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n° 47 – Mars-Avril 2023
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La Lettre d’information en bref
- Stéphane Le Roy est intervenu lors de la conférence de l’Institut des Avocats Conseils Fiscaux (IACF), consacrée aux « Actualités du droit douanier : quelle place pour la Douane en 2023 face aux mutations en cours ? »
- Nicolas Godefroy est intervenu lors d’un atelier de l’ADC (Association Design Conseil) sur l’usage des typographies.
- La Cour de cassation a complété sa jurisprudence sur l’application du principe du contradictoire pendant les enquêtes douanières (« droit d‘être entendu ») et sur la nécessité de préciser les bases de calcul des redressements.
- La Cour de cassation s’est prononcée sur la communication des informations et documents se trouvant dans le dossier administratif dans le cadre du « droit d’être entendu » prévu à l’article L80 M du Livre des Procédures Fiscales.
- La Cour de cassation a rejeté un pourvoi contre une décision refusant la remise de la dette douanière en l’absence d’une « erreur des autorités douanières compétentes ».
- La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a publié un arrêt bienvenu sur les droits des sociétés qui se portent caution de la dette douanière.
- La CJUE a validé la production des preuves de certaines livraisons intracommunautaires en matière de TVA.
- La CJUE a rendu une décision en matière de classement tarifaire.
Stéphane Le Roy est intervenu le 14 mars 2023 lors de la conférence de l’Institut des Avocats Conseils Fiscaux (IACF) à la maison du Conseil National des Barreaux, consacrée aux « Actualités du droit douanier : quelle place pour la Douane en 2023 face aux mutations en cours ? » Il a fait le point sur les évolutions de la jurisprudence pénale douanière en 2022 et sur les projets d’harmonisation des sanctions douanières dans l’Union européenne.
Nicolas Godefroy a participé à un atelier de l’Association Design Conseil (ADC) le 14 mars 2023, lors duquel il a présenté les bonnes pratiques des agences de design lorsqu’elles ont recours à des typographies créées par des tiers, au bénéfice de leurs clients.
Par un arrêt du 15 février 2023 (pourvoi 19-25.824), la chambre commerciale de la Cour de cassation fait une application intéressante de sa jurisprudence qui sanctionne les enquêtes douanières lorsque le respect des droits de la défense n’a pas été assuré. Il s’agissait en l’occurrence du contrôle d’un navire dont l’administration avait contesté le caractère commercial de son exploitation, à l’été 2012.
Le représentant de la société exploitant le navire avait été convoqué par courriel du 24 août 2012 pour signer un procès-verbal en raison d’un redressement envisagé qui « résulte du non-respect des règles liées à l’exploitation commerciale du navire ».
Le procès-verbal d’infraction du 29 août 2012 n’avait pas été plus explicite. La Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel qui a retenu « des motifs impropres à établir que l’administration des douanes avait, préalablement au procès-verbal de notification d’infraction du 29 août 2012 et dans un délai suffisant pour permettre à la société de faire connaître utilement son point de vue, exposé à cette dernière les éléments de droit et de fait qui la conduisaient à lui notifier l’infraction de détournement de destination privilégiée de produits pétroliers » (point 9).
L’avis de mise en recouvrement notifié consécutivement au procès-verbal était tout aussi imprécis sur le fondement juridique, mais n’énonçait pas non plus les bases de calcul du redressement.
La Cour de cassation a retenu que « ni l’AMR ni le procès-verbal de notification d’infraction du 29 août 2012 ne mentionnaient les tarifs appliqués pour le calcul de la taxe intérieure de consommation et celui de la rémunération perçue pour le compte du comité professionnel des stocks stratégiques pétroliers, et ne précisaient pas le calcul des bases taxables, de sorte que la société n’était pas en mesure de vérifier la réalité de la créance dont le paiement lui était réclamé » (point 13).
La Cour d’appel qui avait validé l’AMR a vu sa décision cassée pour ce second motif.
