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n° 46 – Janvier-Février 2023
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La Lettre d’information en bref:
- Le Conseil constitutionnel valide pour l’essentiel les dispositions de la loi de finances pour 2023 en matière douanière et sur les fiscalités énergétique et environnementale, à l’exception de l’habilitation conférée au Gouvernement pour réformer par ordonnance l’article 60 du code des douanes déclaré inconstitutionnel.
- La Cour de cassation rend une décision notable sur l’application du principe du contradictoire pendant les enquêtes douanières (« droit d‘être entendu »).
- La Cour de cassation rend une série d’arrêts sur les pouvoirs et devoirs du juge pénal lorsqu’il inflige une sanction douanière.
- La CJUE critique la rigidité des délais prévus en droit allemand en matière de fiscalité énergétique.
- La CJUE et la Cour de cassation rendent plusieurs décisions en matière de classement tarifaire.
- La Cour de cassation statue sur une demande de remise de la dette douanière dans un sens plutôt favorable aux demandeurs.
Vincent Courcelle-Labrousse a publié un article dans la revue Dalloz AJ Pénal en janvier 2023 (pp.40-41) commentant un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 9 novembre 2022 (pourvoi 21-85.747) intitulé
Droit de communication et pouvoir général d’audition : non
Principe du contradictoire : oui, mais
Autorité du civil sur le pénal : non
Rétroactivité in mitius : non plus
Nous avons commenté dans la Lettre d’information n° 45 les travaux parlementaires ayant abouti à la loi 2022-1726 du 30 décembre 2022.
Les articles que nous avions examinés ont été validés par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2022-847 DC du 28 décembre 2022, à l’exception d’une part de l’article 82 de la loi de finances (nouvel article 343 du code des douanes en vue de faciliter la communication par l’autorité judiciaire de toute information à l’administration des douanes), d’autre part de l’article 98 (habilitation conférée par la loi de finances au Gouvernement pour modifier l’article 60 du code des douanes à la suite de sa déclaration d’inconstitutionnalité).
Ces deux dispositions ont été considérées comme des « cavaliers législatifs » qui n’avaient pas leur place dans une loi de finances.
Il incombe désormais au Gouvernement de réformer l’article 60 du code des douanes.
La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu le 4 janvier 2023 un arrêt sur le principe du contradictoire (pourvois 20-17.332 et 20-17.334).
La Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières a diligenté une enquête sur des importations et notifié un avis de résultat d’enquête à l’importateur le 27 mai 2016, ouvrant le délai de 30 jours prévu par l’article 67 A du code des douanes. La société a répondu le 29 juin 2016. Le 7 juillet 2016, la DNRED a succinctement répondu que « les objections formulées ne sont pas de nature à remettre en cause les infractions ou la liquidation supplémentaire constatée par les enquêteurs » sans autre motivation. La DNRED a convoqué la société pour signer le procès-verbal de notification d’infraction. Elle a répondu précisément à chaque observation dans ce procès-verbal en date du 21 juillet 2016. Un avis de mise en recouvrement a été notifié le 8 aout 2016.
Il s’agissait donc d’un recouvrement de droits de douane diligenté dans le cadre de la procédure contradictoire telle qu’elle existait depuis le 1er janvier 2010 jusqu’au 31 décembre 2016.
L’importateur, placé sous un plan de sauvegarde au cours de la procédure, invoquant que la réponse à ses observations avait été apportée seulement lors du procès-verbal de notification d’infraction.
La Cour d’appel avait validé le procédé, motif pris que le redevable pouvait encore faire des observations jusqu’à la notification de l’AMR.
La position de la Cour d’appel était critiquable, dès lors que la communication de la dette, avant laquelle le redevable doit avoir été mis en mesure de manière concrète et effective de faire valoir ses droits, intervient lors du procès-verbal de notification d’infraction et non pas lors de l’AMR qui n’est qu’un titre exécutoire.
