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n° 52 Février – Avril 2024
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La Lettre d’information en bref
- La jurisprudence en droit des transports :
- Les Cours d’appel de Paris et de Versailles ont rendu des décisions sur la reconnaissance d’un cas de force majeure ou non en cas de vol avec violence.
- La Cour d’appel d’Aix en Provence a mis à la charge de la compagnie maritime, ayant agi en qualité de commissionnaire de transport pour le préacheminement terrestre, la perte d’une marchandise refusée à l’embarquement maritime.
- La Cour d’appel de Paris a appliqué la prescription annale de la Convention CMR à une prestation de transit sur une plateforme de « cross docking ».
- La Cour d’appel de Paris a statué sur la responsabilité d’un commissionnaire de transport concernant des marchandises sous sa garde au moment d’un vol.
- La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre une décision d’appel qui avait retenu la faute du transporteur au visa de l’article 11 de la CMR, dès lors que le chauffeur avait sciemment édité un carnet TIR erroné avant le passage de la frontière.
- En droit de la propriété intellectuelle, une décision intéressante de l’Office de l’Union Européenne de la Propriété Intellectuelle (EUIPO) a consacré la force de la marque NIVEA.
- La jurisprudence en droit douanier :
- La Cour de cassation a écarté toute faute de la Douane pour n’avoir pas exigé une caution auprès d’un commissionnaire en douane dont la solvabilité s’affaiblissait.
- Un arrêt rendu en matière de contributions indirectes sur la garantie des métaux précieux illustre la sévérité des règles qui s’imposent aux professionnels.
- Plusieurs décisions pénales rappellent la jurisprudence sur les conditions d’une relaxe pour bonne foi et sur les devoirs des juges lorsqu’ils fixent une sanction douanière.
Vincent Courcelle-Labrousse avait conseillé Justine Triet et Arthur Harari sur les aspects judiciaires du scénario d’Anatomie d’une Chute. Tous deux ont reçu l’Oscar du meilleur scénario original lors de la cérémonie du 11 mars 2024.
Stéphane Le Roy est intervenu le 19 mars 2024 lors de la conférence de l’Institut des Avocats Conseils Fiscaux (IACF) à la maison du Conseil National des Barreaux, portant sur « L’entreprise et ses dirigeants confrontés aux risques répressifs douaniers ». Il a fait le point sur la réforme du droit de visite des agents des douanes (article 60 réformé du Code des douanes).
Aurélie Giordano, membre de l’association WISTA, réseau international de femmes occupant des postes à responsabilités dans le monde maritime, a pu assister aux vœux de WISTA France le 30 janvier 2024 à Marseille dans les locaux de la Compagnie du Ponant, pour échanger sur les défis maritimes de 2024.
Deux véhicules non blindés sécurisés transportant des pièces de haute joaillerie ont été victimes d’un braquage par un commando lourdement armé.
La Cour d’appel de Paris a accordé au transporteur le bénéfice du cas exonératoire de force majeure par un arrêt du 20 décembre 2023 (RG n°22/04681).
La Cour d’appel a jugé que le transporteur avait mis en œuvre les mesures prescrites par la règlementation des transports de valeurs et les usages de la profession et que « les convoyeurs disposaient de moyens radio et électroniques leur permettant de donner l’alerte, ce qu’ils ont fait; que la société de télésurveillance électronique concernée a immédiatement avisé les forces de l’ordre ; que dès qu’il a été informé le peloton d’intervention rapide de la Gendarmerie basé à proximité du lieu de l’attaque s’est immédiatement rendu sur place ; que cette unité d’élite, disposant de moyens lourds, arrivant au contact d’une bande d’une quinzaine d’assaillants équipés d’armes puissantes et qui a pris des otages, a décidé de ne pas intervenir ; qu’elle a ensuite entamé une poursuite des ‘ braqueurs’ dans leur fuite, mais a dû renoncer peu après face à l’armement et à la détermination des agresseurs prêts à déclencher ‘un carnage’. »
Compte tenu de ces circonstances, la Cour a considéré que l’évènement était irrésistible et que le transporteur avait pris les « mesures et précautions adéquates pour éviter les conséquences dommageables dudit évènement. »
Après avoir rappelé que la notion de force majeure issue de la Convention CMR ne contient aucune condition d’imprévisibilité, la Cour a retenu le cas exonératoire de force majeure au profit du transporteur en raison « de l’existence de circonstances que le transporteur ne pouvait pas éviter et aux
La Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 29 février 2024 (RG n°22/02009), a refusé de considérer un vol avec violence comme constitutif d’un cas de force majeure.
