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n° 41 – Novembre – décembre 2021
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La Lettre d’information en bref
- Les évolutions majeures après la discussion du projet de loi de finances pour 2022 (sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel saisi d’un recours) sont les suivantes en matière douanière :
- Création d’un « bouclier tarifaire et fiscal » pour atténuer la flambée des tarifs de vente réglementés du gaz naturel et de l’électricité ;
- Modification des taux réduits de TVA sur les importations des produits alimentaires ;
- Renforcement du contrôle des représentants fiscaux pour la TVA ;
- Suppression de la déclaration statistique d’échange de biens « DEB » ;
- Renforcement des sanctions douanières, fiscales et pénales contre les exportations fictives (carrousel de TVA) et les trafics de « tabac illicite » ;
- Extension du futur « code sur les impositions des biens et services » à une centaine d’impositions supplémentaires (habilitation au gouvernement) ;
- Nouvelles réformes de la fiscalité incitative sur les biocarburants ;
- Unification des règles du privilège du Trésor ;
- Règles de transition pour le transfert comptable des « restes à recouvrer » concernant les taxes transférées à la Direction Générale des Finances Publiques.
- La Cour de justice de l’Union européenne statue sur l’application dans le temps de l’article 211 du Code des Douanes de l’Union sur les autorisations de recourir à des « régimes particuliers ».
- La Cour de cassation conforte sa jurisprudence sur les modalités du « droit d’être entendu ».
- La Cour de cassation se prononce sur le caractère taxable des pertes de fabrication constatées chez un producteur d’alcool.
- La CJUE examine le classement d’importations de cire d’abeille fondue.
Stéphane Le Roy a été coopté membre de la commission « Droit douanier, taxes énergétiques et environnementales » de l’Institut des Avocats Conseils Fiscaux (IACF).
La discussion du projet de loi de finances (PLF) pour 2022 est s’achevée. L’Assemblée Nationale a voté le texte en « lecture définitive » le 15 décembre 2021.
En l’état des discussions, sous réserve de la décision à venir du Conseil constitutionnel (saisine du 16 décembre), les principales évolutions en matière douanière (au sens large) sont les suivantes (« LF » désigne les références définitives des articles de la loi de finances. « CD » le Code des douanes, « CGI » le Code général des impôts). Le format de la présente interdit toute exhaustivité, la loi publiée devra être revue :
- Les règles du droit annuel de francisation et de navigation applicable aux navires français et du droit de passeport (concernant certains navires étrangers) font l’objet d’aménagements notamment pour les navires équipés de moteurs amovibles et ceux dont le port d’attache est en Corse (application du tarif corse) (art. 223, 224, 228 et 238 CD) (art. 26 LF).
- Les aéronefs stationnant en aérodromes qui s’approvisionnent directement en électricité bénéficieront d’un nouveau taux réduit de taxe intérieure de consommation finale d’électricité (0,5 € / MwH). Ce taux réduit a pour objectif de diminuer la pollution des moteurs quand ils produisent cette électricité (nouveau i. du C du 8 de l’art. 266 quinquies C CD – art. 27 LF).
- La flambée internationale des prix de l’énergie constatée à l’automne 2021 a conduit le législateur à aménager temporairement la fiscalité énergétique pour en réduire l’impact. Ce dispositif est dénommé « bouclier tarifaire et fiscal ». Le taux de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel pourra être réduit par décret tout au long de l’année 2022. La taxe intérieure de consommation finale d’électricité va faire l’objet d’une forte réduction de ses taux en 2022, pour pallier l’augmentation du tarif réglementé de vente de l’électricité anticipée à hauteur de … 20% en février 2022 en l’absence d’effort fiscal. La hausse des prix serait donc contenue à 4% (coût : 5,13 mds €) (art. 29 LF).
