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n° 40 – Juillet – Octobre 2021
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La Lettre d’information en bref :
- Le projet de loi de finances pour 2022 confirme le transfert de compétence et la recodification des règles fiscales concernant la plupart des taxes actuellement recouvrées par l’administration des douanes.
- La Cour de cassation confirme le caractère rétroactif de l’annulation d’un Renseignement Tarifaire Contraignant.
- La Cour de cassation fixe la date à laquelle la dette douanière est considérée comme ayant fait l’objet d’une « communication » en droit français, au sens de l’article 221 du code des douanes communautaire.
- La Cour de cassation confirme le rétrécissement de sa jurisprudence de 2014 sur l’application du principe civiliste de la force majeure en cas de vol de tabacs manufacturés dans des entrepôts suspensifs de droits d’accise.
- La Cour de cassation et la Cour d’appel de Paris ont rendu des décisions favorables au redevable concernant l’application du principe du contradictoire pendant les enquêtes douanières.
- La Cour de cassation limite les effets d’une irrégularité commise par l’administration dans le cadre de son droit de visite des personnes, des marchandises et des moyens de transport, sur la validité des actes de procédure postérieurs.
- La Cour de cassation fait une application en matière douanière de sa jurisprudence sur le non-cumul des qualifications pénales dans certaines circonstances (principe « ne bis in idem»).
- En droit de la propriété intellectuelle, des artistes qui reproduisent le personnage de « Tintin » invoquent l’exception de parodie avec des fortunes diverses.
Le cabinet GODIN ASSOCIES a procédé à la refonte de son site Internet afin d’améliorer son accessibilité et son contenu.
A l’affût de toutes les innovations règlementaires et jurisprudentielles, nous ne manquerons pas de continuer à vous faire profiter de notre veille.
En témoigne la présente Lettre d’information dont vous lisez le quarantième numéro. Cette huitième année d’activité éditoriale témoigne de la solidité de notre volonté d’être toujours au plus près des évolutions qui traversent notre domaine d’intervention.
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2022, mis en ligne le 22 septembre 2021, prévoit en son article 33 de poursuivre la « recodification » de la plupart des taxes actuellement recouvrées par l’administration des douanes.
Le calendrier précédemment annoncé dans nos Lettres d’information n’a pas changé.
En revanche, l’administration confirme sa volonté, également annoncée, de procéder à une « recodification » d’importance. Ainsi, l’article 33 du PLF confirme et élargit une habilitation donnée au Gouvernement en 2019 pour procéder par voie d’ordonnance à la rédaction d’un « code des impositions sur les biens et services ».
En définitive, ce code ira bien au-delà d’une simple recodification à droit constant des accises sur les énergies, l’électricité et les tabacs et alcools. Le projet du gouvernement est de transférer dans ce code tous les impôts sur la consommation des biens et des services qui sont éparpillés dans le code général des impôts et dans divers codes.
Pour l’instant, les associations professionnelles des opérateurs ne semblent pas avoir été informées des projets qui n’ont apparemment pas encore fait l’objet d’une consultation publique.
Toutefois, le PLF indique que le Conseil d’Etat a été saisi d’un projet d’ordonnance sur lequel il va rendre un avis tout prochainement.
La question se pose par ailleurs, qui ne semble pas complètement tranchée, de savoir si les taxes nouvellement transférées à la direction générale des finances publiques seront contrôlées par des agents de la DGFIP ou par certains agents de la direction générale des douanes et droits indirects transférés à la DGFIP en fonction de leur expertise.
En matière de classement tarifaire, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 7 juillet 2021 (pourvoi 19-16.349) par lequel elle a rejeté le pourvoi d’un importateur contre un arrêt de la Cour d’appel de Paris.
Cet importateur avait sollicité un Renseignement Tarifaire Contraignant (RTC) pour des tubes d’acier sans soudure, sous une position exempte de droits de douane et de droits antidumping.
Après avoir demandé des précisions, l’administration avait délivré le RTC sous une autre position également exempte de ces deux droits.
