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n° 44 – Juillet – Octobre 2022
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- Le projet de loi de finances pour 2023 prolonge, en matière de fiscalité énergétique, le bouclier tarifaire sur l’électricité (art. 6), augmente l’accise sur le charbon et comporte de nombreuses mesures fiscales en faveur de la transition énergétique (article 7). La loi renforce la fiscalité des biocarburants (art. 8) et organise les modalités spécifiques du transfert de la fiscalité sur les produits pétroliers vers la Direction Générale des Finances Publiques (art. 10).
- Le taux d‘intérêt applicable aux recouvrements des droits de douane augmente à la suite de la hausse du taux directeur de la Banque Centrale Européenne.
- Le Conseil constitutionnel déclare contraire à la Constitution l’article 60 du Code des douanes régissant le droit de visite par les agents des douanes des marchandises, des personnes et des moyens de transport.
- La Cour de cassation rend un arrêt sur l’application rétroactive de la loi nouvelle plus douce à la suite de l’abrogation de l’article 426 § 4° du Code des douanes.
- La Cour de cassation retient la responsabilité pénale d’un représentant en douane après la découverte de déchets interdits et non déclarés dans des conteneurs dont le prévenu avait déposé la déclaration d’exportation.
Le projet de loi de finances pour 2023 contient à ce jour quatre dispositions concernant la fiscalité de l’énergie :
- L’article 6 prolonge le bouclier tarifaire en 2023 concernant l’accise sur l’électricité (1 € par MWH pour les ménages, 0,5 € pour les entreprises).
- L’article 7 augmente l’accise sur le charbon en 2024-2025 concernant certaines installations relevant du système des quotas d’échange de gaz à effet de serre. D’autres mesures fiscales sont prévues notamment en droit de la TVA pour accompagner la transition énergétique.
- L’article 8 augmente les objectifs contraignants d’incorporation de biocarburants « durables » dans les carburants fossiles. Ce mécanisme est prévu à l’article 266 quindecies du Code des douanes et donne lieu, en cas de non-respect des obligations d’incorporation, au paiement d’un taxe dénommée TIRUERT (taxe incitative relative à l’utilisation d’énergie renouvelable dans les transports) d’un montant compris entre 140 et 168 € par hectolitre.
- L’article 10 rouvre le chantier du transfert de compétence des taxes recouvrées par la Direction Générale des Douanes et Droits Indirects à la Direction Générale des Finances Publiques. Un partage des compétences est prévu entre les deux directions concernant le secteur pétrolier, avec une entrée en vigueur en 2025 et non plus en 2024. La DGDDI contrôlera physiquement les stocks, la DGFIP recouvrera les taxes et diligentera les redressements.
L’article 10 procède également à la ratification de l’ordonnance 2021-1843 du 22 décembre 2021 ayant créé le Code des impositions sur les biens et services. Le CIBS sera ainsi conforté dans son statut législatif mais aucun texte réglementaire d’application n’a encore été publié.
Par ailleurs, le CIBS a d’ores et déjà fait l’objet de nombreuses modifications, essentiellement rédactionnelles, par l’article 9 § I et VI de la loi de finances rectificative pour 2022 n° 2022-1157 du 16 aout 2022.
L’article 114 du Code des Douanes de l’Union fixe le taux des droits de douane sur les dettes douanières (droits de douane et droits antidumping) sur la base du « taux applicable aux principales opérations de refinancement le premier jour du mois de l’échéance majoré de 2 points de pourcentage. »
Ce taux a longtemps été égal à 0%, donc le taux d’intérêt du Code des Douanes de l’Union était de 2 % par an.
Cependant, la Banque Centrale Européenne a porté ce taux directeur à 0,5 % / an le 21 juillet 2022 puis à 1,25 % le 14 septembre 2022. Le taux d’intérêt est désormais de 3,25 % / an et va encore croitre, créant une complexité dans le calcul des intérêts dus à la Douane.
Nous avons rapporté les décisions de la Cour de cassation qui commençaient à encadrer les pouvoirs que la Douane tient de l’article 60 du Code des douanes concernant le droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes (cf. les n° 17 – novembre-décembre 2015, n°30 – janvier-aout 2019, n° 36 – septembre-décembre 2020, n° 42 – janvier-avril 2022).
Jusqu’à présent, la Cour de cassation avait censuré les abus de pouvoir les plus critiquables de ce texte d’une ligne prévoyant que « Pour l’application des dispositions du présent code et en vue de la recherche de la fraude, les agents des douanes peuvent procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes. »
Dans un arrêt du 13 juin 2019 (pourvoi 18-83.297), la Cour de cassation avait de manière quasi législative tenté de fixer les limites à l’usage qui était fait de cette disposition (cf. le commentaire de Vincent Courcelle-Labrousse « Article 60 du Code des douanes : droit de visite mais pas d’audition » à « l’Actualité Juridique Pénal » d’octobre 2019 – p. 512).