Après avoir rappelé qu’il est « constant que le vol de marchandises, hors circonstances exceptionnelles, telles que les vols avec violence ou les agressions, ne constitue pas un cas de force majeure pour exonérer le transporteur de sa responsabilité », la Cour a relevé que le vol avec violence était survenu dans cette affaire alors que le voiturier avait choisi de garer son camion de nuit, sur une aire de stationnement non close et non gardée. Ce choix écartait la reconnaissance de l’imprévisibilité du vol et donc la qualification de force majeure, puisque le voiturier n’avait pas pris « toutes les mesures requises pour éviter la réalisation de l’événement ».
Lors d’un transport de conteneurs chargés de maïs en vrac, sous température dirigée, la Compagnie CMA CGM avait agi à la fois en qualité de commissionnaire de transport et de transporteur maritime.
Au moment du chargement à bord du navire, un des conteneurs a été écarté en raison d’une température anormalement élevée. La marchandise empotée a ensuite été détruite.
La Cour d’appel d’Aix en Provence, dans un arrêt du 1er février 2024 (RG n°19/17471), a relevé que le contrat de transport multimodal proposé par CMA CGM incluait une phase de préacheminement terrestre et une phase d’acheminement maritime.
La Cour a refusé d’appliquer la Convention de Bruxelles de 1924 aux motifs qu’aucun connaissement ou document similaire attestant du transport maritime n’avait été émis et qu’en l’absence de prise en charge effective du conteneur le contrat de transport maritime n’avait pas pris effet.
La Cour en a conclu que les dommage survenus à la marchandise relevaient de la phase de préacheminement terrestre et que la responsabilité de CMA CGM pouvait donc être engagée sur le fondement des articles L.132-4 et suivants du Code de commerce, celle-ci ayant agi en qualité de commissionnaire de transport au stade du préacheminement terrestre.
La compagnie CMA CGM ne pouvait donc pas se prévaloir des limitations de la Convention de Bruxelles originelle et, faute d’invoquer d’autres limitations, a été condamnée à indemniser la totalité des dommages subis par les intérêts cargaison.
Au cours d’un transport international de marchandises, couvert par deux lettres de voiture CMR, des marchandises ont été volées alors qu’elles se trouvaient sur une plateforme de « cross docking » lors de leur transit en France et avant leur prise en charge par le transporteur final.
Dans un arrêt du 13 février 2024 (RG n°23/04993), la Cour d’appel de Paris a noté que le commissionnaire de transport avait été chargé de la réalisation des transports de bout en bout, « aucune rupture de charge n’étant prévue au cours du transport », « nonobstant un transit chez un prestataire pour faire transiter la marchandise d’un camion à un autre. ». La Cour a relevé qu’il n’existait pas de contrat distinct pour la prestation de dépôt pour le transit des marchandises et que cette prestation n’avait pas donné lieu à un paiement séparé. Enfin, la Cour a considéré que le fait que l’entrepositaire ne figurait pas sur la lettre de voiture était « sans incidence sur l’analyse du caractère accessoire de la prestation » qui constituait « une prestation nécessaire à l’achèvement du transport ».
La Cour en a conclu que la prestation de transit, exécutée par un substitué du commissionnaire, faisait « partie intégrante du contrat de transport », de sorte que le régime spécifique du contrat de transport s’appliquait à la prestation de transit, en ce compris la prescription annale prévue la CMR. L’action en garantie du commissionnaire contre son substitué ayant réalisé la prestation de transit, a été jugée prescrite car exercée après le délai d’un an.