Il est intéressant de noter que la Cour de cassation, pour une fois, a décidé de ne pas renvoyer la procédure, qui avait déjà plus de dix ans d’ancienneté, devant une autre Cour d’appel. La Cour de cassation a statué directement « au fond » en qualifiant les faits puis tirant leurs conséquences.
C’est donc la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation applique elle-même sa jurisprudence sur le contradictoire aux faits tels qu’ils se présentaient.
La Cour rappelle d’abord son « standard jurisprudentiel » qu’ « il appartenait à l’administration des douanes de garantir à la société la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue avant l’établissement du procès-verbal de notification d’infraction » (point 16).
La Cour de cassation relève que « l’administration des douanes n’a pas fait connaître à la société, préalablement à l’établissement du procès-verbal de notification d’infraction du 29 août 2012, la décision envisagée, les motifs de celle-ci, ainsi que la référence des documents et informations sur lesquels elle s’est fondée, de sorte que les droits de la défense de la société n’ont pas été respectés » (point 17).
La procédure douanière a été intégralement annulée.
Dans un arrêt du 15 mars 2023 (n° 21-17.270), la chambre commerciale de la Cour de cassation éclaire la portée qu’il faut donner à l’article L80 M du Livre des Procédures Fiscales qui, comme l’article 67A du code des douanes, instaure un « droit d’être entendu » en fin d’enquête lorsque l’administration des douanes envisage de procéder à un redressement.
Ici le grief fait à l’administration des douanes était que celle-ci, dans le cadre de son avis préalable de taxation, s’était fondée sur des résultats d’analyse qui étaient cités en larges extraits dans sa communication à l’entreprise vérifiée.
Ces mêmes résultats d’analyse avaient été ensuite repris au procès-verbal de notification d’infraction sans que les bulletins d’analyse en tant que tels des laboratoires aient été communiqués à l’entreprise en cause.
La Cour rejette le moyen en relevant que la société redressée n’avait sollicité la communication des résultats d’analyse qu’après la rédaction du procès-verbal d’infraction et l’émission de l’AMR.
La chambre commerciale interprète l’article L80 M du Livre des Procédures Fiscales en jugeant que ce texte n’exige pas que l’administration « communique spontanément au redevable les documents sur lesquels elle fonde une proposition de taxation ».
La solution n’est pas nouvelle.
Dans un arrêt rendu en matière douanière, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait déjà jugé que l’article 67 A du code des douanes « n’exige pas que les documents ayant fondé l’avis de résultat d’enquête soient communiqués au redevable mais seulement qu’il soit précisé la référence des documents et informations sur lesquels l’administration s’est fondée » (arrêt du 2 octobre 2019 – n° 17-31.285).
Toutefois, ce n’est pas pour autant que lorsque l’administration, en matière douanière ou en matière de contributions indirectes, vise dans son avis de résultat d’enquête ou dans son avis préalable de taxation des documents, celle-ci peut refuser de les communiquer au redevable présumé.
D’ailleurs, à cet égard, l’arrêt commenté rappelle préalablement que la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt du 9 novembre 2017, Ispas,
C-298/16) a jugé en matière de TVA qu’un particulier devait avoir la possibilité de se voir communiquer, à sa demande, les informations et documents se trouvant dans le dossier administratif et pris en considération par l’autorité publique en vue d’adopter sa décision, à moins que les objectifs d’intérêt général justifient de restreindre l’accès auxdites informations et auxdits documents.
Et, effectivement, dans un arrêt précédent rendu sur la mise en œuvre de l’article L80 M du Livre des Procédures Fiscales (arrêt du 18 mars 2020 – n° 17-20.596 – cf. notre Lettre d’information n° 33 janvier-mars 2020), la chambre commerciale avait cassé un arrêt d’appel où la juridiction avait considéré la procédure de redressement régulière alors même que, dans le cadre du « droit d’être entendu », le redevable présumé avait sollicité la communication des pièces de la procédure et que l’administration des douanes ne les lui avait communiquées qu’après avoir procédé à la notification de redressement et émis l’avis de mise en recouvrement.