Il est étonnant que la Cour de cassation n’ait pas cassé l’arrêt sur ce motif, alors même que la chambre commerciale avait retenu dans un arrêt du 23 juin 2021 (pourvoi 19-10.019) que « la communication du montant de la dette douanière au redevable résulte du procès-verbal de constat et de notification d’infraction et non de l’AMR, qui n’est qu’un acte d’exécution forcée de la dette dûment et préalablement communiquée. » (point 24)
La Cour de cassation a donc jugé régulier le fait que la société découvre à la lecture du procès-verbal de notification d’infraction la réponse que la Douane apportait à ses observations. Elle valide l’arrêt d’appel qui « retient que de nouvelles observations écrites auraient pu être produites par la société à cette occasion et jusqu’à l’émission de l’AMR, intervenue le 8 aout 2016. »
Le sort de ces observations est cependant assez illusoire : le procès-verbal d’infraction matérialise la décision prise par l’administration.
Notons toutefois que cette procédure contradictoire a été conduite avant l’entrée en vigueur de l’article 67 D1 le 1er janvier 2017 qui dispose que « Lorsque l’administration rejette les observations du redevable, sa réponse doit être motivée. »
Par ailleurs, l’importateur avait engagé la responsabilité de son commissionnaire en douane.
Celui-ci disposait d’un mandat de représentation directe depuis 2009 (agissant au nom et pour le compte de l’importateur seul redevable de la dette douanière). Cependant, le commissionnaire avait mentionné le code de la représentation indirecte sur la plupart des importations.
Dans ce cadre, le commissionnaire agit en son nom propre pour le compte d’‘autrui et se trouve codébiteur de la dette.
La DNRED avait engagé la procédure contradictoire contre le commissionnaire qui a produit son mandat. La DNRED a décidé d’abandonner sa poursuite… et en a averti l’importateur au moment de lui faire signer le procès-verbal de notification d’infraction précité !
L’importateur considérait qu’une atteinte avait été portée à ses droits, faute d’avoir été associé aux discussions entre la DNRED et le commissionnaire.
Il y aurait eu là un élément nouveau dans la position de la DNRED qui ne figurait pas dans l’avis de résultat d’enquête, à savoir que seul l’importateur serait désormais poursuivi et non son commissionnaire.
La Cour d’appel et la Cour de cassation ont écarté le grief, en substance au motif que la décision aurait été la même si l’importateur avait été informé desdites discussions, puisqu’en toute hypothèse il était débiteur légal de la dette douanière.
Une des caractéristiques du droit douanier est que le moindre manquement peut être qualifié d’infraction de nature pénale prévue par le code des douanes, qu’il s’agisse d’une contravention ou d’un délit.
Il en va de même concernant les accises énergétiques prévues par le code des douanes et celles sur le tabac-alcool par le code général des impôts – CGI.
Les sanctions sont certes adaptées à chaque nature d’infraction. Toutefois, elles atteignent très rapidement des quantum qui représentent plusieurs fois la valeur des marchandises ou des droits et taxes encourus.
Le risque théorique qui résulte de la commission d’une infraction douanière peut donc apparaître extrêmement élevé. Toutefois il ne s’agit pas de sanctions administratives que la Douane pourrait appliquer à sa guise.
Il s’agit d’une sanction en partie pénale et en partie indemnitaire qui ne peut être infligée que par le juge pénal dans le cadre d’un procès pénal ordinaire.
Longtemps, le contentieux douanier a été caractérisé également par des interdictions faites au juge de modérer les amendes et même, jusqu’en 1987, de libérer les contrevenants des sanctions douanières en tenant compte de leur bonne foi.
Jusqu’en 2017, des « peines plancher » subsistaient et interdisaient au juge de descendre en dessous du tiers du minimum légalement encouru pour les faits.
Tout cela a disparu désormais. Il incombe au juge pénal de procéder à une individualisation de la peine.