- Un vaste ensemble de dispositions en matière de TVA va être voté (art. 30 LF). Pour ce qui concerne les opérations relevant de la matière douanière, on citera les suivantes :
- Une modification des taux réduits de TVA sur les importations de produits alimentaires, pour étendre le taux réduit de 5,5 % au lieu du taux intermédiaire de 10 % (art. 278-0 bis et 278 A CGI) ;
- Le renforcement des exigences de moralité, solvabilité et d’organisation concernant les représentants fiscaux des entreprises non établies dans l’UE, dont la représentation des plateformes de ventes en e-commerce non UE devenues responsables de la TVA ;
- Les déclarations à finalité statistique sont simplifiées à la suite d’un règlement n° 2152/2019 du 27 novembre 2019. La « déclaration d’échanges de biens » concernant les flux introduits en France va disparaitre (abrogation des art. 289 C CGI et 467 CD). Seul demeure « l’état récapitulatif des clients » (art. 289 B CGI) qui reprend les flux expédiés de France vers un autre Etat membre.
- Une modification de l’art. 321 CD et le rétablissement du 3° de l’art. 426 CD ont pour objectif de mieux sanctionner les fraudes à la TVA reposant sur des exportations fictives, en permettant d’appliquer à celles-ci les procédures de contrôle et de sanction prévues pour les infractions douanières (art. 131 LF).
- La fiscalité des biocarburants évolue à nouveau. La taxe dénommée « TGAP carburants » de 2005 à 2018, puis « TIRIB » de 2019 à 2021, est renommée « TIRUERT » (taxe incitative relative à l’utilisation d’énergie renouvelable dans les transports). Le PLF 2022 relève les « cibles d’incorporation » dans le gazole et l’essence (nécessité d’y introduire une part croissante de biocarburants « durables» eux-mêmes différenciés selon leur origine), élargit les utilisations de l’hydrogène et renforce l’incitation à utiliser l’énergie tirée des graisses et huiles usagées et des matières premières avancées (art. 266 quindecies CD – art. 95 LF).
- Dans la continuité des travaux du PLF 2021, l’huile de soja ne sera plus une matière première « durable » pour les biocarburants à partir du 1er janvier 2022. Les quantités de cette huile ne seront plus prises en compte pour déterminer si l’objectif-cible d’incorporation de biocarburants visé par l’article 266 quindecies précité a été respecté (art. 28 LF).
- Le transfert de compétences de la Douane vers les services des impôts s’accompagne d’une recodification des « impositions sur les biens et services ». Une habilitation avait été conférée par le législateur au gouvernement pour procéder par voie d’ordonnance en 2019 (cf. notre Lettre d’information n° 32). Le processus a pris du retard. Le PLF 2022 confirme cette habilitation, qui semble conduire vers des modifications des règles de calcul et de recouvrement de la fiscalité énergétique. Selon les travaux parlementaires « la longueur des articles de ce code serait réduite de 80% et le ‘volume de la loi’ de 50 à 60 % ». L’ordonnance sera publiée en principe avant le 1er janvier 2022 (art. 128 LF).
- Une centaine d’autres impositions seront incluses dans ce nouveau code, dans le cadre d’une habilitation distincte (d’une durée de 24 mois) pour prendre une seconde ordonnance. Y figureront la TVA, l’octroi de mer, la « TIRUERT » précitée, la taxe générale sur les activités polluantes dans toutes ses composantes dont les déchets, etc. Il est important de noter que cette recodification ira très au-delà des taxes recouvrées actuellement par l’administration des douanes (art. 128 LF).
- Le privilège du Trésor et sa publicité seront unifiés, simplifiés et refondus dans le cadre de l’art. 1920 CGI qui couvrira tous les impôts. Le CD est modifié pour que le privilège de la Douane soit désormais celui du Trésor sans aucune spécificité (art. 130 LF). Les règles relatives à la publicité du privilège ne sont pas modifiées. Le recours à l’hypothèque légale sur les biens immeubles du redevable est systématisé à l’ensemble des créances publiques (y compris les amendes douanières) et simplifié.