En conclusion, si l’administration, en matière douanière ou en matière de contributions indirectes n’a pas à communiquer spontanément les pièces sur lesquelles elle se fonde dans le cadre du droit d’être entendu, elle en a, à notre sens, l’obligation dès lors que l’entreprise vérifiée lui en fait la demande.
Nous avions cité dans la précédente Lettre d’information n° 46 un rare cas dans lequel une juridiction avait approuvé une demande de remise de droits de douane fondée sur « l’erreur des autorités (douanières) compétentes elles-mêmes » indécelable pour l’importateur de bonne foi.
En revanche, un arrêt de la chambre commerciale du 15 février 2023 (pourvoi 20-21.626) a rejeté un pourvoi contre un arrêt de la Cour d’appel de renvoi qui avait écarté une demande de remise fondée sur l’article 220 § 2 b) du code des douanes communautaire de 1992 (remplacé en 2016 par le Code des Douanes de l’Union). Cette affaire revenait donc pour la seconde fois devant la Cour de cassation.
Il s’agissait du classement de boitiers multimédia dénommés « TVIX ». Un renseignement tarifaire contraignant (RTC) avait été délivré en 2006 pour un boitier « TVIX 3000 » classé à la position 8522.
Le modèle qui bénéficiait du RTC ne possédait pas de prise réseau et fonctionnait avec un disque dur.
De 2006 à 2009, l’importateur avait dédouané tous les boitiers « TVIX » en se prévalant du RTC de 2006, sous la position 8522.
Compte tenu de l’évolution technologique, les produits importés après 2006 possédaient une prise réseau et pouvaient fonctionner sans disque dur, celui-ci étant néanmoins implantable.
L’administration des douanes avait laissé dédouaner les importations de tous les boitiers « TVIX » indépendamment de leurs caractéristiques évolutives, sous la position tarifaire admise par le RTC de 2006, pendant trois ans. Elle avait ensuite « invalidé » le RTC de 2006 consécutivement à un règlement de classement communautaire 295/2009 du 18 mars 2009 et diligenté une enquête et un redressement en 2010.
Ce règlement de 2009 avait posé le principe qu’un boitier multimédia devait être classé à la position 8521 comme appareil d‘enregistrement et de reproduction vidéophonique, même dépourvu de disque dur.
Dans son premier arrêt, datant du 9 janvier 2019 (17-10.479), la Cour de cassation avait jugé que le règlement de classement postérieur aux faits ne faisait pas obstacle au redressement, dès lors que l’administration « avait classé les boîtiers litigieux sous la position 8521 en faisant application des règles de classement en vigueur à la date de leur importation. »
Dans le cadre de son contrôle global postérieur à 2009, l’administration avait estimé que tous les modèles de boîtier multimédia commercialisés par l’importateur après 2006, fonctionnant avec ou sans disque dur, comportant ou non une prise réseau, relevaient en définitive de la même position 8521. En effet, ils possédaient déjà les caractéristiques essentielles des appareils d’enregistrement et de reproduction vidéophonique.
L’importateur soutenait en retour que l’administration avait commis une série d’erreurs, d’abord en délivrant ce RTC de 2006, qui s’avérait finalement erroné, puis en laissant importer des quantités considérables de ces boitiers sans les contrôler.
La Cour d’appel avait jugé, après une analyse minutieuse des déclarations, que les désignations des marchandises étaient imprécises.
L’administration n’avait donc pas pu s’apercevoir des évolutions technologiques et valider les importations en toute connaissance des marchandises.
Comme le relève l’arrêt de la Cour de cassation « L’arrêt [d’appel sur renvoi] en déduit que la désignation inexacte des marchandises dans les déclarations en douane ne permettait pas à l’administration des douanes de découvrir, par simple comparaison, l’inadéquation du classement tarifaire appliqué par référence au RTC 2006 » (point 9).