Le juge doit tenir compte de l’ampleur et de la gravité de l’infraction commise ainsi que de la personnalité de son auteur.
Cependant, la question de la peine reste en matières douanière et de contributions indirectes dérogatoire par rapport au droit commun.
Par cinq décisions rendues à la fin de l’année 2022 et au début de l’année 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est attachée à clarifier son approche.
- Dans le premier arrêt du 7 décembre 2022 (pourvoi 21-85.993, publié au Bulletin), il s’agissait d’une infraction de transfert de capitaux sans déclaration accompagné d’un blanchiment douanier.
Les prévenus avaient été condamnés solidairement par un tribunal correctionnel. Toutefois la cour d’appel avait infirmé le jugement en considérant que le paiement d’une amende douanière de 130 000 € en répression du délit de blanchiment douanier ne pouvait pas être prononcé « en l’absence de justificatifs de la situation personnelle et de la situation financière de M. X et en l’absence d’éléments sur la situation professionnelle de M. Y ».
La douane avait formé un pourvoi, qui a été accueilli, au motif que l’amende douanière est fixée en considération de la valeur des marchandises de fraude et ne dépend pas de la situation personnelle, professionnelle ou financière du prévenu.
Statuant au visa de l’article 369 du code des douanes, la chambre criminelle a, par un « chapeau » de principe, jugé :
« Il se déduit de ce texte, d’une part que le juge qui prononce une amende fiscale n’est pas tenu de prendre en considération la situation personnelle, familiale et sociale du contrevenant pour en déterminer le montant » (point 7).
« D’autre part, s’il peut réduire le montant de cette amende, eu égard à l’ampleur et à la gravité de l’infraction commise, ainsi qu’à la personnalité de son auteur, il ne saurait en dispenser totalement ce dernier » (point 8).
La cassation a donc été prononcée concernant uniquement les sanctions douanières prononcées à l’encontre des deux prévenus en répression des délits de blanchiment et de blanchiment douanier.
- Par un arrêt du 5 janvier 2023 (pourvoi 22-81.981, publié au Bulletin), la chambre criminelle a statué sur un litige en matière de contributions indirectes.
L’administration poursuivait pénalement une société spécialisée dans l’achat, la vente, la fabrication et la réparation d’ouvrages en métaux précieux, ainsi que son gérant, pour avoir procédé à une mauvaise tenue du livre de police faute d’y avoir consigné des informations obligatoires relatives aux ouvrages en métaux précieux. 58 infractions avaient été relevées.
Le Tribunal et la Cour avaient prononcé 58 amendes (article 1791 du CGI).
Toutefois, la Cour avait omis de prononcer la pénalité proportionnelle prévue par l’article 1794 du CGI.
Au visa de l’article 1800 du code général des impôts, la chambre criminelle a jugé que « Il se déduit de ce texte qu’en matière de contributions indirectes, si le tribunal peut modérer le montant des amendes et pénalités encourues, eu égard à l’ampleur et à la gravité de l’infraction commise, ainsi qu’à la personnalité de son auteur, il ne saurait en dispenser totalement ce dernier » (point 7).
L’arrêt a donc été cassé pour absence de pénalité proportionnelle.
La Cour de cassation reconnait que cette pénalité aurait pu être « d’un montant symbolique » (point n° 8).
- Par un autre arrêt également du 5 janvier 2023 (pourvoi n° 21-87.258, publié au Bulletin), la Cour de cassation a jugé un cas de figure strictement inverse, dans lequel le juge pénal du fond s’était considéré comme étant tenu d’appliquer le minimum légalement prévu par l’article 414 du code des douanes.
La Cour de cassation juge qu’aux termes de l’article 369 du CD « … eu égard à l’ampleur et à la gravité de l’infraction commise, ainsi qu’à la personnalité de son auteur, le tribunal peut réduire le montant de l’amende fiscale prononcée à l’encontre de l’auteur d’une infraction douanière jusqu’à un montant inférieur à son montant minimal » (point 7).
