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Avril – Mai 2020
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La lettre d’information en bref
- Les obligations d’information de la Douane envers le Ministère public lors des visites des locaux professionnels sont précisées par la Cour de cassation ;
- La Cour de cassation annule une retenue douanière en raison d’une information tardive du Ministère public ;
- La Cour de cassation interdit de procéder à une « audition libre (article 67 F du Code des douanes) pendant que l’administration exerce son droit de visite des bagages (article 60) ;
- En matière de droit pénal, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence notable sur les obligations des juges qui devront caractériser le délit principal qui a généré un « produit à blanchir » ;
- Un second revirement de jurisprudence concernant les procédures de contestation des AMR douaniers, autorise des contestations successives, même si la première a été rejetée par l’administration, dans le délai légal (alignement avec le droit fiscal) ;
- En matière de recouvrement de droits de douane, la Cour de cassation complète sa jurisprudence sur la responsabilité solidaire des dirigeants pour le paiement des droits ;
- La CJUE se prononce sur le classement tarifaire d’un appareil photographique numérique.
Par un arrêt du 18 mars 2020 (pourvoi n° 19-81001), la Cour de cassation a statué sur les modalités d’application de l’article 63 ter du Code des douanes. Ce texte permet à l’administration des Douanes de procéder à la visite des locaux professionnels (différente d’une visite domiciliaire prévue par l’article 64), sous réserve d’en avoir averti au préalable le Procureur de la République et que celui-ci ne s’y soit pas opposé.
La Cour a jugé que l’administration n’est tenue par aucun formalisme particulier et que l’indication dans son procès-verbal qu’elle a informé le Procureur est une mention qui fait foi jusqu’à preuve contraire.
Dans cette affaire, le Procureur avait apparemment été informé par télécopie du 15 février 2013 d’une visite de la Douane prévue pour le 19 février 2013. La Douane justifiait lui avoir envoyé son procès-verbal de constat dressé ce jour-là, par télécopie de cette date. Des marchandises suspectées de contrefaçon avaient été retenues.
Cependant, la Douane n’avait communiqué son procès-verbal de notification d’infraction du 4 mars 2013 au Procureur que le 15 juillet, dans le cadre de l’article 40 du code de procédure pénale. Cette règle impose à toute autorité administrative d’aviser sans délai le Procureur des délits dont elle aurait connaissance.
Les juges du fond avaient annulé l’intégralité de la procédure sur un double motif.
La Cour de cassation a censuré l’arrêt, aux motifs qu’aucune pièce de la procédure ne remettait en question la matérialité de l’information préalable du Procureur et qu’une application tardive de l’article 40 du code de procédure pénale n’était sanctionnée par aucune nullité.
Par un arrêt du 18 mars 2020 (pourvoi 19-85230), la Cour de cassation fait application de sa jurisprudence sur la validité d’une mesure de retenue douanière qui, aux termes de l’article 323-3 du Code des douanes, est conditionnée à une information « par tous moyens » du Procureur de la République « dès le début de la retenue douanière ». Depuis un arrêt du 22 février 2006, la Cour de cassation juge que « tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par des circonstances insurmontables, fait nécessairement grief à la personne concernée ».
La Cour rappelle cette jurisprudence dans l’arrêt du 18 mars 2020 et considère qu’un délai de 1 h 05 entre le placement en retenue douanière et l’information donnée au Procureur caractérise un retard sanctionnable et que « ne constituent pas des circonstances insurmontables justifiant le retard dans l’information du procureur de la République le temps requis par la notification à la personne retenue de ses droits ni son transfert dans d’autres locaux. »
Nous avions signalé un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 13 juin 2019 dans notre Lettre d’Information n° 30 puis commenté à l’AJ Pénal (Vincent Courcelle-Labrousse « Article 60 du Code des douanes : droit de visite mais pas d’audition ») d’octobre 2019 (p. 512) (n°18-83297).
La Cour de cassation avait mis des limites au droit de visite des bagages prévu à l’article 60.
La Cour de cassation avait alors notamment jugé que « si, dans ce cadre [du droit de visite], les agents de douanes peuvent recueillir des déclarations en vue de la reconnaissance des objets découverts, ils ne disposent pas d’un pouvoir général d’audition de la personne contrôlée ».
Un arrêt du 18 mars 2020 rendu par la même chambre (pourvoi n° 19-84372) est revenu sur ce point. Une personne avait été contrôlée avec 200.000 € dans ses bagages. Après avoir recueilli l’identité de la personne et recompté les billets, les agents l’avaient entendue dans le cadre de l’article 67 F qui renvoie à l’article 61-1 du code de procédure pénale. Cette procédure est dite « audition libre ». Le droit de visite supposant une mesure de contrainte, à tout le moins une obligation de rester dans les locaux de la Douane pendant la durée strictement nécessaire, la personne n’était donc pas libre lors de cette audition.
