Newsletter
N°60 – Novembre-Décembre 2025
Télécharger le PDF
La Lettre d’information en bref
- Nos Actualités
- Focus réglementaire sur l’expertise amiable conventionnelle
- La jurisprudence en droit des transports :
- La Cour de cassation a jugé que la lettre de voiture ne fait foi que jusqu’à preuve contraire de l’existence et des conditions du transport et que le destinataire réel de la marchandise, bien que non mentionné sur la lettre de voiture, était partie au contrat de transport.
- La jurisprudence en matière douanière :
- La CJUE a rendu deux arrêts sur la valeur en douane à retenir en cas de ventes successives de la même marchandise.
- La CJUE a confirmé sa jurisprudence sur l’origine indienne de tubes des tuyaux sans soudure en acier inoxydable originaires de Chine mais étirés à froid en Inde, dans le cadre d’un contentieux sur les droits antidumping.
- La CJUE a prolongé sa jurisprudence proscrivant un trop grand formalisme pour la preuve de la sortie de marchandises dans le cadre de l’exonération de TVA accordée aux livraisons intracommunautaires.
- En matière de droits d’accise, la CJUE a réitéré son approche très stricte des obligations des entrepositaires agréés pour le stockage de produits soumis à accise (en l’occurrence de l’alcool éthylique).
- La CJUE a rendu une décision sur les règles de prescription prévues par le règlement n°2988/95 du 18 décembre 1995 sur la protection des intérêts financiers de l’Union Européenne et leur articulation avec les règles nationales.
Voici la soixantième Lettre d’information du cabinet Godin Associés. Depuis novembre 2013, nous nous attachons à vous apporter nos regards de spécialistes sur les actualités marquantes de la matière douanière telle qu’elle est établie par le Code des douanes de l’Union, mais aussi dans les domaines de la fiscalité de l’énergie, des accises « tabac-alcool » et de la fiscalité environnementale, en décryptant les évolutions des jurisprudences de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation.
Vincent Courcelle-Labrousse a publié deux articles à l’AJ Pénal. Dans la livraison d’octobre 2025 (p. 463), son article « Parquet européen, circulez y a rien à voir » commente la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2025 n°2025-1153 QPC sur les pouvoirs du Parquet européen en matière de prolongation ou modification de mesures de contrôle judiciaire.
Dans le numéro de novembre 2025 (p. 497) son article « Récidive et infractions douanières » commente l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 10 septembre 2025 (pourvoi n°24-82.155).
Le 6 novembre 2025, Aurélie Giordano a été invitée par le Pôle Mer Méditerranée au Port de Palavas les Flots, à présenter, devant un groupe de travail sur la gestion des eaux portuaires, une synthèse de la réglementation applicable à la gestion et à la réutilisation des eaux portuaires.
Aurélie Giordano a notamment explicité les réglementations relatives à la qualité des eaux portuaires, à la récupération et au traitement des déchets / eaux usées des navires et des ports, à la réutilisation des eaux usées traitées pour des usages non domestiques, ainsi qu’à la production d’eau douce.
Par un important décret n°2025-660 du 18 juillet 2025 portant réforme de l’instruction conventionnelle et recodification des modes amiables de résolution des différends, l’instruction conventionnelle des procédures judiciaires est devenue le principe, l’instruction judiciaire devenant l’exception.
Les parties peuvent ainsi convenir des délais pour communiquer leurs conclusions et pièces, déterminer les points de droit auxquels elles entendent limiter le débat, et surtout elles peuvent convenir de recourir à un technicien.
Le Chapitre II de ce décret crée les articles 131 et suivants du Code de procédure civile. Aux termes de ces articles, il est désormais possible pour les parties, pour toutes instances introduites après le 1er septembre 2025, de recourir à un technicien, avant tout procès ou une fois le juge saisi, qu’elles choisissent d’un commun accord et dont elles déterminent la mission.
En cas de difficulté au cours des opérations d’expertise conventionnelle, il sera possible de saisir un juge d’appui.