Manifestement, cette décision, qui sonnait comme un avertissement, n’avait pas été suivie d’effet dans la pratique douanière sur le terrain et la Cour de cassation a trouvé cette fois que le « Sésame ouvre-toi » du Code des douanes méritait un petit examen de constitutionnalité.
Et pour les raisons qui suivent, le juge du Palais-Royal, en régent du Droit, a trouvé l’article bon pour la réforme.
Une personne physique verbalisée avait contesté la procédure et soulevé une question prioritaire de constitutionnalité qui a été transmise à la Cour de cassation, puis par celle-ci au Conseil constitutionnel par arrêt du 22 juin 2022 (pourvoi n° 22-90.008).
La Cour de cassation avait rappelé les caractéristiques exorbitantes du droit commun de l’article 60 dans la décision de renvoi : « Les dispositions contestées permettent aux agents des douanes, pour l’application des dispositions du code des douanes et en vue de la recherche de la fraude, de procéder au contrôle des marchandises, des moyens de transport et des personnes, sans accord de la personne concernée, ni autorisation préalable de l’autorité judiciaire et sans qu’il soit nécessaire de relever l’existence préalable d’un indice laissant présumer la commission d’une infraction, en tout lieu public des territoires douanier et national où se trouvent des personnes, des moyens de transports ou des marchandises, à toute heure du jour et de la nuit et à l’égard de toute personne se trouvant sur place, ce qui inclut la possibilité de fouiller ses vêtements et ses bagages. » (point 4)
La Cour de cassation avait ensuite énoncé les garde-fous qu’elle avait posés (cf. nos précédentes Lettres d’information précitées), à savoir que cette mesure de contrainte « ne peut s’exercer que le temps strictement nécessaire à la réalisation des opérations de visite, qui comprennent le contrôle de la marchandise, du moyen de transport ou de la personne, la consignation, dans un procès-verbal, des constatations faites et renseignements recueillis, ainsi que, le cas échéant, les saisies et la rédaction du procès-verbal afférent .» (point 6)
La Cour de cassation avait décidé aussi que « si les agents des douanes peuvent recueillir des déclarations en vue de la reconnaissance des objets découverts, ils ne disposent pas d’un pouvoir général d’audition de la personne contrôlée. » (point 7)
De plus, il avait été jugé que « les agents des douanes ne sont pas autorisés à procéder à la visite d’un véhicule stationné sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public libre de tout occupant. » (point 8)
Enfin, la Cour avait retenu que « la visite des personnes, qui peut consister en la palpation ou la fouille de leurs vêtements et de leurs bagages, ne saurait inclure une fouille à corps, impliquant le retrait des vêtements. » (point 9)
La Cour avait même reconnu que les indices recueillis devaient être préservés et transmis à un officier de police judiciaire mais pas exploités sur le champ dans le cadre de l’article 60 (point 10).
Enfin, il était rappelé que la personne pouvait contester la régularité du contrôle « par voie d’exception », à savoir comme un moyen de défense en cas de poursuite contre elle.
Sur ce point, la Cour de cassation avait relevé la faiblesse de la disposition: « Cependant, notamment en l’absence de tout recours par voie d’action [en prenant l’initiative d’un contentieux] ouvert à la personne directement intéressée par le contrôle, la question de savoir si ces garanties sont propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d’une part, la liberté individuelle, le droit au respect de la vie privée et la liberté d’aller et venir, d’autre part, la lutte contre les fraudes transfrontalières et les atteintes aux intérêts financiers de l’Etat et de l’Union européenne est sérieuse. »
Le Conseil constitutionnel a suivi la Cour de cassation, en plaçant le débat à un niveau plus global critiquant le déséquilibre de l’article 60 en faveur de la Douane.
Le Conseil rappelle le principe que « La lutte contre la fraude en matière douanière, qui participe de l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions justifie que les agents des douanes puissent procéder à la fouille des marchandises, des véhicules ou des personnes. » (point 7)
Le Conseil constate ensuite que « les dispositions contestées permettent, en toutes circonstances, à tout agent des douanes de procéder à ces opérations pour la recherche de toute infraction douanière, sur l’ensemble du territoire douanier et à l’encontre de toute personne se trouvant sur la voie publique. » (point 8)
Le dispositif a été déclaré contraire à la Constitution, dès lors qu’il ne précise « … pas suffisamment le cadre applicable à la conduite de ces opérations, tenant compte par exemple des lieux où elles sont réalisées ou de l’existence de raisons plausibles de soupçonner la commission d’une infraction ». Ainsi le législateur « n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre, d’une part, la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir et le droit au respect de la vie privée. » (point 9)
Cependant, le Conseil constitutionnel a décidé que la déclaration d’inconstitutionnalité ne prendra effet que le 1er septembre 2023 pour laisser au législateur le temps de remédier au problème.