Toutefois à la suite d’un contrôle a posteriori, l’administration s’était aperçue que la marchandise relevait d’un troisième code tarifaire qui, quant à lui, faisait l’objet de droits antidumping.
Il se trouve que l’importateur n’avait jamais reçu la notification du RTC qu’il avait demandé et ne s’en était donc jamais servi pour ses dédouanements. Il entendait toutefois se prévaloir de la protection apportée par le RTC pour faire échec au redressement.
Toutefois, le Tribunal judiciaire de Créteil puis la Cour d’appel de Paris n’avaient pas fait droit à sa demande et avaient jugé que le RTC était nul, au motif qu’il avait été obtenu sur la base d’éléments inexacts ou incomplets (cf. article 8 du CDC).
En effet, le classement tarifaire retenu par l’administration avait été établi sur la base de l’appréciation de la teneur de l’acier en carbone.
L’administration avait cru, sur la base de l’énonciation de la demande, qu’il y avait 9 % de carbone, alors qu’il n’y en avait eu que 0,86 %. L’importateur avait négligé de communiquer l’unité de référence de mesure du carbone dans le secteur de l’industriel (1 pour 10.000), qui permettait de comprendre ce qu’était une teneur en « carbone de 9» (9 pour 10.000 et pas 9 pour 100 comme l’avait cru la Douane).
Les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, ont considéré que la décision de RTC avait été obtenue sur la base d’éléments inexacts ou incomplets. L’opérateur devait forcément connaitre, comme professionnel, que ce RTC était erroné.
Ainsi, contrairement à ce que demandait l’importateur, l’annulation rétroactive du RTC a été validée par la Cour de cassation et non une simple révocation pour l’avenir.
Par un arrêt du 23 juin 2021 (pourvois 19-10.019 et 19-14.472), la chambre commerciale de la Cour de cassation, statuant sur de nombreux points de droit, a, notamment, rendu une décision intéressante sur la date à laquelle la dette douanière fait l’objet d’une « communication » au débiteur au sens de l’article 221 du code des douanes communautaire (CDC).
Dans cette affaire, à la suite d’une enquête ayant impliqué l’OLAF, la Douane avait notifié à l’importateur un procès-verbal d’infraction (redressement) le 25 avril 2007.
Toutefois les droits n’avaient été « pris en compte » dans sa comptabilité que le 8 mai 2007 et un AMR avait été notifié à l’importateur le 24 mai 2007.
La décision prolonge la jurisprudence déjà solidement consacrée de la Cour de cassation (dans le sillage de celle de la CJUE).
Il est de longue date jugé que la dette douanière ne peut être valablement notifiée que si celle-ci a été prise en compte antérieurement à sa « communication » au redevable (arrêt du 10 février 2015 – n° 13-10.774 cf. notre Lettre d’information n° 12 – février 2015 et arrêt du 16 décembre 2020, pourvoi n° 18-16.885, cf. notre Lettre d’information n° 38 – janvier-mars 2021).
Au visa de l’article 221 du CDC, la Cour de cassation a censuré l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait validé la « communication » de la dette douanière en comparant la date de prise en compte (8 mai 2007) et la date de l’AMR (24 mai 2007) qui, selon l’arrêt de la Cour d’appel « constitue la communication des droits au débiteur ».
La Cour de cassation a cassé l’arrêt au motif que « … la communication du montant de la dette douanière au redevable résulte du procès-verbal de constat et de notification d’infraction et non de l’AMR, qui n’est qu’un acte d’exécution forcée de la dette dûment et préalablement communiquée ».
Par deux arrêts du 23 juin 2021 (pourvoi
n° 19-16.586 et 19-12.407), la chambre commerciale de la Cour de cassation confirme le quasi-abandon d’une jurisprudence de 2014 (cf. notre lettre d’information n° 4 – février 2014).