En vertu de l’article 131-8 du Code de procédure civile, lorsque la convention, ayant eu pour objet de recourir à un technicien, a été conclue entre avocats, le rapport réalisé à l’issue des opérations a la même valeur qu’un rapport d’expertise judiciaire.
Nous avions présenté dans notre Lettre d’information n°55 (novembre-décembre 2024) l’expertise privée à valeur d’expertise judiciaire. Pour mémoire, en vertu des articles 1547 à 1554 du Code de procédure civile, les parties, dans le cadre d’une procédure participative, pouvaient désigner un technicien d’un commun accord et déterminer sa mission. Le rapport du technicien avait valeur de rapport d’expertise judiciaire.
Le décret n°2025-660 du 18 juillet 2025 a abrogé ces dispositions. La nouvelle expertise amiable conventionnelle remplace donc l’expertise privée à valeur d’expertise judiciaire, en ajoutant la possibilité de saisir un juge d’appui.
Des marchandises ayant été volées en cours de transport, le destinataire réel, qui n’était pas mentionné sur la lettre de voiture mais avait réceptionné la marchandise, a assigné le voiturier aux fins d’indemnisation de son préjudice.
La Cour d’appel l’a jugé irrecevable au motif qu’il n’était pas mentionné sur la lettre de voiture et donc n’était pas partie au contrat de transport.
Pour mémoire, en vertu de l’article L.132-8 du Code de commerce, la lettre de voiture forme un contrat entre l’expéditeur, le voiturier et le destinataire ou entre l’expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier.
Par un arrêt du 22 octobre 2025 (n°24-10.669), la Cour de cassation a cassé l’arrêt et jugé que la lettre de voiture ne faisait foi que jusqu’à preuve contraire de l’existence et des conditions du transport.
Constatant que le demandeur avait physiquement réceptionné la cargaison, la Haute juridiction a jugé que celui-ci devait être considéré comme le destinataire réel de la marchandise, était donc partie au contrat de transport et disposait d’un droit d’action contre le voiturier.
Le 30 octobre 2025, la 8ème chambre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu deux arrêts portant sur des problématiques assez voisines dans deux affaires dont elle avait été saisie par la Cour suprême espagnole. Ces deux procédures présentent le point commun, que l’on rencontre souvent dans la vie des affaires, à savoir que la marchandise a fait l’objet de deux ventes successives, par l’exportateur du pays tiers à une première société (de l’UE ou non), puis par cette société à une autre société communautaire qui a procédé à son placement sous un régime douanier communautaire (régime d’entrepôt, mise en libre pratique, etc).
Les deux litiges portaient sur des importations antérieures à l’entrée en vigueur du Code des douanes de l’Union.
L’évaluation en douane était donc régie par l’article 29 du règlement n°2913/92 du 12 octobre 1992 (ci-après le CDC) applicable jusqu’au 30 avril 2016 et l’article 147 des Dispositions d’Application du Code des douanes communautaire (règlement n°2454/93 de la Commission du 2 juillet 1993, ci-après les « DAC ») qui statuait sur les ventes successives. L’article 29 du CDC disposait que « La valeur en douane des marchandises importées est leur valeur transactionnelle, c’est-à-dire le prix effectivement payé ou à payer pour les marchandises lorsqu’elles sont vendues pour l’exportation à destination du territoire douanier de la Communauté ».
Dans cette affaire (C-500/24), une société suisse avait acheté des marchandises fabriquées dans des pays asiatiques. La société suisse avait revendu les marchandises à une société espagnole. A la suite de cette seconde vente, les marchandises avaient été transportées directement des pays de fabrication vers l’Espagne. Comme l’indique la Cour dans le rappel des faits « la plupart de ces marchandises sont mises en libre pratique, tandis qu’une autre partie de celles-ci est soumise au régime de l’entrepôt douanier. Les marchandises mises en libre pratique sont soit commercialisées dans l’Union, soit exportées vers des pays tiers. En effet, les étiquettes permettent la commercialisation des marchandises dans différents pays. » (point 8). Un redressement a eu lieu. L’administration a contesté que la première vente puisse servir de base à l’évaluation.