Un commissionnaire avait confié le transport routier de marchandises à un transporteur, mais ce transport avait été scindé en deux. Le voiturier avait effectué le premier transport, puis avait remis la marchandise au commissionnaire, dans ses locaux. Le voiturier devait venir reprendre la marchandise le lendemain pour l’acheminer vers son point de livraison final. Or, la marchandise avait été volée dans la nuit.
La Cour de Paris, dans un arrêt du 25 janvier 2024 (RG n°21/03700), a jugé mal fondé l’appel en garantie du commissionnaire contre le transporteur, car (i) la lettre de voiture portait uniquement sur un transport du lieu de prise en charge de la marchandise jusqu’aux entrepôts du commissionnaire, (ii) le chauffeur avait remis au commissionnaire les documents de transport, et (iii) le commissionnaire avait accepté la remorque contenant la marchandise stationnée dans ses entrepôts. La prestation de transport avait ainsi « pris fin au moment où la remorque avait été dételée et les documents de transports avaient été remis » au commissionnaire. Le vol étant survenu postérieurement à la fin de ce premier transport et antérieurement au second, la Cour a considéré qu’au moment du vol la remorque contenant la marchandise se trouvait sous la garde du commissionnaire dont seule la responsabilité pouvait être recherchée.
Par un arrêt du 27 mars 2024 (pourvoi n°22-22.586), la Cour de cassation a rappelé « qu’il résulte de l’article 11 de la CMR qu’il incombe à l’expéditeur de mettre à la disposition du transporteur les documents nécessaires à l’accomplissement des formalités de douane et que le transporteur n’est pas tenu d’examiner si ces documents sont exacts ou suffisants, l’expéditeur étant responsable de tous dommages pouvant résulter de l’insuffisance ou de l’irrégularité de ces documents, sauf faute du transporteur. »
En l’espèce, le chauffeur n’avait pas attendu la communication des documents manquants avant de passer la frontière et avait sciemment édité un carnet TIR ne faisant mention que d’une partie des marchandises transportées. La douane étrangère s’en était aperçue et avait saisi les marchandises non mentionnées sur le carnet TIR.
La Cour d’appel avait jugé qu’en agissant ainsi le chauffeur avait commis une faute engageant la responsabilité du transporteur envers le commissionnaire de transport, ce que la Cour de cassation a approuvé en rejetant le pourvoi.
Dans une décision du 24 janvier 2024 n° B2781550, Beiersdorf AG / Diffulice Sàrl , l’EUIPO a consacré la force de la marque NIVEA.
Le 31 décembre 2015, la société suisse Diffulice Sàrl dépose une marque semi-figurative internationale désignant l’Union Européenne «Body Minute » n° 1281623, en substance pour des produits cosmétiques (classe 3), des appareils de dépilation (classe 8) et des services d’esthétique corporelle (classe 44) (ci-après « Body Minute »).
Le 4 octobre 2016, la société allemande Beiersdorf AG forme opposition à l’encontre de la partie européenne de cette marque internationale, notamment sur la base d’une marque semi-figurative de l’Union Européenne « NIVEA » n° 010526782, enregistrée en substance pour des produits cosmétiques (classe 3), des produits pharmaceutiques (classe 5) et des services d’esthétique corporelle (classe 44) (ci-après « Nivea »).
Marque antérieure opposée n° 010526782 | Demande de marque contestée n° 1281623 |
Reconnaissance d’un droit de marque non-enregistré accordé à NIVEA sur : | |
Si Body Minute a partiellement remporté une procédure en déchéance pour défaut d’usage sérieux à l’encontre de la marque antérieure précitée pour d’autres produits et services, ce n’est pas l’objet du présent commentaire.
Celui-ci s’intéresse à la procédure d’opposition elle-même et à la spectaculaire protection conférée par l’EUIPO à la marque « NIVEA ».
En effet, Nivea revendiquait la renommée de sa marque opposée sur le fondement de l’article 8 (5) du règlement sur la marque de l’Union Européenne. En vertu de cet article, une demande de marque doit être refusée à l’enregistrement lorsqu’elle porte atteinte à une marque de renommée antérieure, ce qui suppose la réunion de 3 conditions cumulatives :
- Les signes composant la marque antérieure et la demande de marque sont soit identiques, soit similaires.