Personne ne pourra bénéficier du travail opiniâtre du demandeur à la QPC, vraisemblablement pas même lui…, ce qui est un frein regrettable à l’utilisation de la question prioritaire de constitutionnalité.
Par un arrêt du 7 septembre 2022 (pourvoi
21-80.397), la chambre criminelle de la Cour de cassation a tiré les premières conséquences de la réforme de la procédure pénale douanière opérée par l’ordonnance 2019-963 du 18 septembre 2019 modifiée et ratifiée par une loi 2020-1672 du 24 décembre 2020 (cf. notre présentation dans la Lettre d’information n° 38 – janvier-avril 2021).
Un des points de la réforme avait consisté dans l’abrogation de l’article 426 § 4° du Code des douanes réputant « importation ou exportation sans déclaration de marchandises prohibées […] 4° les fausses déclarations ou manœuvres ayant pour but ou pour effet d’obtenir, en tout ou partie, un remboursement, une exonération, un droit réduit ou un avantage quelconque attachés à l’importation ou à l’exportation ».
Cette affaire portait sur des marchandises entrées en France en 2011-2012 en transit communautaire externe « T1 » préalablement à leur dédouanement prévu chez des représentants en douane en France et en Belgique.
Une enquête avait fait apparaitre que les marchandises avaient été livrées directement aux acheteurs nationaux et les importateurs ne les avaient quasiment jamais fait acheminer chez leur représentant en douane, qui les dédouanait toutefois sans les avoir présentées en Douane.
Les importateurs et leurs représentants en douane avaient été condamnés pour « manœuvres » sur le fondement de l’article 426 § 4°.
Ils soutenaient en cassation que l’abrogation de ce texte devait leur profiter.
La Cour de cassation les a suivis au visa de l’article 112-1 du Code pénal (principe de l’application immédiate de la loi pénale plus douce). Elle a rappelé au point 15 de l’arrêt que « Selon ce texte, une loi nouvelle qui abroge une incrimination s’applique aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur et faisant l’objet de poursuites non encore terminées par une décision passée en force de chose jugée. »
Cependant, la Cour de cassation n’a pas donné de consigne sur le texte pouvant être appliqué dans le cadre d’une requalification par le juge de renvoi. Ce litige pourrait être tranché au regard de l’article 412 du Code des douanes (contravention de troisième classe).
Par un arrêt du 7 septembre 2022 (pourvoi
21-85.236, publié au Bulletin), la chambre criminelle de la Cour de cassation a statué sur la responsabilité pénale d’un représentant en douane.
La Douane de La Réunion avait contrôlé des conteneurs en instance de départ vers Madagascar.
Elle avait trouvé des batteries usagées pour automobiles non dépolluées, caractérisant des déchets interdits d’exportation.
Le représentant en douane qui avait souscrit les déclarations d’exportation correspondantes avait été condamné pénalement pour « violation d’une prohibition légale ou réglementaire d’exportation de marchandises, fait réputé exportation sans déclaration de marchandises prohibées », délit douanier prévu par l’article 428 du Code des douanes (non réformé en 2019-2020).
Le représentant soutenait qu’il ignorait le contenu exact des conteneurs et plaidait sa bonne foi. La Cour de cassation a suivi la Cour d’appel qui avait jugé que « l’exception de bonne foi et l’absence d’intention ne sauraient être retenues dès lors qu’il ressort des dispositions de l’article 395 du code des douanes que les signataires des déclarations sont responsables des omissions, inexactitudes et autres irrégularités relevées dans les déclarations, et que le prévenu pouvait vérifier le contenu des containers, et en avait même l’obligation en application de l’article précité. »
La Cour de cassation a considéré également que l’absence de franchissement de la frontière par les conteneurs à la date de la saisie douanière ne faisait pas obstacle à la commission du délit.
De manière inquiétante, l’arrêt semble imposer au représentant en douane une « obligation de vérification des conteneurs » tirée de l’article 395 du Code des douanes national.
Voilà une interprétation extrêmement dangereuse, qui ne cadre pas avec la réalité juridique des pouvoirs d’un représentant en douane, notamment quand s’applique le Code des Douanes de l’Union.
Lorsque l’on connait le pourcentage des conteneurs qui passent en visite à l’arrivée ou au départ, cet « attendu » laisse songeur.
Les magistrats de la chambre criminelle enrichiraient certainement leur réflexion en se déplaçant dans une enceinte portuaire.