La Cour de cassation a donc validé la position de la Cour d’appel qui avait rejeté la demande de remise au motif que l’importateur n’avait pas agi de bonne foi en laissant une ambiguïté s’installer sur la similarité des produits importés après le RTC de 2006, par rapport à celui visé par ce RTC.
Un arrêt du 9 mars 2023 (C-358/22), rendu dans une affaire suivie au cabinet, a permis à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de rappeler et préciser sa jurisprudence sur les droits des sociétés cautions des dettes douanières.
Les faits portaient sur un stock de sel dans un port qui avait été placé en entrepôt douanier. Une difficulté était apparue concernant la conservation du sel et la douane avait décidé de révoquer l’autorisation d’entrepôt douanier.
Une société sœur du titulaire du régime avait cautionné la dette douanière.
L’administration avait engagé une action en recouvrement des droits de douane contre l’exploitant de l’entrepôt et notifié une demande de paiement à la caution à due concurrence.
Il s’est avéré que l’administration n’avait pas respecté la procédure de « prise en compte » de la dette douanière (inscription des « restes à recouvrer » en comptabilité publique) qui doit précéder la « communication » de la dette douanière au débiteur selon les articles 217 et 221 du code des douanes communautaire de 1992 (règlement 2913/92 du 12 octobre 1992).
La jurisprudence est très fournie sur ce point (arrêts des 10 février 2015 – n° 13-10.774, cf. notre Lettre d’information n° 12 – février 2015, 16 décembre 2020 – pourvoi n° 18-16.885, cf. notre Lettre d’information n° 38 – janvier-mars 2021, 23 juin 2021 – pourvois 19-10.019 et 19-14.472, cf. Lettre d’information n° 40 – juillet-octobre 2021).
La Cour d’appel de Caen avait, par un arrêt devenu définitif, libéré l’exploitant du régime en raison de cette irrégularité. Toutefois, la même juridiction avait jugé que la caution était tenue de payer la dette douanière à concurrence de son engagement.
Les règles garantissant les droits des cautions étant mal articulées entre le droit communautaire et le droit national, la clarification apportée par la CJUE est bienvenue.
La CJUE avait jugé que la caution n’est pas un débiteur de la dette douanière en tant que telle (voir l’arrêt du 20 mai 2021 BTA Baltic Insurance Company C-230/20).
Cependant, les conséquences d’une « prise en compte » irrégulière, libérant le débiteur principal, n’avaient jamais été énoncées concernant les droits de la caution.
La CJUE a ainsi réaffirmé le principe du caractère accessoire des cautionnements douaniers consacré par un arrêt du 15 mai 2003 (C-266/01).
Comme la Cour le rappelle dans l’arrêt du 9 mars 2023, elle avait relevé en 2003 que « Selon les principes généraux qui se dégagent des systèmes juridiques des Etats membres, un contrat de cautionnement se présente comme une opération triangulaire, par laquelle la caution s’engage à l’égard du créancier à satisfaire aux obligations souscrites par le débiteur, au cas où celui-ci n’y satisfait pas lui-même » (point 38).
La Cour ajoute qu’elle avait « observé qu’un tel contrat crée une obligation nouvelle, à la charge de la caution, de garantir l’exécution de l’obligation principale dont est tenu le débiteur et que la caution ne se substitue pas au débiteur, mais garantit seulement le paiement de la dette de ce dernier, selon les conditions précisées au contrat de cautionnement ou prévues par la loi » (point 39).
La Cour rappelle son principe que « l’obligation ainsi créée présente un caractère accessoire, en ce sens que, d’une part, la caution ne peut être poursuivie par le créancier que si la dette cautionnée est exigible et, d’autre part, l’obligation assumée par la caution ne peut être plus étendue que celle du débiteur » (point 40).
De plus, « l’article 195 du code des douanes [communautaire de 1992] expose que la caution doit s’engager, par écrit, à payer solidairement avec le débiteur le montant garanti de la dette douanière « dont le paiement devient exigible » (point 42).