En effet, depuis un arrêt du 4 février 2014, la Cour de cassation appliquait le principe du droit civil de la force majeure aux droits des accises (article 1148 ancien du Code civil, actuellement article 1351).
Elle admettait que le vol de tabacs manufacturés soumis à accises, normalement surveillés et contrôlés, et détenus en régime suspensif de ces droits chez un entrepositaire agréé, pouvait dans certains cas « extrêmes », caractériser un cas de force majeure emportant une exonération des droits.
Une jurisprudence de la Cour de justice exclut depuis 1983 l’application de ce principe aux droits de douane. Cependant, une ouverture avait été faite concernant des accises nationales françaises.
C’est sur cette base que la Cour d’appel avait annulé deux avis de mise en recouvrement de l’administration, dans deux affaires se caractérisant par des vols survenus de vive force à main armée dans des entrepôts surveillés.
Toutefois, amplifiant une tendance que nous avions relevée dans un arrêt du 16 décembre 2020 (pourvoi n° 18-23.772 – cf. notre Lettre d’information n° 38 – janvier-mars 2021), la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel.
Elle statue aux visas de l’article 7 de la directive n° 2018/118/CE du Conseil du 16 décembre 2018 relative au régime général d’accises et des articles 302 D et 302 K § I du CGI, au motif que « le vol n’avait rendu les marchandises inutilisables que pour la société, mais non pour les auteurs du vol, de sorte que cette société ne pouvait bénéficier de l’exonération des droits prévue pour les pertes résultant d’un cas de force majeure ».
En cet état, il doit donc être considéré que la jurisprudence de 2014 est abandonnée lorsqu’un vol a été commis chez un entrepositaire agréé, quand bien même l’infraction aurait-elle été « extérieure » « imprévisible » et « irrésistible », remplissant ainsi les trois critères de la « force majeure » du droit civil
Par un arrêt du 9 juin 2021 (pourvoi 20-11.804), la chambre commerciale de la Cour de cassation a réaffirmé sa jurisprudence favorable sur la nécessaire application du principe du contradictoire par l’administration des douanes dans le cadre de ses enquêtes.
La Cour de cassation a fait application du principe général du respect des droits de la défense, dans cette affaire antérieure à l’entrée en vigueur de l’article L80M du Livre des Procédures Fiscales qui organise « le droit d’être entendu » en matière de « contributions indirectes » (1er janvier 2011).
L’administration poursuivait une organisation non déclarée de jeux de loto et avait diligenté une visite domiciliaire chez le redevable le 13 juin 2010 suivie de trois auditions de juin à août 2010. Un procès-verbal d’infraction avait été notifié le 24 septembre 2010 et un avis de mise en recouvrement dès le 29.
La Cour d’appel avait validé la procédure.
La Cour de cassation a cassé la décision (sans renvoi ce qui est rare) et retenu que « ce n’est que le 24 septembre 2010 que [le redevable] a pu prendre connaissance des investigations menées par l’administration des douanes, dont certaines ont été réalisées après sa dernière audition, et des éléments permettant de mettre en cause sa responsabilité personnelle, ainsi que des infractions susceptibles de lui être reprochées, ce dont il résulte qu’il n’a pas été mis en mesure de faire connaître son point de vue dans un délai suffisant et en connaissance de cause, avant l’émission des AMR ».
On signalera également, dans une affaire du cabinet, un arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu le 16 septembre 2021 (R-G 20/06982 – non définitif). La Cour statuait sur renvoi après cassation, à la suite d’un arrêt du 18 mars 2020 de la chambre commerciale (cf. notre Lettre d’information n° 33 – janvier-mars 2020).
La Cour d’appel de renvoi a appliqué pleinement la « doctrine » de la Cour de cassation. Dans cette affaire, les constatations de l’administration des douanes reposaient en grande partie sur des réponses apportées par des douaniers d’autres Etats membres, dans le cadre de l’assistance administrative mutuelle communautaire.