- Le transfert des « restes à recouvrer » par les comptables des douanes (485 M €) vers leurs collègues de la Direction Générale des Finances Publiques est organisé. C’est une conséquence du transfert des taxes. La transition entre les deux administrations est accélérée autant que possible. Ce dispositif complexe va entrer en vigueur progressivement de 2022 à 2026 (art.130 LF).
- Les sanctions fiscales (amende fiscale et pénalité) en cas de détention ou vente de « tabac illicite » (contrebande, trafic de « fourmis », contrefaçon de cigarettes etc.) prévues par l’article 1791 ter CGI sont doublées. C’est la quatrième réforme de ce texte en sept ans (art. 143 LF).
- Certains alcools sont exonérés de droits d’accise dans le cadre de leur utilisation pour la production de compléments alimentaires (II de l’article 302 D bis CGI, art. 169 LF).
La CJUE a de nouveau été saisie d’un litige sur la portée rétroactive d’une autorisation de destination particulière (DP) (cf. CJUE Unipack AD du 9 juillet 2020, C-391/19, cf. notre Lettre d’information n° 35 juin-aout 2020).
Dans cette nouvelle affaire Beeren Wild Feinfrucht, l’arrêt du 21 octobre 2021 de la CJUE (C-825/19) portait sur l’applicabilité ou non de l’article 211 du Code des Douanes de l’Union.
La société avait bénéficié d’une autorisation de destination particulière valable de 2010 à 2012. Elle avait poursuivi ses importations en 2013-2015 sans avoir demandé le renouvellement de son autorisation.
Contrôlée par la Douane allemande en 2015, la société avait alors sollicité un renouvellement avec effet rétroactif au 1er janvier 2013. Par suite de péripéties procédurales, la décision de rejet ne datait que de 2019, postérieurement à l’entrée en vigueur du CDU (1er mai 2016). Estimant que le nouvel article 211 concernant le régime des demandes d’autorisation lui était plus favorable, l’importateur avait sollicité son application rétroactive au litige, ce qui posait le problème de la qualification de ses dispositions « de procédure » (applicables aux affaires en cours) ou « de fond » (non rétroactives).
La CJUE a jugé que l’article 211 ne contenait que des règles « de fond », donc applicables aux situations juridiques postérieures à l’entrée en vigueur du CDU. L’application de l’article 211 aux importations de 2013-2015 a été écartée, bien que la décision de rejet n’ait été prise qu’en 2019.
La CJUE a statué également sur l’interprétation de l’article 294 des Dispositions d’Application du Code des douanes communautaire (règlement 2454/93 du 2 juillet 1993) fixant les conditions pour obtenir le renouvellement rétroactif de l’autorisation de DP.
Ce texte comportait un § 2 permettant un renouvellement rétroactif en cas de poursuite de la l’importation de la même marchandise, remontant à la date de l’expiration de l’autorisation initiale. Cependant, un § 3 prévoyait que dans des « circonstances exceptionnelles », la rétroactivité pouvait remonter un an avant la date du dépôt de la demande. Le § 2 semblait avantager la société allemande, tandis que le § 3 lui était défavorable dans le contexte des faits de l’espèce.
La CJUE a jugé que les deux paragraphes instituent des régimes dérogatoires autonomes, contrairement aux circulaires de la Douane allemande qui conditionnaient l’application du § 2 à la satisfaction des conditions du § 3 (points 42-44).
Deux arrêts de la Cour de cassation complètent la jurisprudence en faveur des redevables.
- Par un arrêt du 17 novembre 2021 (pourvoi n° 20-8/2.300 publié au Bulletin), la chambre criminelle a confirmé que la procédure d’enquête doit respecter les principes du contradictoire et des droits de la défense, appliqués par l’article L80M du Livre des Procédures Fiscales (LPF) en matière de contributions indirectes dans le cadre du « droit d’être entendu ».