En combinant ensuite les articles 365 du code des douanes et 485, 512 et 593 du code de procédure pénale, la Cour rappelle qu’« en matière douanière, toute peine d’amende doit être motivée » (point 8).
La Cour juge qu’ « il se déduit de l’ensemble de ces textes que le juge qui prononce une amende en application de l’article 414 du code des douanes en répression des infractions de contrebande et d’importation ou d’exportation sans déclaration de marchandises prohibées, après avoir recherché la valeur de l’objet de fraude et fixé en conséquence les montants minimum et maximum de l’amende encourue, doit motiver sa décision au regard de l’ampleur et de la gravité de l’infraction commise ainsi que de la personnalité de son auteur, quel que soit le montant de l’amende qu’il retient » (point 9).
Or, comme le constate la Cour de cassation, le juge d’appel du fond avait aggravé la situation du prévenu en appel, dès lors que la cour d’appel « s’est considérée comme tenue de prononcer l’amende minimale encourue et sans s’expliquer sur l’ampleur et la gravité de l’infraction commise, ni sur la personnalité du prévenu, qu’elle devait prendre en considération pour fonder sa décision ».
La cassation a donc été prononcée uniquement concernant le montant de cette amende infligée par la cour d’appel.
- Par un arrêt du 1er février 2023 (pourvoi 21-84.059), la chambre criminelle a statué sur un transfert d’espèces non déclaré de 17 000 € (articles L. 152-1 et suivants du code monétaire et financier)., assorti d’infractions de blanchiment douanier et de blanchiment. La cour d’appel avait condamné la prévenue à une amende de 8 500 €, soit le montant légalement prévu par la loi à titre de maximum encouru.
La Cour de cassation a reproduit la solution en droit et la cassation de l’arrêt commenté au point précédent.
Ainsi, le juge d’appel ne pouvait pas se considérer comme étant tenu de prononcer une amende douanière de 50 % du montant de la somme saisie, sans l’individualiser.
- Un autre arrêt du 5 janvier 2023 (pourvoi 22-81.301), porte sur un autre transfert d’espèces non déclaré.
L’administration avait demandé au tribunal correctionnel la confiscation de la somme saisie (11 100 €). Le tribunal était entré en voie de condamnation. Toutefois son jugement avait été infirmé en appel sur la confiscation de la somme saisie.
La douane s’est pourvue en cassation. Son pourvoi a été rejeté.
La Cour d’appel avait estimé que le montant dépassait de manière minime le seuil de déclaration de 10 000 € et qu’elle pouvait libérer le prévenu de la confiscation de cette somme, quand bien même celui-ci n’avait pas apporté la preuve de l’origine licite des fonds.
De plus, le prévenu avait commis une infraction douanière concomitamment aux faits, ce dont l’administration concluait qu’il s’agissait là d’une marchandise de fraude.
La Cour de cassation a validé l’arrêt d’appel. La chambre criminelle retient « En effet, d’une part, [que] les juges n’ont fait qu’user de la faculté qu’ils tiennent de l’article L. 152-4 du [code monétaire et financier « code des douanes » dans la décision] de ne pas ordonner la confiscation des sommes transférées en méconnaissance des obligations déclaratives énoncées notamment à l’article L. 152-1 dudit code et saisies, y compris lorsque les conditions pour prononcer cette mesure sont remplies ».
La chambre criminelle ajoute que « d’autre part, ni l’article 369, 4°, du code des douanes, qui ne vise que les marchandises dangereuses pour la santé ou la moralité et la sécurité publiques, les marchandises contrefaisantes, ainsi que celles qui sont soumises à des restrictions quantitatives, ni l’article 131-21, alinéa 7, du code pénal, au demeurant inapplicable en l’espèce, ne rendent obligatoire la confiscation de sommes d’argent, quand bien même elles seraient d’origine illicite ».