Le procès-verbal est donc annulé sur un double motif, à savoir du fait que l’audition à caractère général s’inscrivait dans un pouvoir dont l’administration ne disposait pas et que l’article 67 F était inapplicable en cas de visite des bagages fondée sur l’article 60.
Par un arrêt du 18 mars 2020 (pourvoi 18-86491, publié au Bulletin), la Cour de cassation revient sur l’articulation entre les transferts d’espèces non déclarés (dits « manquements à l’obligation déclarative ») et le blanchiment. En l’espèce, un automobiliste avait été contrôlé à la frontière franco-espagnole et la Douane avait découvert 76.000 € en coupures dans deux cachettes. Le détenteur n’avait pas souscrit la déclaration de transfert d’espèces prévue par l’article L 152-1 du code monétaire et financier. L’infraction à cette législation était incontestable.
Toutefois la Douane et le Ministère public, suivis par les juges du fond, en avaient déduit qu’il y avait également un blanchiment.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir constaté que la première condition posée par l’article 324-1 alinéa 2 du Code pénal sur le blanchiment ( « …le fait d’apporter son concours à une opération …de dissimulation… » ) était remplie. En effet « le transfert de fonds, sans qu’ait été respectée l’obligation déclarative résultant des articles 464 du code des douanes et L. 152-1 du code monétaire et financier, doit être considéré comme une opération de dissimulation au sens de l’article 324-1 du code pénal. » (point 13).
En revanche, et c’est l’intérêt de la décision, la Cour de cassation censure la Cour d’appel qui n’a pas caractérisé la seconde condition (« … dissimulation …du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit ») posée par l’article 324-1.
Selon la Cour de cassation « il s’en déduit que la caractérisation du délit de blanchiment, si elle n’implique pas que les auteurs de l’infraction principale soient connus, ni les circonstances de la commission de celle-ci entièrement déterminées, nécessite que soit établie l’origine frauduleuse des biens blanchis » (point 18).
La Cour d’appel n’avait pas caractérisé le délit de fraude fiscale qui était allégué mais étayé par aucun élément de fait. Les juges avaient seulement déduit de la dissimulation qu’il y avait un délit principal dont les espèces découvertes constituaient le « produit à blanchir », mais, reproche la Cour de cassation, « sans caractériser le délit de fraude fiscale ayant procuré les sommes blanchies, autrement qu’en se référant au défaut de déclaration des fonds aux autorités douanières lors de leur transfert ». L’arrêt est cassé en tant qu’il a condamné le prévenu du chef du blanchiment.
Cet arrêt opère un revirement de jurisprudence, dès lors que, dans un arrêt du 18 décembre 2019 (pourvoi n° 19-82496) portant sur un cas identique, la Cour de cassation jugeait encore (point 20) que « dans le cas où, comme en l’espèce, la présomption de l’article 324-1-1 du code pénal est appliquée, la juridiction correctionnelle n’est pas tenue d’identifier ni a fortiori de caractériser le crime ou le délit qui a procuré le produit ayant fait l’objet d’une opération de placement, de dissimulation ou de conversion. »
La notification d’un procès-verbal de redressement conduit à un avis de mise en recouvrement (AMR). Cet avis ouvre un délai de contestation de trois ans (article 346 du Code des douanes). La question se posait du point de savoir si une contestation suivie d’une décision expresse de rejet pouvait être renouvelée jusqu’à l’expiration du délai de trois ans.
La chambre commerciale de la Cour de cassation avait répondu par la négative dans un arrêt du 25 juin 2013 (pourvoi n° 12-17109), sauf si un « élément nouveau » était survenu depuis la précédente réclamation.
Dans une affaire concernant un problème de « perfectionnement actif », la Cour d’appel avait rejeté la présence d’un tel élément.
Cependant, par un arrêt du 18 mars 2020 (pourvoi 17-22518, publié au Bulletin), la Cour de Cassation a opéré un revirement de sa jurisprudence. Elle rappelle que, depuis un arrêt du 6 décembre 1978 rendu en matière fiscale, « les redevables ont le droit de réclamer utilement contre les impositions auxquelles ils sont assujettis jusqu’à l’expiration des délais impartis et qu’en conséquence, aucune irrecevabilité tirée de ce qu’une réclamation antérieure dirigée contre la même imposition aurait déjà été rejetée par le directeur des impôts ne peut être opposée à une nouvelle réclamation formulée dans le délai légal ni au recours formé contre la décision qui a rejeté la dernière réclamation. »
La Cour de cassation a alors considéré qu’« il apparaît nécessaire d’adopter une solution cohérente en matière de recouvrement des créances fiscales et douanières et de reconnaître au redevable de droits de douane le droit de contester utilement un AMR émis à son encontre tant que le délai de trois ans qui suit sa notification n’est pas expiré, en amendant la jurisprudence de cette chambre. » (point 10).