La Cour de justice a rappelé sa jurisprudence que « le droit de l’Union relatif à l’évaluation en douane vise à établir un système équitable, uniforme et neutre qui exclut l’utilisation de valeurs en douane arbitraires ou fictives. La valeur en douane doit donc refléter la valeur économique réelle d’une marchandise importée, cette valeur devant être déterminée, en priorité selon la méthode dite « de la valeur transactionnelle » des marchandises importées. » (point 23).
Citant un arrêt du 15 mai 2025 (C-782/23 cf. notre Lettre d’information n°58 juin-juillet 2025), la Cour de justice ajoute qu’« il doit ainsi être établi, au moment de la vente, que les marchandises, originaires d’un Etat tiers, seront acheminées à destination du territoire douanier de l’Union. » (point 25).
Concernant l’article 147 du règlement d’exécution, la Cour rappelle l’articulation du système antérieur au Code des douanes de l’Union qui a évolué depuis l’article 128 du règlement d’exécution du CDU n°2447/2015 du 24 novembre 2015. L’ancien système prévoyait trois hypothèses. (i) Une marchandise ayant fait l’objet d’une seule vente devait être regardée comme étant une vente à l’exportation vers l’Union européenne. En cas de ventes successives, (ii) une évaluation sur la base de la seconde vente permettait de présumer également que la dernière vente avait été conclue pour l’exportation vers le territoire douanier de l‘Union européenne.
En revanche, l’article 147 paragraphe 1, 2ème alinéa prévoyait (iii) une dernière hypothèse de recours à la valeur de l’avant-dernière vente :« lors de la déclaration d’un prix relatif à une vente précédant la dernière vente sur la base de laquelle les marchandises ont été introduites dans le territoire de l’Union, il doit être démontré, à la satisfaction des autorités douanières, qu’une telle vente des marchandises a été conclue en vue de l’exportation à destination de ce territoire. » (cité au point 26 de l’arrêt).
La Cour de justice a considéré qu’en cas d’application de cette dernière hypothèse, « des éléments allant au-delà de la seule indication que ces marchandises ont été introduites dans ledit territoire, entendu en tant que zone géographique, doivent être apportés. » (point 28). Le fait que la valeur de la première vente puisse peu ou prou correspondre au cours de la marchandise dans l’Union européenne n’apparaît pas un élément suffisant, dès lors que « … un prix pour l’exportation d’une marchandise à destination d’un Etat tiers ne correspond pas nécessairement au prix qui aurait été établi pour l’exportation de la même marchandise à destination du territoire douanier de l’Union. » (point 29).
Un projet de transporter les marchandises vers l’Union et les introduire sur ce territoire au moment de la première vente n’est pas suffisant pour que celle-ci soit retenue comme base de l’évaluation, car, selon la CJUE, « lesdits éléments doivent être étayés afin de confirmer, au-delà de tout doute raisonnable, que les mêmes marchandises étaient destinées à être commercialisées dans ce même territoire. » (point 30).
La CJUE semble écarter la première vente dans l’affaire au principal au motif que « … la preuve qu’une telle vente a été conclue en vue de l’exportation des marchandises à destination du territoire douanier de l’Union ne saurait être considérée comme étant apportée si, au moment de celle-ci, la destination commerciale des marchandises concernées n’était pas connue et l’introduction planifiée de ces marchandises dans ce territoire n’était envisagée que dans l’attente d’une décision quant à leur destination finale. » (point 31).
La Cour a également écarté toute preuve obtenue ou survenue postérieurement aux opérations qui viendrait corroborer a posteriori le schéma initial. En définitive, la Cour de justice écarte la première vente « lorsque, au moment de cette première vente, il était uniquement établi que lesdites marchandises étaient destinées à être introduites dans ce territoire, sans que le lieu de consommation finale de celles-ci n’ait encore été déterminé. » (point 33)
Dans cette seconde affaire (C-348/24), un fabricant cubain de cigares avait vendu des cigares à une société qui se chargeait de les transporter de Cuba vers un entrepôt douanier situé en Espagne. Ces cigares étaient immédiatement placés en régime entrepôt douanier et avaient plusieurs destinations (duty free, etc), d’autres étaient vendus par le premier acheteur à une société espagnole dans le cadre d’une seconde vente qui était destinée à alimenter des bureaux de tabac.