Les sommes transférées ne sont donc pas équivalentes à des marchandises.
Par un arrêt du 22 décembre 2022 (C-553/21), la Cour de justice de l’Union européenne a statué sur une question préjudicielle posée par la Cour fédérale des finances allemande dans une affaire opposant les douanes de Hambourg à une importante société pétrolière allemande.
Il s’agit ici de l’application de l’article 5 de la directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003 dite « directive sur la taxation de l’énergie », qui permet aux Etats membres d’accorder des réductions fiscales différenciées selon que l’utilisation du produit énergétique est pour un usage professionnel ou non.
En l’occurrence, la société pétrolière justifiait qu’elle avait utilisé un produit énergétique (type non précisé dans la décision) à des fins professionnelles, en 2010.
Toutefois, le droit allemand venu transposer l’article 5 de la directive précitée, imposait que, d’une part, la taxe soit liquidée dans l’année civile qui suivait la non-utilisation (2011) et que d’autre part, dans le même délai, un acte séparé de demande de réduction fiscale ou d’exonération soit déposé (fondé sur le caractère professionnel de l’utilisation du produit énergétique).
La société pétrolière avait fait l’objet d’un contrôle fiscal commencé en 2011, qui avait suspendu son délai pour liquider la taxe. Toutefois ce contrôle était sans effet sur la course du délai de demande d’exonération. La société pétrolière avait omis de déposer cette demande en 2011 et ne l’avait faite qu’en 2012.
La douane allemande avait donc décidé que sa demande était atteinte de forclusion.
Eprouvant des doutes sérieux sur le bien-fondé de cette approche de l’administration, les juges du fond avaient écarté la position de l’administration.
La haute juridiction financière (Bundesfinanzhof) allait dans leur sens mais a souhaité saisir la Cour de justice. Celle-ci a suivi le Bundesfinanzhof dans l’arrêt du 22 décembre 2022.
L’arrêt est un rappel nuancé et complexe, mais utile, de la jurisprudence de la Cour de justice sur les principes de sécurité juridique, de proportionnalité, les principes d’équivalence (les conditions pour obtenir un remboursement ou une exonération relevant du droit communautaire ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations comparables de nature interne) et le principe d’effectivité (les conditions nationales ne doivent pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union).
La Cour de justice a jugé que la pratique de l’Etat membre était contraire au droit de l’Union.
La CJUE a reconnu, dès lors que le droit de l’opérateur était conditionné à l’absence de forclusion du délai de liquidation, que la législation nationale ne pouvait pas écarter la demande au seul motif que le délai pour déposer la demande d’exonération était, quant à lui, forclos et ce sans aucune exception possible.
Ici, seul un manquement formel avait été commis à savoir que la demande avait été déposée tardivement.
Par ailleurs, il n’était pas contesté que la société pétrolière avait droit à l’exonération qu’elle réclamait.
Le caractère « automatique et sans exception » du rejet de toute demande lorsque le délai pour le dépôt de la demande avait été dépassé (tandis que le délai de liquidation, lui, était respecté), a été considéré comme excédant les pouvoirs des Etats membres dans le cadre de la transposition de la directive.
Ainsi, en combinant le « principe d’effectivité » et le « principe de proportionnalité » , « en tant que principe général du droit de l’Union », et l’article 5, quatrième tiret de la directive 2003/96, la CJUE a considéré que ce texte et ces principes « s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle les autorités compétentes d’un Etat membre sont tenues de rejeter, automatiquement et sans exception, une demande d’exonération fiscale déposée dans le délai de liquidation de la taxe en cause, prévu par le droit national, au seul motif que le demandeur n’a pas respecté le délai fixé par ce droit pour l’introduction d’une telle demande ».