La Cour conclut au point 43 « …. d’une part, que la dette douanière n’est pas exigible à l’égard du débiteur en l’absence d’une prise en compte préalable du montant des droits de douane sans laquelle la communication dudit montant audit débiteur n’est pas régulière et, d’autre part, que la caution ne saurait être tenue de garantir le paiement de ladite dette tant que celle-ci n’est pas devenue exigible à l’égard du débiteur ».
Ainsi, l’irrégularité de la « prise en compte » prévue par les articles 217 et 221 du code des douanes communautaire aboutit à ce que « les autorités douanières ne peuvent pas exiger de la caution visée audit article 195 le paiement d’une dette douanière tant que le montant des droits n’a pas été régulièrement communiqué au débiteur » (point 44).
Dans un arrêt du 2 mars 2023 (C 664-21), la CJUE a fait justice d’un contrôle fiscal de TVA qui apparaissait quelque peu extrême.
En 2017, une société suisse avait fait procéder à des livraisons intracommunautaires, depuis la Slovénie, de cosmétiques vers la Roumanie.
Le 14 février 2019, l’administration fiscale slovène avait invité la société suisse à présenter l’ensemble des documents relatifs aux livraisons en cause. L’administration entendait s’assurer de ce que l’exonération du paiement de la TVA bénéficiant aux livraisons intracommunautaires dans le cadre de la directive 2006/112 CE du 28 novembre 2006, avait été appliquée correctement.
La société suisse avait présenté « des factures et des copies de bordereaux d’expédition démontrant l’existence de transports de biens depuis la Slovénie vers un autre État membre. Les bons de livraison et autres documents mentionnés sur les bordereaux d’expédition n’avaient, à ce stade, pas été produits devant l’autorité fiscale de premier niveau. »
En effet, la société suisse avait « indiqué qu’elle n’avait pas tous les documents et qu’elle essayait de les obtenir ».
Dès le 1er avril 2019, l’autorité fiscale slovène avait émis « un procès-verbal de contrôle fiscal » et l’avait notifié à la société suisse. Il ne s’agissait pas de la communication d’une dette fiscale mais d’un acte intermédiaire.
La société suisse avait été ainsi invitée à produire des observations et avait pu communiquer les éléments manquants démontrant la bonne arrivée des marchandises dans les autres Etats membres.
Elle avait expliqué que « son bureau de Hambourg (Allemagne), qui était responsable des livraisons en Croatie, avait cessé ses activités au mois d’août 2018 et ne lui avait pas remis toute la documentation nécessaire dans le délai imparti ».
Dès le 30 mai 2019, l’autorité fiscale slovène avait adopté une décision d’imposition, clôturant la procédure administrative et rejetant les documents communiqués entre temps. Elle se fondait pour cela sur une disposition de son droit lui permettant de considérer la remise de ces documents comme étant trop tardive.
La CJUE n’a pas admis cette façon de procéder.
Elle a rappelé que le principe de la stabilité des situations juridiques peut conduire une administration à ne pas accepter des retards.
Il en va ainsi en cas de retard importants dans la communication des documents justificatifs. Elle a toutefois fait prévaloir en l’occurrence l’impératif de la « neutralité fiscale », qui est le principe cardinal du droit de la TVA. Celui-ci devait être respecté et aboutir à l’exonération de la TVA, sauf si l’administration avait d’excellentes raisons de l’écarter en raison du caractère non probant des documents ou d’un retard excessif et injustifié pour les communiquer.
Rien de tel n’était constaté dans cette affaire.
Le rappel de la chronologie fait ci-dessus démontre que le contrôle avait été extrêmement rapide et que la société suisse avait été somme toute réactive, mais dépendante de lenteurs dans son organisation interne.
La CJUE procède donc à une distinction selon que la communication de documents est intervenue rapidement ou après plusieurs rappels infructueux de l’administration fiscale, notamment au stade contentieux de la procédure.