- La marque antérieure bénéficie d’une renommée au sein de l’Union Européenne pour les produits et/ou services sur lesquels se fonde l’opposition, cette renommée devant avoir été acquise antérieurement à la date de dépôt de la demande de marque.
- L’usage sans juste motif de la demande de marque tirerait indûment profit de, ou porterait préjudice à, la distinctivité ou la renommée de la marque antérieure.
Après avoir rappelé que la renommée d’une marque suppose qu’elle soit connue d’une partie significative du public pour les produits et/ou services en cause, l’EUIPO analyse les preuves produites par Nivea tendant à démontrer la renommée de sa marque.
En se basant sur de nombreuses preuves, l’EUIPO va considérer que la marque « NIVEA » a acquis une forte renommée au sein de l’Union Européenne pour des cosmétiques, essentiellement en Allemagne.
L’EUIPO relève notamment que :
- la combinaison des couleurs bleu et blanc est utilisée par Nivea depuis 1924, soit 100 ans ;
- des études indépendantes démontrent que la part de marché de Nivea sur les cosmétiques est conséquente, certaines ayant même relevé qu’il s’agissait d’une « méga-marque», « l’une des plus connues » et que le « Bleu était la couleur habituelle de tous les packagings Nivea » ;
- des sondages illustrent le fait que Nivea est l’une des marques les plus citées de manière spontanée en matière de cosmétiques, en ce compris sous la forme « NIVEA » ;
- des articles de presse relatent le fait que « Nivea fait partie des marques les plus connues en Europe, aux côtés de Coca-Cola, Sony et BMW» ;
- les tribunaux allemands ont reconnus que Nivea bénéficiait d’un droit de marque non-enregistré portant sur « », sans élément verbal, en matière de cosmétiques, compte tenu de sa forte notoriété.
Comparant les signes en litige, l’EUIPO va d’abord s’intéresser à la distinctivité de ceux-ci :
- S’agissant de « NIVEA», l’EUIPO relève que le terme « NIVEA » est dépourvu de sens et intrinsèquement distinctif ;
- S’agissant de « BODY MINUTE», l’EUIPO considère que les termes « BODY » et « MINUTE » ne sont pas distinctifs, en ce qu’ils renvoient respectivement à la nature des produits et services (le corps humain) et au faible temps nécessaire à leur application/utilisation (en une minute).
Dans ce contexte, l’EUIPO va donner une prépondérance aux cercles colorés présents dans la demande de marque « BODY MINUTE », pour conclure à la similarité des signes en présence, puis à l’identité et à la similarité des produits et services visés par la demande de marque. Se fondant sur la renommée de la marque « NIVEA », l’EUIPO va juger que la demande de marque «BODY MINUTE » risque de tirer indûment profit et de porter atteinte à la renommée et à la distinctivité de Nivea. La demande de marque « BODY MINUTE » est donc rejetée.
En conclusion, « » étant une « méga-marque » bénéficiant d’une renommée exceptionnelle en matière de cosmétiques, est un sens interdit pour ceux qui voudraient déposer des demandes de marques pour des produits ou services en lien avec la cosmétique, contenant une ou des formes rondes bleues associées à des éléments verbaux peu ou non distinctifs.
Nivea, la crème qui marque.
La lutte contre le blanchiment est organisée de longue date aux articles 324-1 suiv. du Code pénal.
Le législateur n’a pas simplifié l’arsenal législatif en créant en plus un délit de « blanchiment douanier » à l’article 415 du Code des douanes par une loi n° 96-392 du 13 mai 1996. Le texte s’est complexifié au fil des réformes. Dans son état résultant de la loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 sont punis « …ceux qui auront, par exportation, importation, transfert ou compensation, procédé ou tenté de procéder à une opération financière entre la France et l’étranger portant sur des fonds qu’ils savaient provenir, directement ou indirectement, d’un délit prévu par toute législation que les agents des douanes sont chargés d’appliquer ou portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne, ou d’une infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants, y compris si les activités à l’origine de ces fonds ont été exercées sur le territoire d’un autre Etat membre de l’Union européenne ou sur celui d’un Etat tiers… »
Le champ application est très vaste, toutefois la preuve du lien entre l’infraction principale et le blanchiment pose des problèmes ardus.