Cette jurisprudence est une nouvelle illustration de la surveillance par la CJUE des textes nationaux en matière de fiscalité énergétique, de manière à ce qu’ils ne fassent pas primer des manquements formels sur les objectifs de la directive de taxer les produits en fonction de leur utilisation réelle (voir notre Lettre d’information n° 31).
- Par un arrêt du 25 janvier 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation (pourvoi 20-18.742) a validé un redressement douanier concernant des cartouches d’encre neuves.
Jusqu’en 2012, l’importateur importait des cartouches d’encre neuves, compatibles ou remanufacturées pour imprimantes sous une position tarifaire 3215 90 00 90 relative aux encres d’imprimerie soumises à des droits de douane au taux de 6,5 %.
Après février 2012, il avait utilisé la position 8443 99 00 correspondant à des parties et accessoires de machines et d’appareils servant à l’impression, sans avoir à payer de droits de douane.
L’administration a procédé à un contrôle et retenu que la première position tarifaire utilisée jusqu’en février 2012 était seule exacte.
La Cour de cassation a validé le redressement.
Le nœud du litige résidait dans le fait que la cartouche était munie d’une puce électronique pour contrôler le niveau d’encre.
Elle avait donc un caractère composite, de sorte que l’on devait utiliser la règle générale d’interprétation 3 b) pour procéder au classement. Il s’imposait d’établir quelle était la matière conférant à la marchandise son caractère essentiel.
Citant un arrêt de la Cour de justice du 3 juin 2021 (C-76/20) (voir notre Lettre d’information n° 42), la Cour de cassation a retenu, en substance, que si la puce électronique permet de donner à la cartouche une fonction de gestion de la reconnaissance de niveau d’encre, elle n’enlève pas à cette cartouche « … sa fonction essentielle, qui est de dispenser l’encre lorsque la tête d’impression de l’imprimante le demande ».
Ainsi, la Cour de cassation a admis que « la cour d’appel a pu juger que l’encre conférait à la cartouche d’encre son caractère essentiel et que cette marchandise devait être classée à la position 3215 90 00 90 » (point 8).
- Dans un arrêt du 9 février 2023 (C-635-21), la CJUE a examiné le classement tarifaire de marchandise dénommée « Air Loungers » importée de Chine.
Il s’agissait d’un « type de canapé gonflable, composé d’un tuyau intérieur en matière plastique et d’une enveloppe extérieure en matière textile, qui sont cousus ensemble dans la zone de fermeture, de manière à ce que l’air entre dans deux chambres » (point 22).
Cette marchandise, après gonflage, présentait une forme de creux permettant de s’asseoir ou de s’allonger, plutôt au milieu « avec les jambes fléchies et les pieds posés sur le sol, toute autre position assise étant instable et risquant de faire tomber ou basculer l’utilisateur » (point 23).
L’importateur avait utilisé deux positions tarifaires, la position 9404 90 90 concernant les autres articles de literie et articles similaires et la position 3926 90 92 concernant les « autres ouvrages en matières plastiques et ouvrages en autres matières des nos 3901 à 3914 ».
Les autorités allemandes considéraient que ni l’une ni l’autre de ces positions n’étaient applicables. La Douane retenait la position 6306 90 00 qui vise les « autres articles de campement pour lesquels le taux de droits de douane à l’importation applicable est de 12 % ».
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur le fait que les « Air Loungers » puissent être considérés comme des sièges et, partant, comme des meubles relevant de la position 9401 (et non pas 9404) en raison de leur relative instabilité et de la nécessité de les regonfler souvent.
La juridiction de renvoi a considéré que la simple possibilité de s’asseoir sur un « Air Lounger » ne suffisait pas pour le qualifier de « siège ».