Le vendeur conservait la propriété des cigares jusqu’au moment où le second acheteur convenait de leur vente aux bureaux de tabac. A ce moment-là, le premier acheteur transférait la propriété au second acheteur. Celui-ci procédait alors à la mise en libre pratique en vue de leur vente et fourniture ultérieure aux bureaux de tabac.
A l’instar de la première affaire, l’évaluation en douane avait été faite sur la base de la première vente. Comme précédemment, l’administration avait remis en cause cette évaluation.
Un second problème se posait spécifiquement, dès lors que les marchandises avaient circulé sous couvert de preuves d’origine permettant de bénéficier de préférences douanières qui étaient expirées. Leur durée de validité était de dix mois, toutefois deux ans s’étaient écoulés depuis la délivrance de ces preuves.
Le second acheteur a donc contesté le redressement dont il faisait l’objet. La Cour suprême espagnole a également saisi la Cour de justice. Celle-ci a examiné le moment auquel il fallait se placer pour l’évaluation en douane (placement sous l’entrepôt ou mise en libre pratique) et déterminer la vente à retenir.
Analysant le moment auquel il faut se placer pour déterminer la valeur en douane, la Cour de justice rappelle que l’article 214 du CDC disposait que les droits de douane étaient calculés en fonction de la situation existante au moment de la naissance de la dette douanière. Dès lors que la marchandise avait fait l’objet d’inscriptions en comptabilité d’entrepôt dans le cadre de l’article 76 du CDC, la Cour souligne que l’article 112 § 3 de ce code s’appliquait. Ainsi, « la valeur en douane et la quantité à prendre en considération conformément à l’article 214 dudit code sont celles afférentes à la marchandise lors de son placement sous le régime de l’entrepôt douanier, à condition que ces éléments de taxation aient été reconnus ou admis lors du placement de la marchandise sous ce régime et à moins que l’intéressé ne demande leur application au moment de la naissance de la dette douanière. » (point 38).
Devant à nouveau appliquer l’article 147 des DAC, la situation était quelque peu différente du premier litige dès lors qu’il n’existait qu’une seule vente à la date du placement en entrepôt douanier. C’est donc l’article 147 § 1, premier alinéa qui s’appliquait (première hypothèse supra), non pas le second alinéa. La Cour de justice interprète cette disposition et considère que « il ne ressort pas du libellé de cette phrase que cette vente doive précéder immédiatement la mise en libre pratique des marchandises concernées. Dès lors, il saurait être exclu que ces marchandises aient été placées sous le régime de l’entrepôt douanier, entre leur vente et leur mise en libre pratique. » (point 45).
Par conséquent, la CJUE considère, lorsque les conditions de l’application de l’article 112 § 3 du CDC étaient remplies, que la valeur en douane pouvait être déterminée sur la base de la seule vente qui existait à l’époque, sans devoir apporter un élément plus précis de preuve que la finalité de ladite vente était l’exportation à destination du territoire douanier de l’Union (point 49).
En revanche, l’importateur a eu moins de succès concernant la péremption des preuves de l’origine qui, telles qu’elles étaient prévues à l’article 97 duodecies des DAC, avaient une durée de validité de dix mois (régime du Système des Préférences Généralisées).
Les importations de ces cigares avaient été effectuées dans le cadre d’un contingent tarifaire. La société espagnole qui avait racheté les marchandises avait présenté les certificats d’origine préférentielle lors de la mise en entrepôt douanier de certaines marchandises du contingent en temps utile, mais ne l’avait pas fait concernant celles mises en cause en l’occurrence.