La Cour oppose ce cas à une situation dans laquelle « l’administration fiscale refuse à un assujetti le bénéfice de l’exonération de la TVA à un stade précoce de la procédure d’imposition » (point 35), auquel cas, comme le rappelle la CJUE « elle doit garantir le strict respect du principe de neutralité fiscale ».
En cas de rejet des documents à ce stade précoce, un refus de prendre en compte ces éléments « doit cependant être fondé sur des circonstances particulières comme, notamment, l’absence de toute justification du retard encouru ou le fait que le retard a entraîné des pertes de recettes fiscales » (point 36).
La CJUE a fait application des principes d’équivalence et d’effectivité, qu’on retrouve souvent dans sa jurisprudence.
La Cour retient que « le refus de prendre en compte des éléments de preuve à une date qui se situe avant l’adoption d’une telle décision d’imposition est susceptible de rendre excessivement difficile l’exercice des droits reconnus par l’ordre juridique de l’Union, dans la mesure où un tel refus restreint pour l’assujetti la possibilité de produire des éléments de preuve relatifs à la réunion des conditions de fond permettant d’obtenir une exonération de la TVA » (point 37).
Cette situation « apparaît ainsi difficilement conciliable avec le principe de proportionnalité et également avec le principe fondamental de neutralité de la TVA » (point 37).
La CJUE retient également que « le procès-verbal de contrôle fiscal ne clôt pas la procédure de contrôle fiscal et ne constitue qu’un acte procédural intermédiaire qui vise uniquement à informer l’assujetti de la situation factuelle établie par l’autorité fiscale de premier niveau et de la possibilité de présenter des observations » (point 39).
La CJUE a jugé que, dans un tel cas, l’administration slovène ne pouvait pas rejeter mes documents venant à l’appui des observations produites dans ce cadre procédural.
Par un arrêt du 9 mars 2023 (C-725/21), la CJUE a statué sur l’interprétation de la position 9401 du tarif, intitulée « sièges, même transformables en lits, et leurs parties. »
Il s’agissait de filets que l’on place au dos des sièges et de certaines housses pour sièges de voitures.
La question se posait quelle était la définition de la notion de « parties » au sens de cette position 9401.
La CJUE a bâti une jurisprudence sur les « parties » pour l’application des chapitres 84 et 85 de la nomenclature douanière, qui sont de loin les plus fournis et complexes du tarif.
Selon la Cour « Il résulte de la jurisprudence de la Cour, développée dans le contexte des chapitres 84 et 85 de la section XVI ainsi que du chapitre 90 de la section XVIII de la NC, que la notion de « parties » implique la présence d’un ensemble pour le fonctionnement duquel celles-ci sont indispensables. Il résulte de cette jurisprudence que, pour pouvoir qualifier un article de « parties », au sens de ces chapitres, il n’est pas suffisant de démontrer que, sans cet article, la machine ou l’appareil n’est pas en mesure de répondre aux besoins auxquels il est destiné. Encore faut-il établir que le fonctionnement mécanique ou électrique de la machine ou de l’appareil en cause est conditionné par ledit article (arrêt du 8 décembre 2016, Lemnis Lighting, C-600/15, EU:C:2016:937, point 48 et jurisprudence citée) » (point 33).
La CJUE a étendu au fil des années cette jurisprudence à d’autres chapitres. Elle a fait de même en l’occurrence pour la position 9401.
La CJUE a relevé que, sous réserve d’une appréciation plus précise par le juge local, il semblerait que « les marchandises en cause au principal [ne soient pas] indispensables pour qu’un siège d’un véhicule automobile puisse remplir sa fonction » (point 39).
La CJUE a raisonné par opposition à certains éléments d’un siège comme des accoudoirs ou un dossier qui sont bel et bien des parties intégrantes d’un siège spécifiquement conçus et constituent ainsi un élément essentiel de sa structure.
Il n’en irait pas de même pour ces marchandises qui relèveraient vraisemblablement des codes de la nomenclature tarifaire applicables aux filets et aux housses. La CJUE n’a pas été plus directive sur le classement exact à retenir. Celui-ci incombera au juge national.