Un article 415-1 a été ajouté par la loi 2016-731 du 3 juin 2016 pour créer une présomption : « Pour l’application de l’article 415, les fonds ou les actifs numériques mentionnés à l’article L. 54-10-1 du code monétaire et financier sont présumés être le produit direct ou indirect de l’une des infractions mentionnées à l’article 415 du présent code lorsque les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération d’exportation, d’importation, de transfert, de compensation, de transport ou de collecte ne paraissent obéir à d’autre motif que de dissimuler que les fonds ou les actifs numériques mentionnés à l’article L. 54-10-1 du code monétaire et financier ont une telle origine. »
Ces deux textes posent des problèmes épineux tranchés en jurisprudence dont nous avons souvent rendu compte (crim. 25 mars 2015 pourvoi n° 13-18.422 publié au Bulletin, cf. notre Lettre d’information n° 14 – avril-mai 2015, 18 mars 2020 pourvoi n°18-86491 publié au Bulletin, notre Lettre d’information n° 36 – septembre-décembre 2020, 26 janvier 2022 pourvoi n° 21-84.228, notre Lettre d’information n° 42 – janvier-avril 2022).
Un arrêt du 10 janvier 2024 de la chambre criminelle (pourvoi n° 22-85.721 publié au Bulletin) apporte de nouvelles précisions.
En 2017, des douaniers avaient contrôlé un automobiliste qui se rendait au Luxembourg en vue d’y prendre un vol à destination de la Turquie. Le conducteur avait déclaré transporter 60.000 €. Lors de la fouille du véhicule, les agents avaient retrouvé la somme de 176.750 €. Le juge pénal avait confisqué cette somme et condamné l’intéressé du chef des deux délits de blanchiment (une amende de 176.750 € en plus de la confiscation) et d’un manquement à l’obligation déclarative des transferts d’argent liquide (amende de 50 % de la valeur).
A titre liminaire, la Cour de cassation confirme que les poursuites du blanchiment ordinaire et du blanchiment douanier peuvent être cumulatives au motif (point 8) que : « la condamnation du chef des deux qualifications de blanchiment et blanchiment douanier résulte de la mise en oeuvre d’un système intégrant l’action pénale, d’une part, et l’action douanière, d’autre part, laquelle poursuit l’application de sanctions fiscales et non de peines, permettant au juge pénal de réprimer un même fait sous ses deux aspects, de manière prévisible et proportionnée, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne devant pas dépasser le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues. »
Pour caractériser le blanchiment douanier, le juge du fond avait appliqué la présomption prévue par l’article 415-1 et avait arrêté sa décision en relevant que « les conditions de découverte des sommes dissimulées dans les bagages du prévenu, ses déclarations précises et circonstanciées aux agents des douanes et au juge d’instruction, le rôle d’intermédiaire qu’il a reconnu avoir joué à la demande de diverses personnes dont il n’a pas révélé l’identité exacte au magistrat instructeur, établissent que la dissimulation constatée lors du contrôle du 7 octobre 2017 avait pour objectif de cacher l’origine occulte des sommes transportées en direction de la Turquie », sans plus de précision (point 15).
La Cour de cassation a jugé cette recherche insuffisante. Il ne s’agissait pas « …seulement de rechercher si les conditions matérielles, juridiques ou financières de l’opération d’exportation, d’importation, de transfert ou de compensation ne paraissaient obéir à d’autre motif que de dissimuler l’origine illicite des fonds, mais de rechercher si elles ne paraissaient pas obéir à d’autre motif que de dissimuler qu’ils étaient le produit d’une des trois catégories d’infractions visées à l’article 415-1 du code des douanes. » Cette précision est bienvenue pour éviter des poursuites insuffisamment prouvées.