Bien que la communication des actes desdites enquêtes avait été demandée en juin 2013 lors de la réponse à l’avis préalable de taxation (procédure contradictoire), l’administration s’était abstenue de fournir ces pièces. Elle avait notifié un procès-verbal d’infraction puis un avis de mise en recouvrement en juillet et septembre 2013. C’est seulement 5 mois après la demande de communication, en octobre 2013, que la Douane avait communiqué ses pièces.
La Cour d’appel retient que « le respect des droits de la défense ne peut être analysé a posteriori en fonction des arguments exposés par le redevable, celui-ci devant avoir préalablement à la décision prise par l’administration communication des pièces sur lesquelles celle-ci envisage de fonder sa décision même si le redevable dispose de recours ultérieur, le principe du contradictoire doit être respecté à chaque phase de la procédure ».
Par un arrêt du 16 juin 2021 (pourvoi 21-80.614 publié au Bulletin), la chambre criminelle de la Cour de cassation a statué sur un arrêt d’appel qui avait constaté que des opérations effectuées dans le cadre de l’exercice du droit de visite prévu par l’article 60 du code des douanes (personnes, marchandises et moyens de transport), « ne [s’étaient] pas succédées sans délai et sans discontinuité et ne pouvaient donner lieu au maintien de la personne concernée à la disposition des agents des douanes de 1 heure 35 à 10 heures 40 ».
La Cour de cassation était déjà intervenue dans cette affaire par un arrêt du 18 mars 2020 qui avait cassé une précédente décision d’appel, en raison de divers actes irréguliers dont une audition sur procès-verbal, prohibée dans le seul cadre de l’article 60 du Code des douanes (cf. notre Lettre d’information n° 36- septembre-décembre 2020).
La Cour avait ainsi appliqué sa jurisprudence plus favorable aux personnes contrôlées depuis son arrêt de principe du 13 juin 2019 (voir notre Lettre d’information n° 30 – janvier-aout 2019). Pour rappel, la Cour de cassation avait jugé que le droit de visite des personnes, marchandises et des moyens de transport ne permettait pas de procéder à une audition des personnes contrôlées.
La Cour censure les conséquences que les juges d’appel de renvoi ont tirées de ces irrégularités.
En effet, selon l’arrêt attaqué, toute la procédure était entachée de nullité ainsi qu’une procédure pénale ouverte en flagrant délit à la suite de la remise de la personne aux enquêteurs de la police judiciaire.
L’attendu de principe (point 15), retient qu’en cas d’application de l’article 60 du code des douanes, « le maintien d’une personne à la disposition des agents des douanes (…) au-delà de ce qui est strictement nécessaire à l’accomplissement de cette mesure et à l’établissement du procès-verbal qui la constate n’entraîne l’annulation de la procédure de contrôle douanier qu’à compter du moment où la mesure de contrainte cesse d’être justifiée ».
Ainsi, l’annulation des procès-verbaux ne pouvait porter que sur les actes dressés à partir du moment où la mesure de retenue avait cessé d’être justifiée. En outre, la procédure pénale subséquente ne pouvait être automatiquement invalidée.
La question se pose désormais de savoir si les actes non annulés suffisaient pour justifier l’ouverture de la procédure pénale.
La Cour de cassation vient ainsi nuancer la portée de sa jurisprudence, la rendant par là même encore plus « casuiste », donc plus difficile à mettre en œuvre.
Par un arrêt du 30 juin 2021 (pourvoi n° 20-81.724), la chambre criminelle de la Cour de cassation a fait une application de sa jurisprudence sur le principe « ne bis in idem ».
Il s’agissait d’un trafic de stupéfiants dans lequel le demandeur au pourvoi avait été condamné par une Cour d’appel pour association de malfaiteurs, infraction à la législation sur les stupéfiants, récidive, importation non autorisée de stupéfiants et importations en contrebande de marchandise dangereuse pour la santé publique.
La Cour d’appel avait condamné le demandeur à 8 ans d’emprisonnement, 30 000 € d’amende, des pénalités douanières et ordonné une confiscation.