Dans cette affaire, une brasserie avait refusé de signer un procès-verbal de recensement établi dans le cadre de l’article L34 du LPF. La Douane ayant constaté des irrégularités dans le stock avait notifié un avis préalable de taxation sur la base de ce procès-verbal. La société reprochait à l’administration de fonder sa procédure contradictoire sur cet acte non signé.
La Cour de cassation a écarté le grief, au motif que les articles L34 et L80M du LPF n’exigent pas qu’un procès-verbal de recensement de stock et, plus généralement, tous les procès-verbaux cités dans un avis préalable de taxation, soient signés par le redevable.
Cependant, cet arrêt constitue un nouvel exemple de la lente prise en compte des principes résultant du « droit d’être entendu » dans la jurisprudence du droit pénal « douanier ».
- Un arrêt de la chambre commerciale du 24 novembre 2021 (pourvoi 18-25.603), a cassé un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait validé le caractère contradictoire d’une procédure d’enquête. Cependant, le rapport établi par l’Office de Lutte Antifraude (OLAF), sur lequel le redressement reposait, n’avait été communiqué au redevable que le jour du procès-verbal de notification d’infraction et de redressement.
La cassation est prononcée (point 8), au motif que la Cour n’a pas recherché « si les éléments joints au procès-verbal de notification d’infraction du 21 octobre 2005 et non connus de la société lui avaient été communiqués préalablement à l’établissement de cet acte et dans un délai suffisant pour permettre à celle-ci de faire connaître son point de vue utilement et que l’administration en prenne connaissance avec toute l’attention requise ».
Un arrêt de la chambre commerciale du 24 novembre 2021 (pourvoi n° 19-19.177) a cassé un arrêt de la Cour de Douai sur le suivi des pertes d’alcool.
L’opérateur, un producteur d’alcool pur, avait essuyé des pertes de fabrication qui n’avaient pas été retracées en temps utile dans sa comptabilité-matières.
Bien que l’existence des pertes n’ait pas été contestée, la Douane avait taxé les pertes comme manquants.
La Cour d’appel avait annulé le redressement au motif que « l’administration des douanes, qui avait constaté que les quantités d’alcool pur litigieuses correspondaient à des pertes survenues en cours de fabrication, de transformation ou de stockage, dont la réalité était justifiée par la société, ne pouvait requalifier lesdites pertes en manquants au seul motif qu’elles n’apparaissaient pas dans la comptabilité matières de ladite société. »
La Cour précisait que « la requalification d’une perte avérée en manquant taxable, au seul motif qu’elle ne figure pas en comptabilité matières de la société contrôlée, apparaît en outre contraire au principe posé par la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 en son article 7, selon lequel la destruction totale ou la perte irrémédiable de produits soumis à accise placés sous un régime de suspension de droits, pour une cause dépendant de la nature même des produits, ne sont pas considérées comme une mise à la consommation. »
La Cour de cassation a fait une application stricte de l’article 302 D, I, 1, 2°, b, du CGI fondant le redressement et jugé ce texte conforme à l’article 7 de la directive de 2008.
La Cour de cassation a retenu qu’il résulte de l’article 302 D du CGI précité que « l’invocation d’une perte exonérée de droits suppose que celle-ci soit, dès qu’elle a été constatée, dûment retracée en comptabilité. »
Un arrêt Kahl & Roeper de la CJUE du 28 octobre 2021 (C-197/20 et C-216/20) a statué sur le classement d’une « cire d’abeille brute » qui relevait de la position tarifaire 1521 90 91 selon l’importateur. La CJUE a retenu que les cires n’étaient plus brutes dès lors qu’elles avaient été fondues, bien qu’elles n’aient pas fait l’objet de traitement de purification ni de raffinage. La Douane retenait la position 1521 90 99 (cires « autres »).
Des divergences linguistiques entre les différentes versions du tarif et des notes explicatives de la nomenclature combinée étaient apparues. La CJUE a tranché en faveur de l’administration.