De plus, la Cour de cassation a apporté une autre précision nécessaire en cas de concomitance avec un manquement à l’obligation déclarative des transferts d’argent liquide : « les fonds transportés sans déclaration en méconnaissance de l’article L. 152-1 du code monétaire et financier n’étant pas le produit de cette infraction, celle-ci ne peut, en l’espèce, constituer le délit d’origine de l’infraction de blanchiment douanier. » (point 19)
Espérons que cette décision mettra un terme à la sur-qualification en matière de manquements à l’obligation déclarative des transferts d’argent liquide.
La Cour de cassation a rendu deux décisions dans la série de contentieux dite « affaire Rommel ». L’Agence Maritime Rommel était un commissionnaire en douane agréé qui avait été mandaté par d’autres commissionnaires, pour dédouaner au nom de différents importateurs dans des ports distincts où les donneurs d’ordre n’étaient pas implantés. La société Rommel était alors au bord de la faillite. En 2014-2015, dans l’affaire commentée ici, la société Rommel avait facturé sa prestation et, à titre de débours, la TVA à l’importation exigible. Le commissionnaire en douane intermédiaire avait recouvré ce montant sur son client et l’avait reversé à la société Rommel. Celle-ci bénéficiait d’un différé de paiement à la Douane grâce à son « crédit d’enlèvement ».
La société Rommel a déposé le bilan en avril 2015 et les dernières échéances de TVA à payer à l’administration n’ont pas été honorées. Le receveur a alors actionné les importateurs qui ont souvent dû payer et ont engagé diverses actions contre les représentants « intermédiaires » et/ou contre l’administration. En effet, l’administration avait eu connaissance de la situation obérée de la société Rommel depuis la fin de 2013.
La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts similaires le 24 janvier 2024.
Le premier arrêt (pourvoi n° 22-13.103, publié au Bulletin) est une contestation de l’avis de mise en recouvrement notifié à l’importateur pour avoir paiement de la TVA. L’importateur invoquait l’absence de procédure contradictoire.
La Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir jugé que l’AMR n’avait été émis qu’en raison du non-paiement de la créance à l’échéance sans aucune forme de redressement : « Lorsque les droits impayés ont été déclarés par le redevable ou son représentant, sans que l’administration remette en cause leur montant, le principe du respect des droits de la défense n’impose pas la mise en œuvre d’un échange contradictoire préalable à l’émission de l’avis de mise en recouvrement. » (point 10)
Dans la même affaire, l’importateur mettait en avant la responsabilité de l’administration pour ne pas avoir exigé une caution de la société dont elle connaissait pourtant la situation financière dégradée. Ainsi la société Rommel avait fait l’objet d’une inscription non contestée du privilège du Trésor depuis le 11 octobre 2013, ce qui caractérisait l’existence d’un passif non réglé et admis comme dû.
L’importateur soutenait également que le représentant en douane, s’il est solidairement responsable avec le destinataire lorsqu’il dédouane dans le cadre de la « représentation indirecte » (aux termes de l’article 293A du code général des impôts) n’est pas pour autant un « redevable » de la TVA qui bénéficiait de droit de la dispense de cautionnement prévue par l’article 114 du code des douanes.
La Cour de cassation a jugé au contraire qu’ « Il résulte de la combinaison de ces textes [art 293 A CGI et 114 CD] que le commissionnaire en douane agissant en exécution d’un mandat de représentation indirecte donné par la personne désignée comme destinataire réel des biens dans la déclaration d’importation bénéficie, en tant que débiteur de la TVA à l’importation, solidairement avec le redevable de cette taxe, de la dispense légale de caution prévue à l’article 114, 1 bis, du code des douanes. » (point 18).
La question des conséquences de l’inscription non contestée du privilège a été tranché de manière alambiquée par la Cour de cassation.
Sur la base d’une analyse de l’article 5 d’un décret 2006-741 du 27 juin 2006 pris pour l’application de l’article 114 du Code des douanes, la juridiction considère que le chef du service comptable constatant l’inscription non contestée n’était pas tenu de réclamer la constitution d’une caution à l’égard de la société Rommel.