Le demandeur contestait la double incrimination d’association de malfaiteurs et les infractions douanières en arguant de ce que « le délit d’association de malfaiteurs n’est constitué qu’en présence de faits matériels caractérisant la participation du prévenu à une entente établie en vue de la préparation d’un crime ou d’un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement ». (point 14)
Il était reproché à la Cour d’appel d’avoir déduit « l’association de malfaiteurs » à partir des actes matériels d’exécution des infractions (circulation en convois et utilisation de téléphones portables dédiés à chaque opération, entre autres) « sans caractériser précisément l’existence de contacts préalables ni d’actes préparatoires imputables personnellement [au demandeur] et traduisant la mise en œuvre d’une entente coupable » (point 14).
La Cour de cassation, aux visas du principe ne bis in idem et de l’article 593 du code de procédure pénale rappelle sa jurisprudence en la matière : « Des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes » (point 15).
L’arrêt est cassé concernant l’incrimination d’association de malfaiteurs qui ne pouvait pas être appliquée « … sans retenir d’actes préparatoires distincts de ceux constituant la préparation des faits de transport, détention, acquisition, offre ou cession, et importation non autorisés de stupéfiants dont elle a déclaré le demandeur coupable par la même décision ».
Deux décisions récentes ont statué sur la revendication de l’exception de parodie par deux artistes ayant reproduit le personnage de Tintin dans leurs œuvres.
Si le Tribunal judiciaire de Rennes a reconnu l’application de cette exception (I), ce n’est pas le cas du Tribunal judiciaire de Marseille qui a condamné l’artiste sculpteur Peppone pour contrefaçon (II).
- Tintin en Amérique (Tribunal judiciaire de Rennes, 10 mai 2021 – RG 17/04478)
- Marabout. Hergé – Hopper – En Motocyclette dans le Vermont (2016)
La société belge Moulinsart, titulaire exclusive des droits patrimoniaux de Hergé, avait découvert que l’artiste Xavier Marabout réalisait et vendait des œuvres reproduisant le personnage de Tintin dans les décors des tableaux du peintre américain Edward Hopper.
La société Moulinsart avait adressé une lettre de mise en demeure à l’artiste. Celui-ci avait répondu à cette lettre en opposant l’exception de parodie. La société Moulinsart ainsi que Fanny Rodwell, l’épouse et la légataire universelle de Hergé, ont assigné Xavier Marabout en contrefaçon de droits d’auteur et parasitisme devant le Tribunal Judiciaire de Rennes.
Les demandeurs faisaient notamment valoir que « le fait de sexualiser une représentation qui ne comportait pas de telle évocation dans l’œuvre originelle ne répond pas à la condition de caractère humoristique de l’exception de parodie ».
A ce titre, les juges rennois ont tout d’abord rappelé que les juridictions devaient rechercher un juste équilibre entre la liberté d’expression artistique et la protection des œuvres dont la création est dérivée.
Ensuite, pour apprécier le caractère parodique des œuvres litigieuses, les juges du fond se sont fondés sur les exigences dégagées par l’arrêt Deckmyn de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE, 3 septembre 2014, aff. C-201/13) qui précise que pour qu’une œuvre soit tournée en dérision, il faut, d’une part, qu’elle présente des différences perceptibles par rapport à l’œuvre d’origine et, d’autre part, qu’elle constitue une manifestation d’humour ou de raillerie.
- Sur le premier point, les juges ont considéré que l’œuvre parodiée était immédiatement identifiée, l’artiste ayant reproduit les personnages présents dans les albums d’Hergé dans les travaux de l’artiste américain Edward Hopper.
Ils ont également estimé que tout risque de confusion était écarté, l’artiste ayant fait le choix d’un support différent (tableau acrylique) de celui de la bande dessinée et ayant placé lesdits personnages dans des situations qui leur sont habituellement inconnues.