Tout en reconnaissant que les dispositions des DAC n’interdisent pas à l’administration d’admettre des certificats expirés, la CJUE insiste sur la nécessité que la douane puisse effectuer son contrôle dès lors qu’il incombe « … aux autorités douanières du pays d’importation de déterminer, au cas par cas, si une marchandise donnée peut bénéficier d’un régime tarifaire préférentiel sur la preuve d’une preuve d’origine présentée tardivement, en ayant notamment égard à l’objectif desdites dispositions qui consiste à permettre à ces autorités de vérifier l’origine effective de la marchandise concernée. » (point 58).
Dès lors que le certificat était périmé, l’administration ne pouvait plus vérifier auprès des autorités locales exportatrices que l’origine préférentielle alléguée était bel et bien acquise.
La CJUE en déduit que « les autorités douanières du pays d’importation ne sont pas tenues d’accepter, aux fins de l’application de préférences tarifaires à une marchandise, une preuve d’origine qui leur a été présentée après l’expiration de sa période de validité, bien que cette même preuve d’origine eût déjà été présentée à ces autorités avant l’expiration de sa période de validité pour l’application de préférences tarifaires à d’autres marchandises du même contingent. » (point 60).
L’importateur a effectivement pu obtenir le bénéfice d’une évaluation sur la base de la première vente, mais a dû payer les droits de douane au taux plein.
Le 2 septembre 2025, la Cour de justice a rendu une ordonnance (C-827/24) dans laquelle elle a réaffirmé les principes qui résultaient d’un arrêt du 21 septembre 2023 (C-210/22, cf. notre Lettre d’information n°49 juillet-octobre 2023). Il s’agit d’un contentieux sériel qui a eu des ramifications en France, dans lequel le Cabinet a d’ailleurs remporté une décision favorable définitive en 2024, fondée sur cette décision du 21 septembre 2023.
Le litige résultait d’une enquête antidumping diligentée par l’Office de Lutte Anti-Fraude (OLAF) portant sur les tubes des tuyaux sans soudure en acier inoxydable originaires de Chine mais étirés à froid en Inde. Selon l’OLAF, l’étirage à froid des tubes en Inde n’était pas une ouvraison suffisante permettant de leur conférer une origine indienne. Par conséquent, ces tubes ne pouvaient pas échapper à l’application des droits antidumping imposés à la Chine ; il s’agissait selon l’OLAF d’un contournement prohibé par l’article 13 § 1 du règlement antidumping n°2016/1036 du 8 juin 2016.
La CJUE avait résumé le redressement dont la motivation est en substance la même dans tous ces litiges: « D’une part, ces autorités ont fait application de la règle primaire applicable aux produits classés dans la sous-position 7304 41 du SH, prévue à l’annexe 22-01 du règlement délégué 2015/2446, selon laquelle les tubes, tuyaux et profilés creux sans soudure, de section circulaire, en acier inoxydable, étirés ou laminés à froid ne sont réputés être originaires du pays où ils ont subi une telle ouvraison que s’ils ont été fabriqués à partir soit de produits relevant d’une autre position du SH, soit de profilés creux relevant de la sous-position 7304 49 du SH. D’autre part, elles se sont fondées sur les conclusions d’un rapport de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) du 5 juillet 2019, selon lesquelles, même si une ouvraison avait eu lieu en Inde, elle n’était pas substantielle et, en tout état de cause, elle ne remplissait pas les critères d’attribution de l’origine indienne. » (point 13).
Or, dans son arrêt du 21 septembre 2023, la Cour de justice avait tranché la question et considéré que la règle d’origine non préférentielle mise en cause avait introduit une différence de traitement injustifiée, partant, était invalide.
Elle a jugé en l’occurrence que « le formage à froid de tuyaux originaires de Chine, qui est intervenu en Inde et qui a eu pour objet de transformer de manière substantielle ces tuyaux, en ce qu’il a modifié de manière irréversible leurs caractéristiques essentielles, doit être considéré comme constituant, à la fois une modification écartant l’applicabilité de l’article 13 paragraphe 1 du règlement 2016/1036 et une « dernière transformation ou ouvraison substantielle » au sens de l’article 60 paragraphe 2 du Code des douanes de l’Union, déterminante aux fins de l’établissement de l’origine des tuyaux importés… » par la société roumaine (point 30).