La CJUE a suivi la juridiction de renvoi en rappelant la note 2 du chapitre 94 (à valeur contraignante). Il s’en déduit (point 37) que les marchandises «visées à la position 9401 doivent, à la fois, être conçues pour se poser sur le sol et servir à garnir, dans un but principalement utilitaire, les appartements ou autres espaces intérieurs ou extérieurs y mentionnés, à titre illustratif, ainsi que divers moyens de transport ».
Selon la CJUE « En l’occurrence, les canapés gonflables en cause au principal apparaissent particulièrement aptes à être transportés dans différents lieux et y être utilisés temporairement, en raison notamment de la nécessité de les remplir régulièrement d’air.
Dès lors, ils peuvent ne pas se prêter à garnir, dans un but principalement utilitaire et à titre plutôt permanent, les appartements ou autres espaces intérieurs ou extérieurs mentionnés dans les considérations générales des notes explicatives du SH [Système Harmonisé applicable au niveau mondial] relatives au chapitre 94 ». (point 38)
La juridiction de renvoi devra le vérifier, toutefois aucune indication n’est donnée sur le véritable classement de cette marchandise.
- Dans un autre arrêt du 9 février 2023 (C-788/21), la CJUE a examiné cette fois un dispositif de transport de tuyaux sur lequel la juridiction de renvoi demandait si la position 8609 00 90 de la Nomenclature Combinée pouvait s’appliquer.
Au point 34 de l’arrêt, la CJUE définit le dispositif comme suit : « Par ses questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la sous-position 8609 00 90 de la NC doit être interprétée en ce sens que relève de celle-ci un dispositif de transport de tuyaux qui est constitué d’un certain nombre de paires de traverses de maintien en aluminium, entre lesquelles sont posés perpendiculairement les tuyaux destinés à être transportés, ces paires de traverses étant reliées entre elles au moyen de deux barres d’assemblage en acier, équipées d’œillets, d’autres tuyaux pouvant ensuite être posés par le dessus selon le même procédé jusqu’à ce que le chargement comprenne le nombre de tuyaux devant être transportés, le chargement étant alors complété par l’accrochage d’élingues en acier aux barres d’assemblage se trouvant aux quatre coins du chargement (en les passant dans lesdits œillets), afin de faciliter la manutention de l’ensemble ».
La sous-position 8609 00 90 visait une notion de cadres et conteneurs.
Le fabricant de ce dispositif qui était de nature à permettre le transport multimodal de ces tuyaux sans devoir changer leur conditionnement en cas de transport multimodal, soutenait un classement sous cette sous-position en tant que cadre.
Toutefois, la CJUE a suivi l’administration douanière danoise qui considérait que cette position ne serait pas applicable.
La CJUE a considéré effectivement, après une analyse linguistique de la nomenclature concernant la désignation de cette position 8609 00, que le libellé présentait d’importantes divergences de désignation.
Elle en a déduit qu’en toute hypothèse, cette position ne pouvait inclure que des « récipients » ou réceptacles assimilés, ce qui n’est évidemment pas le cas de ces traverses.
La CJUE a jugé (point 52) que « Force est de constater qu’un dispositif de transport qui ne saurait contenir ou renfermer des tuyaux à transporter, mais qui les serre entre eux au moyen de barres métalliques à la manière d’un étrier, de telle sorte que ce dispositif ne recouvre qu’une partie très limitée de la surface de ces tuyaux, ne présente pas les caractéristiques et propriétés objectives d’un récipient, si bien qu’un tel produit ne revêt pas les caractéristiques requises pour être qualifié de « cadre ou conteneur », au sens de la sous-position 8609 00 de la NC ».
Toutefois, la CJUE n’a pas expliqué au juge national, qui cependant ne lui avait pas demandé, quel pourrait être le classement alternatif à retenir.
L’arrêt précité du 25 janvier 2023 (pourvoi 20-18.742), outre le classement tarifaire déjà énoncé, a statué sur un second moyen qui, quant à lui, a été accueilli en faveur de l’importateur.