L’importateur critiquait l’arrêt de la cour d’appel pour avoir jugé « d’une part, que la société Agence maritime Rommel bénéficiait d’une dispense légale de caution, d’autre part que, si l’administration des douanes avait la possibilité d’exiger un cautionnement, dès lors que cette société faisait l’objet d’une inscription de privilège depuis le 11 octobre 2013, il ne s’agissait que d’une faculté et non d’une obligation. »
Cependant, la Cour de cassation a validé l’arrêt en considérant que « le défaut d’exercice de la faculté prévue à l’article 114, 1 ter, du code des douanes ne peut constituer une faute de nature à engager la responsabilité de l’administration des douanes. » (point 23). Si l’administration n’est responsable que lorsqu’elle n’exerce pas une prérogative qui lui était imposée, les cas de responsabilité, déjà très peu nombreux, ne pourront que se réduire.
Dans la seconde décision du 24 janvier 2024 (pourvoi 21-17.776, publié au Bulletin), la Cour de cassation a cassé un arrêt de la Cour d’appel de Rouen qui avait accueilli l’action en responsabilité diligentée par l’importateur contre l’administration des douanes.
L’arrêt d’appel avait jugé que « si l’article 114, 1 ter, du code des douanes ne fait pas obligation à l’administration des douanes d’exiger un cautionnement pour la TVA liquidée, il lui confère cependant une prérogative qu’elle ne peut refuser d’utiliser qu’à condition de le faire sans commettre de faute engageant sa responsabilité ». En appliquant la même motivation que celle rapportée dans l’espèce ci-dessus, la Cour de cassation a jugé que la Douane n’avait pas engagé sa responsabilité.
Un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 10 janvier 2024 (22-82.574, publié au Bulletin) a statué sur une importante affaire impliquant la garantie des métaux précieux. Une société et sa filiale, localisées dans deux villes, et avec des locaux secondaires séparés, avaient méconnu leurs obligations de déposer une déclaration d’existence et de tenir un livre de police à jour des entrées et sorties, puis des opérations de transformation de bijoux commercialisés, avec des défauts ou des irrégularités dans les poinçonnages qui garantissent la pureté du métal utilisé.
Le jugement du tribunal correctionnel était illustratif de la férocité et de l’archaïsme du droit des « contributions indirectes ». La première société s’était vu infliger une pénalité proportionnelle de 3 203 105 € concernant 1405 ouvrages en métaux précieux mal déclarés et la confiscation des marchandises saisies.
La seconde société avait été condamnée à 15 € d’amende pour chacune des 37030 opérations irrégulières constatées, une pénalité de 6 565 144 € pour 8725 ouvrages et autant pour valoir confiscation des ouvrages en infraction, plus des amendes pour des manquements ponctuels.
La Cour d’appel de Douai avait globalement confirmé les décisions. La Cour de cassation l’a suivie, avec des censures partielles notables.
La Cour de cassation a consacré le principe au visa des articles 537 et 538 du code général des impôts qu’« un même ouvrage, dont ni l’entrée ni la sortie n’a été consignée dans les différents lieux où il est successivement détenu, peut donner lieu à l’établissement de plusieurs infractions au titre du défaut d’inscription dans un ou plusieurs livres de police distincts » (point 22).
Il y avait eu de nombreux défauts d’enregistrement chronologiques de certains mouvements, des écarts de numérotation sur les lignes comptables. Environ 25 % des lignes correspondant à des numéros de mouvements de métaux précieux avaient fait l’objet de modifications après-coup. Aucune raison n’avait été avancée pour ces faits portant atteinte à la traçabilité des ouvrages.
Ainsi concernant les modes de preuve, la Cour de cassation a admis que les écritures comptables classiques puissent constituer un mode de preuve si elles sont enregistrées sur une séquence infalsifiable a posteriori. Cependant, une comptabilité commerciale ne porte que sur l’achat et sur la revente et pas sur les opérations intermédiaires de transformation qui devaient faire l’objet en sus des « documents comptables complémentaires et les pièces justificatives nécessaires. » (point 32)
La Cour a ajouté que « Lesdits documents comptables doivent, pour bénéficier d’une valeur probante, être conformes aux normes comptables…
« …. Les données comptables communiquées par l’assujetti, si elles sont issues d’une comptabilité informatisés doivent être présentées par ordre chronologique et sous une forme exclusive de toute modification ou suppression postérieure à leur validation. » (points 33-34).