Le 13 novembre 2025, la Cour de justice a rendu une décision (C-639/24) dans laquelle elle prolonge sa jurisprudence pragmatique concernant la preuve des exportations ou des livraisons intracommunautaires. En l’occurrence, il s’agissait de livraisons intracommunautaires effectuées par une société commerciale établie en Croatie qui vendait des grumes de chêne à un acquéreur immatriculé à la TVA en Slovénie.
Dans le cadre d’un redressement, les autorités croates avaient remis en cause l’exonération de TVA dont bénéficiait la société croate. L’administration considérait que les documents qui avait été fournis n’établissaient pas que les conditions de l’exonération étaient réunies.
Le cas d’espèce était intéressant dès lors que le principe de l’exonération de TVA dans le cadre de livraisons intracommunautaires est succinctement prévu par l’article 138 de la « directive TVA » (2006/112/CE du 28 novembre 2006) qui se contente simplement d’exiger la preuve d’une livraison à un acquéreur lui-même identifié à la TVA dans l’Etat membre d’arrivée.
Pour harmoniser les conditions de preuve de cette exonération, le Conseil avait pris un règlement d’exécution n°282/2011 du 15 mars 2011.
Son article 45 bis (résultant d’un règlement n° 2018/1912 du 4 décembre 2018) énonçait un ensemble de preuves à fournir. L’article 45 bis prévoyait la fourniture d’une déclaration écrite de l’acquéreur attestant que les biens avaient été expédiés, transportés par lui, spécifiant l’Etat membre de destination des biens. Le paragraphe 1) b) ii) exigeait également « ….au moins deux éléments de preuve non contradictoires visés au paragraphe 3.a délivrés par deux parties différentes qui sont indépendantes l’une de l’autre, du vendeur et de l’acquéreur… ». Dans le cadre des pièces énoncées à l’article 3 figuraient une « lettre de voiture internationale CMR signée, un connaissement une facture de fret aérien ou une facture transportant des biens », ainsi que d’autres documents tels qu’« une police d’assurance concernant l’expédition ou le transport des biens ou des documents bancaires prouvant le paiement de l’expédition du transport des biens », ainsi que « …des documents officiels délivrés par une autorité publique telle qu’un notaire confirmant l’arrivée des biens dans l’Etat membre de destination », ou encore « un récépissé délivré par un entrepositaire dans l’Etat membre de destination attestant l’entreposage des biens dans cet Etat membre ».
Cet arrêt est notable, dès lors que la juridiction posait une question que l’on retrouve souvent dans les affaires douanières, sur la liberté de la preuve.
La juridiction croate qui avait saisi la Cour de justice considérait que l’article 45 bis du règlement était un moyen commode pour les opérateurs de satisfaire à leurs obligations fiscales en démontrant le bien-fondé de l’exonération de TVA. Il était aussi utile pour l’administration qui pouvait se reposer sur une présomption de régularité dès lors que ces documents étaient communiqués.
Toutefois, la juridiction croate était d’avis que cette liste n’était pas limitative, de sorte que l’opérateur dépourvu de tout ou partie des documents requis par l’article 45 bis pouvait tenter de rapporter une preuve alternative, sans doute plus complexe, pour convaincre l’administration fiscale de l’exonération.
Le tribunal administratif de Zagreb qui avait donc saisi la Cour de justice considérait en somme que l’administration était trop formaliste.
Cependant, l’enquête n’avait pas remis en question la réalité des transports des grumes de chêne vers la Slovénie. Après avoir procédé à l’analyse de l’article 45 bis, la Cour de justice a considéré que cette disposition « prévoit les cas dans lesquels une présomption s’applique mais ne liste pas de manière exhaustive les éléments de preuve nécessaires pour établir l’existence d’une livraison intracommunautaire. Par conséquent, lorsque les conditions d’application de la présomption ne sont pas remplies, les autorités fiscales sont tenues d’apprécier tout élément de preuve fourni par le vendeur des biens afin de déterminer si celui-ci est parvenu à démontrer que ces biens ont fait l’objet d’une livraison intracommunautaire. » (point 16)
La Cour de justice poursuit sa jurisprudence désormais traditionnelle et énonce que « … si les vendeurs des biens ne pouvaient s’appuyer sur tout élément de preuve, ceux qui ne possèdent pas les preuves visées à l’article 45 bis du règlement d’exécution n°282/2011 seraient privés de l’exonération en cause en raison du non-respect d’une exigence formelle, alors même que la livraison intracommunautaire de biens aurait effectivement eu lieu. Ainsi l’objectif visant la promotion des échanges intracommunautaires serait remis en cause. » (point 19).
