « fabriqués à partie de feuilles. » De ce fait, la société lettonne considérait qu’il s’agissait d’instruments ou d’appareils scientifiques qui devaient bénéficier de la franchise de droits de douane prévue par le règlement 1186/2009 du 16 novembre 2009.
L’administration fiscale lettone considérait qu’il fallait classer ce produit dans la position 3926 90 97 au motif que ces produits plastiques ne seraient pas fabriqués à partir de feuilles.
Le point principal portait sur la notion « d’instruments ou d’appareils scientifiques » bénéficiaires de la franchise de droits de douane. Partant du constat que le règlement 1186/2009 était muet sur la définition des « instruments ou d’appareils scientifiques », la Cour de justice a défini la notion d’appareil comme étant « comprise comme étant un assemblage de pièces destinées à fonctionner ensemble ou un ensemble d’éléments techniques organisés en un ensemble plus abouti qu’un outil et qui possède une fonction. » (point 41).
Elle ajoute que « la notion d’instrument désigne, selon son sens habituel dans le langage courant, un outil ou un objet fabriqué permettant d’effectuer une opération ou un travail. Ainsi cette notion est suffisamment large pour être susceptible de couvrir les étiquettes en cause qui, selon les informations fournies par la juridiction de renvoi sont des outils ou des objets fabriqués servant à marquer des poissons vivants. » (point 42).
La Cour de justice a considéré qu’en définitive les étiquettes en cause sont bien des instruments bénéficiaires de la franchise. Toutefois, la CJUE a relevé que ces étiquettes pouvaient également être utilisées en matière d’aquaculture ou de pêche sportive à des fins industrielles ou commerciales. Ainsi, les caractéristiques techniques objectives des étiquettes ne seraient pas suffisamment poussées pour qu’elles soient « exclusivement ou principalement aptes à la réalisation d’activités scientifiques » au sens de l’article 46 a) du règlement 1186/2009. Le bénéfice de la franchise a donc été écarté.
La Cour de justice a également accepté de répondre à la question sur le classement tarifaire de la marchandise, pour les besoins éventuels du juge national, étant observé que le taux de droits de douane sous les deux positions précitées était identique.
La Cour a observé que les étiquettes comportent une pointe en métal pour les attacher aux poissons et invité la juridiction de renvoi à faire application des règles générales d’interprétation 3 (3a et 3b) pour déterminer si le classement sous la position 3926 (matière plastique) était bel et bien exact. Pour le surplus, la Cour de justice n’avait pas les éléments techniques lui permettant d’être plus précise dans le classement du produit.
La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 18 septembre 2024 (pourvoi n° 21-24.571) concernant le classement tarifaire des emballages. Il s’agissait d’importations de composants japonais transportés dans des caisses en plastique ou dans des modules en métal. Ces emballages étaient ensuite réexportés vides vers le Japon. En conformité avec la règle générale d’interprétation 5 b) de la nomenclature combinée, la société importatrice avait déclaré ces emballages sous la position dans la nomenclature tarifaire de chacun des produits qui y était transportés. La Cour d’appel avait validé ce classement.
La note 5 b) dispose que « sous réserve des dispositions de la règle 5 a), les emballages contenant des marchandises sont classés avec ces dernières lorsqu’ils sont du type normalement utilisé pour ce genre de marchandises. Toutefois, cette disposition n’est pas obligatoire lorsque les emballages sont susceptibles d’être utilisés valablement d’une façon répétée. »
Le pourvoi de la Douane a été accueilli au motif que « la règle générale 5, b), qui est impérative, et dont l’objet est de permettre de déterminer avec précision le classement des emballages contenant des marchandises, ne peut être interprétée comme conférant à l’importateur la faculté de choisir, de façon arbitraire, la position sous laquelle les emballages doivent être déclarés. » (point 8)
La Cour d’appel avait interprété la règle générale comme laissant le choix à l’opérateur concerné de se conformer ou non au principe du classement des emballages avec les marchandises transportées lorsque ces emballages étaient réutilisables.
La Cour de cassation a souhaité apporter une réponse « binaire » ; soit l’emballage est à usage unique et suit le classement de la marchandise. Soit il est réutilisable et si l’on lit l’arrêt de la Cour de cassation les mots « n’est pas obligatoire » devraient être remplacés par « ne s’applique pas », auquel cas les principe de base du classement seraient applicables, à savoir les caractéristiques et propriétés objectives de l’emballage (par exemple sa matière).
Par un arrêt de la chambre commerciale du 6 novembre 2024 (pourvoi 23-15.126) la Cour de cassation a statué sur le classement d’attelles médicales et de ceintures lombaires qui avaient été déclarées sous la position 9021 10 10 du tarif.
En examinant ce dossier, la Cour de cassation intervient dans une matière qui a donné à de très nombreuses controverses devant le Comité de la nomenclature de 2015 à 2020, à savoir le comité des experts nationaux et communautaires qui assure la tenue et l’interprétation en cas de litige de la nomenclature combinée à Bruxelles.
La Cour de justice avait rendu un arrêt très didactique le 7 novembre 2002 (Lohmann C-260) pour faire la différence entre les produits qui seraient des véritables orthèses médicales relevant de la position 9021 (articles et appareils d’orthopédie) par rapport à des produits textiles à classer dans différentes positions des chapitres 62 et 63 de la nomenclature.
Cependant l’évolution technique imposait de revisiter la question.
Comme dans d’autres affaires similaires, l’administration avait reclassé les attelles médicales et les ceintures lombaires à la position 6212 90 00 au taux de 6,5%. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la société.
La Cour de cassation s’est appuyée sur l’arrêt du 7 novembre 2002 pour valider l’arrêt de la Cour d’appel qui avait retenu que « cette ceinture a pour finalité le traitement de douleurs et non de maladies ou de blessures et que la société allègue, sans en justifier, qu’elle est utilisée dans la prévention, le contrôle, le traitement ou l’atténuation de maladies, traumatismes ou pathologies et pour le remplacement à la position d’équilibre de vertèbres, la cicatrisation de disques vertébraux ou encore la cicatrisation de tissu mou. »
La Cour d’appel avait jugé que la société « ne rapporte pas la preuve qu’elles reprennent ou remplacent la fonction de la partie du corps déficiente ou infirme. » La société avait également proposé comme indice du caractère médical de la marchandise un remboursement par la Sécurité sociale qui a été jugé inopérant.
En définitive, les ceintures lombaires ont été assimilées aux corsets ou gaines de la position 6212, à l’instar de nombreux autres produits reclassés dans les chapitres 62 et 63 après maintes délibérations bruxelloises.
Le classement tarifaire de ces orthèses médicales est donc un cas extrêmement intéressant illustrant le caractère multifactoriel des critères de classement d’un produit, imposant une hiérarchisation complexe génératrice de positions divergentes entre les Etats membres.