La Cour a toutefois partiellement censuré l’arrêt.
En premier lieu, certaines opérations identiques étaient reprises en doublon sur les deux citations et dans les procès-verbaux de notification d’infraction. Les prévenus s’en étaient plaints, mais la Cour d’appel n’avait pas vérifié ce fait (point 41).
En second lieu, la Cour de cassation a censuré l’arrêt concernant les poinçons illisibles ou manquants qui avaient fait l’objet de constatations par procès-verbaux. La Cour d’appel avait écarté d’un revers de main les explications des prévenus.
La Cour de cassation rappelle au visa de l’article L238 du Livre des Procédures Fiscales qu’« en matière d’infractions à la législation sur les contributions indirectes, les procès-verbaux des agents de l’administration font foi jusqu’à preuve contraire des faits qui y sont constatés et que le prévenu a le droit de combattre ces procès-verbaux par tous les moyens légaux de preuve. » (point 44)
En troisième lieu, la Cour de cassation a censuré la décision portant sur le montant d’amendes (points 56-61) et des confiscations « en valeur » (points 63 à 69). En effet, la Cour d’appel n’avait pas individualisé certaines pénalités et confiscations en fonction de l’ampleur et la gravité des infractions et de la personnalité de leurs auteurs. Les juges du fond avaient appliqué mécaniquement les minima légaux pour certaines amendes (cf. les décisions rendues fin 2022-début 2023 commentées dans notre Lettre d’information n° 46 – janvier-février 2023).
En quatrième lieu, une cassation a été prononcée concernant la responsabilité pénale d’une des sociétés, au visa de l’article 121-1 du code pénal, faute d’avoir démontré sa « participation personnelle » aux faits d’absence de déclaration d’existence et de non-présentation des registres (points 71-76).
Quatre arrêts rendus le 7 février 2024 par la chambre criminelle confirment les tendances répressives en contentieux pénal douanier.
- L’arrêt rendu concernant un pourvoi n° 22-482.261 énonce qu’une demande d’annulation fondée sur un contrôle irrégulièrement conduit dans le cadre de l’ancien article 60 du Code des douanes ne peut être formulée que par la personne contrôlée.
- Concernant un pourvoi n° 22-83.778, la décision rappelle la jurisprudence très sévère de la Cour de cassation pour admettre la bonne foi (« fait justificatif » permettant la relaxe). Un arrêt indulgent de Cour d’appel a été cassé, dès lors que le juge du fond avait relaxé le prévenu « sans relever que les prévenus ont établi leur bonne foi en rapportant la preuve de diligences effectuées pour s’assurer de la nature des marchandises transportées, avant même d’en prendre possession. » (cf. également en ce sens les arrêts des 22 mars 2023 (21-87.028) et 5 avril 2023 (22-83.427), à notre Lettre d’information n° 48- mai-juin 2023)
- La troisième décision (pourvoi n° 22.87.426, publiée au Bulletin) rappelle, en matière de manquement à l’obligation déclarative, que le juge qui prononce un amende « doit également motiver sa décision au regard de l’ampleur et de la gravité de l’infraction commise ainsi que de la personnalité de son auteur, quel que soit le montant de l’amende qu’il retient.»
- Enfin dans une affaire de contrefaçon (pourvoi n° 22-83.659, publiée au Bulletin), l’arrêt d’appel est censuré car le juge a retenu des informations communiquées dans une note en délibéré apparemment convaincante sur l’impécuniosité du prévenu… mais semble-t-il non remise à la Douane. De plus, l’arrêt a été cassé car l’amende tenait compte de la situation financière du prévenu, qui n’est pas un des critères prévus par l’article 369 du Code des douanes (Cf. la Lettre n’46 précitée).