La Cour de justice rappelle que le principe de neutralité fiscale s’oppose à la remise en cause de ces exonérations, sauf en cas de fraude ou si les manquements formels ont eu pour effet d’empêcher de rapporter la preuve certaine de ce que l’exigence de fond a été satisfaite (cf. notamment un arrêt du 1er août 2025, C-602/24, commenté dans notre Lettre d’information n°59 août-octobre 2025).
Par un arrêt du 20 novembre 2025 (C-570/24), la Cour de justice a statué sur une affaire atypique dans laquelle une société avait obtenu en Roumanie le bénéfice de l’équivalent d’un statut d’entrepositaire agréé à titre provisoire pour effectuer des recherches pour lesquelles elle devait utiliser des quantités d’alcool éthylique. Il s’était avéré qu’une quantité de 21 909 litres était manquante dans les stocks de cette société. Une enquête avait fait apparaître que l’administrateur délégué de la société en question avait lui-même vendu frauduleusement cette quantité et personnellement encaissé le montant. L’administration roumaine avait donc assujetti la société aux droits d’accise locaux. La société n’avait pas pu contester la dette, puis s’était retournée contre son administrateur délégué lequel avait été condamné pénalement.
Sur la base de cette décision pénale qui reconnaissait la responsabilité pleine et entière de l’administrateur délégué, la société avait engagé une procédure contre l’administration fiscale roumaine afin de contester, en définitive, le titre de perception. Elle sollicitait que le recouvrement fût redirigé à l’encontre du dirigeant ainsi pénalement reconnu responsable des faits.
Une cour d’appel avait donc saisi la Cour de justice de questions préjudicielles sur le point de savoir qui devait être considéré comme étant redevable des droits d’accise dans ce cas de figure.
La Cour de justice a adopté une solution simple qui suit la logique de sa jurisprudence en matière d’entrepositaires agréés d’alcools.
Elle a d’abord considéré que même si la société roumaine n’était pas formellement un « entrepositaire agréé accise », elle était dans une situation similaire et devait être regardée comme entrepositaire agréé et donc traitée comme tel.
La Cour de justice a repris sa jurisprudence qui est sévère pour les exploitants bénéficiant d’une autorisation comme entrepositaires agréés d’alcools ou d’autres produits soumis à accise : « Elle a jugé, en substance, que l’entrepositaire agréé jouait un rôle central dans le cadre de la procédure de circulation des produits soumis à accise et placés sous un régime suspensif. En cas d’irrégularité ou d’infraction au cours de la circulation de ces produits entraînant l’exigibilité des droits d’accise, l’entrepositaire agréé devait, en tout état de cause, être désigné comme redevable du paiement desdits droits. À ce titre, sa responsabilité doit être considérée comme objective et repose non pas sur sa faute prouvée ou présumée, mais sur sa participation à une activité économique. » (point 31).
Cette fondation étant posée, la suite de la décision était inéluctable : à partir du moment où les règles habituelles sur la « redevabilité » des droits d’accise fondée par la directive n°2008/118/CE du 16 décembre 2008 s’appliquaient, on ne pouvait pas raisonner en excluant une catégorie de débiteur par rapport aux autres. La Cour rappelle le principe posé par l’article 8 de la directive qui retient la responsabilité de la personne morale.
L’article inclut toute « autre personne ayant participé à cette sortie » comme étant codébitrice solidaire des droits d’accise devenus exigibles. La Cour de justice fait donc prévaloir un principe de solidarité entre les débiteurs des accises au vu des travaux préparatoires de la directive (point 41).