La seconde réclamation peut donc être identique à la première, la condition de « l’élément nouveau » ayant ainsi disparu. L’arrêt d’appel a été cassé.
La responsabilité pénale personnelle et solidaire du dirigeant d’une entreprise en relation avec la Douane est aussi ancienne que le Code des douanes (articles 399 et 407), concernant les amendes et peines. Ce principe est ancré, sauf délégation.
En revanche, les cas dans lesquels les droits et taxes peuvent être mis à la charge personnelle du dirigeant solidairement avec l’entreprise sont moins connus, mais existent. Ainsi l’article 203 § 3 du Code des douanes communautaire prévoit depuis 1994 que « 3. Les débiteurs sont : Les personnes qui ont participé à cette soustraction en sachant ou en devant raisonnablement savoir qu’il s’agissait d’une soustraction de la marchandise à la surveillance douanière ».
Dans une affaire tranchée par un arrêt la chambre commerciale de la Cour de cassation du 18 mars 2020 (pourvoi n° 17-10898), le dirigeant d’une société commissionnaire en douane avait été informé, par des emails dont il était destinataire en copie, d’irrégularités concernant des marchandises textiles destinées à certains de ses clients importateurs. Celles-ci, arrivant en transit, faisaient l’objet d’une « livraison directe » sans passer d’abord chez le commissionnaire pour être présentées en douane en vue d’un contrôle éventuel par les agents. Le dirigeant avait couvert le procédé pour « ne pas perdre le client ». La dette douanière était due en raison de ce non-respect des règles du transit communautaire externe.
La solidarité du dirigeant a été retenue par la Cour d’appel et validée par la Cour de cassation, laquelle précise que la participation au sens de l’article 203 § 3 « n’implique pas nécessairement que la personne poursuivie ait accompli des actes matériels positifs destinés à faire échapper les marchandises à la surveillance douanière mais seulement qu’elle ait su, ou ait été raisonnablement en mesure de savoir, qu’il s’agissait d’une soustraction de la marchandise à cette surveillance ».
Dans une autre affaire, un gérant de société s’était vu notifier personnellement un procès-verbal en qualité « d’intéressé à la fraude » sur la base de l’article 399 du Code des douanes.
La Cour d’appel avait annulé l’AMR et la décision de rejet de la contestation en résultant, au motif que « l’article 399 du code des douanes relève de la matière pénale et est, dès lors, inapplicable en l’espèce ». Aucune procédure pénale n’a été diligentée semble-t-il. Toutefois, un arrêt de la chambre commerciale du 4 décembre 2019 (pourvoi n° 17-17626) a cassé l’arrêt et jugé que, « passibles de sanctions pénales, les infractions douanières sont également génératrices d’une dette de droits et taxes dont les personnes intéressées à la fraude, au sens de l’article 399 du code des douanes, sont, au même titre que les auteurs, redevables et au paiement desquels elles peuvent, sur le fondement de cet article, être condamnées devant les juridictions civiles. »
L’article 377 bis du code permet au juge pénal de mettre les droits à la charge notamment des personnes condamnées comme intéressées à la fraude. Le juge civil semble désormais pouvoir faire de même, sur la seule base du procès-verbal de notification d’infraction. Ces décisions encouragent l’imputation des droits et taxes à des personnes physiques (dirigeants ou non) impliquées.
Par un arrêt du 30 avril 2020 (aff. C-810/18), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a statué sur le classement d’un appareil photographique numérique ayant également la capacité de prendre des vidéos.
Au sein du chapitre 85 de la nomenclature, l’importateur avait retenu la position des caméscopes (8525 80 91) dans un premier temps puis avait demandé le reclassement de la marchandise sous la position 8525 80 30 (appareils photographiques numériques) ainsi que le remboursement de droits de douane payés selon lui en excès.
Le point en débat consistait à identifier la « fonction principale » de l’appareil (prise d’images fixes ou vidéo?), sur la base de la note 3 de la section XVI de la nomenclature (incluant le chapitre 85).
La CJUE a tranché pour le maintien du classement initial comme caméscope, en se fondant sur la meilleure qualité des séquences vidéo par rapport aux images fixes, l’apparence (viseur escamotable) et la présentation du produit pour la vente (point 30).