- Sur le second point, le Tribunal, en s’appuyant sur différents témoignages (critiques d’art et articles journaux) et sur son propre ressenti, considère que l’intention humoristique de l’auteur est exprimée dans ses œuvres. Selon les juges,
« l’œuvre austère d’Edward HOPPER se trouve réinterprétée dans un sens plus animé, plus vivant par l’inclusion de personnages (et de véhicules) notamment issus de l’œuvre de Hergé qui viennent y vivre une relation sans doute teintée d’affection et d’attirance sexuelle ». Ainsi, les toiles litigieuses exprimeraient des questions que peuvent susciter l’œuvre d’Hergé et la vie de son personnage Tintin et inviteraient donc « le spectateur à imaginer une suite qui provoque le sourire ».
Si la parodie semble donc pouvoir triompher de l’habituelle pugnacité des ayants droit d’Hergé, qu’en est-il lorsque la reprise d’une œuvre d’Hergé s’accompagne d’un manifeste ?
- Le sceptre de Peppone (Tribunal judiciaire de Marseille, 17 juin 2021 – RG 19/03947)
Peppone – Tintin Objectif Lune sur socle
Contrairement à la décision des juges rennois, le Tribunal judiciaire de Marseille a écarté l’exception de parodie, brandie par l’artiste aixois Peppone, de son vrai nom Christophe Tixier.
En l’espèce, le sculpteur Peppone a réalisé des sculptures de Tintin en résine, représentant le buste du personnage ainsi que la fusée issue des albums « Objectif Lune » et « On a marché sur la Lune », le tout sous des dénominations reprenant les titres des dix-huit albums des Aventures de Tintin.
La société Moulinsart et Fanny Rodwell l’ont assigné en contrefaçon de droits d’auteur et parasitisme aux côtés de la galerie qui le commercialisait.
Le sculpteur faisait notamment valoir l’absence d’originalité du personnage de Tintin, de la fusée et des titres des dix-huit albums des Aventures de Tintin, arguments qui furent rejetés par les juges.
Peppone prétendait en outre que l’exception de parodie était caractérisée par le fait que chacune des œuvres vendues était accompagnée d’une
« fausse lettre adressée par Tintin à Hergé fustigeant la boulimie judiciaire des ayants droit d’Hergé » et démontrant sa volonté de détourner le personnage de Tintin avec le dessein de faire rire ou sourire en l’érigeant en fervent défenseur de l’art contemporain. Cette lettre, intitulée Tintin, l’ordre et le chaos, contenait notamment les éléments suivants : « il semblerait que les Éditions Moulinsart (qui exploitent désormais les bandes dessinées relatant mes aventures) auraient la réputation d’attaquer en justice sans discernements (…) et de manière systématique tous ceux qui touchent à mon personnage dont l’utilisation n’aurait été préalablement validée par vos ayants droit. Quand ils prendront connaissance de la sculpture de M. Tixier, nul doute qu’ils déclencheront une procédure contre lui. (…).
C’est pour cette raison que M. Tixier a réalisé cette sculpture afin de dénoncer, sous les traits d’une parodie, la limitation à la liberté créatrice, imposée par les Éditions Moulinsart […] et entend ainsi dénoncer, sous une forme parodique, cet abus d’ayant droit ».
Les juges marseillais ont rejeté cet argument en considérant que « loin d’avoir une quelconque tonalité parodique, ce manifeste ne contient qu’une remise en cause du droit de la propriété intellectuelle et une revendication du fait de pouvoir s’en affranchir, sous le seul prétexte que la figure de Tintin serait universellement connue ».
Ils ont par ailleurs considéré que les œuvres de l’artiste sculpteur n’étaient nullement parodiques, ne prêtant aucunement à rire ou à sourire. Ainsi, selon les juges marseillais, les œuvres litigieuses de Peppone, commercialisées en galerie, constituent des contrefaçons des droits d’auteur dont sont titulaires les demanderesses.
Il résulte de ces décisions que la parodie se doit d’être un peu subtile.
Les deux décisions ont fait l’objet d’un appel. A suivre …