La CJUE en conclut que « le législateur de l’Union a donc entendu définir largement les personnes susceptibles d’être redevables du paiement des droits d’accise en quête d’irrégularités, et ce de façon à assurer autant que possible le recouvrement de ces droits. » (point 41).
La Cour a également exclu que la décision pénale puisse avoir une autorité de la chose jugée dès lors que l’objet de la décision pénale n’est pas le même que celui de la décision fiscale (une condamnation pénale d’un côté, le paiement des droits de l’autre).
La Cour de justice a donc dit pour droit que « afin de déterminer la ou les personnes redevables des droits d’accise devenus exigibles au sens de ces dispositions, une juridiction nationale n’est pas liée par le dispositif de nature civile d’un arrêt d’une juridiction pénale, condamnant définitivement une personne physique, employée ou administratrice d’une personne morale, en tant que seule responsable du préjudice causé au budget de l’État en raison du détournement d’une quantité d’alcool stockée en suspension de droits d’accise chez cette personne morale.»
Dans un arrêt du 27 novembre 2025 (C-539/24), qui ne portait ni sur une affaire de douane, ni sur une affaire de politique agricole, la CJUE a rendu une décision une fois de plus intéressante sur l’application du règlement n°2988/95 du 18 décembre 1995 du Conseil sur la protection des intérêts financiers de l’UE. Ce texte est un des règlements les plus importants de l’Union, véritable poutre faîtière du droit communautaire. En effet, ce règlement « horizontal » s’applique à toutes les politiques publiques communautaires.
Il définit des règles pour caractériser les irrégularités et les règles de prescription de base applicables, etc. Il est remarquable que ce règlement va fêter ses trente ans le 18 décembre 2025 sans jamais avoir été modifié par le Conseil de l’Union européenne.
En l’occurrence, l’administration fiscale tchèque avait notifié un redressement à une communauté de communes qui avait bénéficié de financements pour l’élaboration d’un plan numérique de lutte contre les inondations et l’acquisition d’un système de signalement et d’alerte en cas de crue. Des manquements avaient été constatés dans la réalisation du projet. Alors que la décision d’octroi avait été prise en avril 2014, le contrôle fiscal datait de février 2020 puis septembre 2021. L’ordre de recouvrement avait été notifié le 9 décembre 2022.
Le règlement n°2988/95 prévoit en son article 3 un délai de quatre ans pour notifier un acte d’instruction et de poursuite, interruptif de prescription qui fait courir à nouveau ce délai. Au-delà de huit ans (délai double de quatre ans), dit « délai absolu », un recouvrement non diligenté ne peut plus être poursuivi (cf. en dernier lieu arrêt du 6 février 2025 C-42/24 Lettre d’information n°57 mars-mai 2025). Le droit national peut prévoir un délai plus long que quatre ans, toutefois ce délai ne doit pas être d’une durée disproportionnée. En France, le délai est de cinq ans, fixé par l’article 2224 du code civil, soit dix ans au total (cf. CJUE, 2 mars 2017, C-584/15, affaire gagnée par le Cabinet).
Le droit tchèque prévoyait uniquement un délai de prescription de dix ans pour la répétition de l’indû.
Le juge tchèque s’interrogeait, en l’absence de premier délai national plus long, s’il fallait appliquer par défaut le délai de base de quatre ans prévu par le règlement n°2988/95, à compter de la commission de l’irrégularité. La Cour de justice a conditionné un délai « absolu » plus long que deux fois quatre ans, à la mise en œuvre, en droit local, d’un premier délai de base lui-même plus long que quatre ans. Dans la négative, le règlement s’applique (de date à date à compter de la commission de l’irrégularité et non par année civile). Le « délai absolu » en découle (8 ans). Il était expiré le 6 décembre 2022.
La Cour de justice a également jugé qu’en cas de cofinancement des projets par des fonds communautaires et nationaux, un seul délai de prescription était applicable, à savoir celui prévu par le règlement n°2988/95. Cet arrêt confirme l’extrême fécondité de ce règlement pour la gestion des situations contentieuses.