Il s’agissait d’une demande d’application de l’article 220 § 2 point b du code des douanes communautaire.
Ce texte accorde la remise des droits à l’importation lorsqu’il est établi que leur montant n’a pas été pris en compte par suite d’une erreur des autorités douanières, qui ne pouvait raisonnablement être décelée par le redevable, ce dernier ayant agi de bonne foi et observé toutes les dispositions prévues par la règlementation en vigueur pour ce qui concerne sa déclaration en douane.
Les cas d’application de l’article 220 § 2 point b du CDC sont devenus suffisamment rares pour que cet arrêt soit mis en exergue.
La jurisprudence était extrêmement abondante dans les années 1990 à 2000, puis s’est raréfiée à force d’être d’une exigence décourageante (voir nos Lettres d’information n° 14 – avril-mai 2015 ; n° 23 – mars-mai 2017 – arrêt Veloserviss SIA C 47/16 ; arrêt Aqua Pro SIA C-407/16 ; notre Lettre d’information n°25 – septembre-novembre 2017 – arrêt Prénatal du 29 juillet 2019 –
C-589/17 – notre Lettre d’information n° 31 – septembre-décembre 2019).
Le débat dans cette affaire portait sur la seconde condition pour que l’erreur puisse être admise, à savoir que « l’erreur commise par celles-ci [les autorités douanières elles-mêmes] soit d’une nature telle qu’elle ne pouvait raisonnablement être décelée par un redevable de bonne foi … » (point 11).
Après avoir rappelé la jurisprudence traditionnelle de la CJUE sur cette affaire (point 12), la chambre commerciale a procédé à une appréciation du dossier.
En l’espèce, « la société a déclaré les cartouches d’encre à la position 3215 jusqu’en février 2012 puis, après avoir changé de commissionnaire en douanes et constaté qu’un renseignement tarifaire (RTC) avait été délivré [le 28 septembre 2012] à une société tierce pour une cartouche d’encre qui lui paraissait similaire à celles qu’elle importait, les a déclarées à la position 8443. »
La Cour d’appel avait retenu que « le montant des droits n’[avait] pas été pris en compte à la suite d’une erreur active de l’administration des douanes, qui, lors d’un contrôle effectué en 2013, n’avait pas contesté le classement par la société des cartouches d’encre litigieuses à la position tarifaire 8443… » La Douane s’était ravisée lors d’un second contrôle diligenté en 2014 qui aboutira au redressement.
La Cour d’appel avait écarté la demande de remise au motif que « la lecture de ce RTC suffisait à la société, professionnel en commerce de cartouches d’encre, à considérer que l’existence d’une puce électronique n’était pas suffisante pour justifier un changement de position tarifaire et que, faute pour elle d’avoir sollicité un RTC pour ses propres cartouches, elle n’a pas procédé aux recherches nécessaires pour connaître et respecter la réglementation. »
La Cour d’appel « en déduit que, bien que ni la complexité de la législation en cause ni le fait que la société n’est pas un professionnel de l’import ne soient contestables, cette dernière ne pouvait se prévaloir de sa bonne foi. » (point 13).
Ce faisant, la Cour d’appel ne s’était toutefois pas expliquée sur les conséquences de la validation de l’emploi de cette position 8443 lors du premier contrôle de la Douane en 2013, au regard de la bonne foi de l’importateur.
La Cour de cassation a donc cassé l’arrêt d’appel : « En se déterminant ainsi, en se plaçant exclusivement à la date à laquelle la société avait commencé à déclarer les produits litigieux sous la position 8443, en 2012, sans rechercher, comme il lui incombait si, à la suite de l’erreur commise par l’administration en 2013, la société pouvait, de bonne foi, croire à l’exactitude de cette position, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale. »
Il n’est donc pas exclu que la société importatrice puisse bénéficier du classement qu’elle avait choisi en 2012, pour quelques mois, en 2013 jusqu’au contrôle de 2014.