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n° 50 – Novembre – Décembre 2023
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La Lettre d’information en bref
- La jurisprudence en droit des transports :
- Dans le cadre d’une action en vertu de la loi Gayssot, un expéditeur mentionné sur la lettre de voiture n’a pas réussi à convaincre la Cour d’appel de Poitiers de le qualifier de simple remettant et n’a pas pu échapper au jeu de l’action directe.
- La Cour de cassation a jugé qu’une police d’assurance, couvrant l’assuré en sa qualité d’auxiliaire de transport, reprenait nécessairement son activité en tant que transitaire.
- La Cour d’appel de Grenoble a considéré que « la qualité de commissionnaire est reconnue à une entreprise dont le client choisit telle ou telle modalité d’exécution du transport dans une gamme de prestations qu’elle propose. »
- L’absence de livraison de la marchandise à cause de son endommagement en cours de transport constitue, selon la Cour d’appel de Pau, une perte totale. Le délai de prescription commence donc à courir à compter du jour où la marchandise aurait dû être livrée.
- La jurisprudence en matière douanière :
- La Cour de cassation a refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité contre les textes sanctionnant le défaut de déclaration préalable des « transferts d’argent liquide ».
- La Cour d’appel de Colmar a statué sur le point de départ de la prescription de trois ans contre le redevable pour présenter ses demandes de remboursement de droits de douane.
- La Cour d’appel de Montpellier a rappelé qu’un commissionnaire en douane dédouanant sans mandat est réputé avoir dédouané « pour son propre compte ». Il est seul débiteur de la dette douanière et non l’importateur.
- En matière de propriété intellectuelle, la Cour d’appel de Paris a rendu deux décisions sur des faits de concurrence déloyale dans les secteurs de la joaillerie et de la mode.
Voici donc la cinquantième Lettre d’information que nous publions !
Lorsque nous nous sommes lancés en novembre 2013 dans cette aventure éditoriale, nous n’aurions pas imaginé que dix ans plus tard nous serions parvenus à construire un vrai répertoire commenté de la jurisprudence douanière et de la fiscalité énergétique et environnementale.
Cette publication sans discontinuité traduit bien sûr l’appétence que nous avons au cabinet pour débusquer dans chaque nuance d’une nouvelle jurisprudence sa répercussion dans un dossier actuel ou futur. Elle reflète aussi le plaisir que nous avons, en dehors de l’urgence quotidienne, de discuter entre nous de nos trouvailles juridiques, de comparer nos lectures et d’accorder nos désaccords d’interprétation sur des matières qui nous passionnent, bien au-delà de cette nécessité professionnelle : anticiper.
C’est pourquoi notre Lettre d’information est disponible pour tous. Et il n’y a pas de plus belle gratification que d’apprendre à l’occasion d’un lecteur qu’il nous suit avec intérêt ou, mieux encore, que nous avons pu l’aider en l’éclairant.
Enrichie désormais d’une chronique régulière en droit des transports et en droit de la propriété intellectuelle, notre Lettre d’information se remet en route avec pour objectif son numéro 100. La moitié du chemin a été faite.
Bonne lecture. Bonnes Fêtes à tous.
A l’occasion de la sortie du film Anatomie d’une chute en Thaïlande le 11 décembre 2023, et à l’initiative du magistrat de liaison régional Asie du Sud-Est et Extrême-Orient, l’Ambassade de France à Bangkok a demandé à Vincent Courcelle-Labrousse de venir présenter son rôle de conseiller judiciaire de Justine Triet et Arthur Harari pour l’écriture du scénario du film.
Le 12 décembre, Vincent Courcelle-Labrousse est également intervenu à l’Alliance Française à Bangkok dans le cadre d’une table ronde sur le thème « Comparing Thaï and French trial systems : crossing expertise and knowledge ». M. Vipon Kititasnasorchai, procureur, a présenté pour sa part le système de procédure pénale en Thaïlande. Le débat était modéré par M. Jean-François Redonnet, magistrat de liaison régional Asie du Sud-Est et Extrême-Orient.
Vincent Courcelle-Labrousse était également intervenu le 7 novembre à Tanger dans le cadre du séminaire « Enseigner la Shoah et les atrocités de masse dans le réseau français AEFE » organisé par l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE) et le Mémorial de la Shoah.
Le calendrier parlementaire n’a pas permis, cette année, de disposer du texte définitif de la loi de finances pour 2024 avec la numérotation finale des articles, à la date de la diffusion de la présente Lettre d’information (19 décembre 2023).
Nous publierons donc nos commentaires sur les principales nouveautés survenant dans les matières douanières et des transports dans notre Lettre d’information n° 51.
Dans un arrêt du 12 septembre 2023 (n°21/02929), la Cour d’appel de Poitiers a eu à se prononcer sur l’action directe d’un transporteur à l’encontre d’un expéditeur, qui se qualifiait de simple remettant.
Un transporteur impayé par son donneur d’ordre, placé en liquidation judiciaire, a exercé une action directe contre la société P. qui lui avait remis la marchandise transportée, et qui était mentionnée comme expéditeur sur la lettre de voiture.
La société P. a tenté d’échapper à l’application de l’article L.132-8 du Code de commerce en prétendant que l’expéditeur réel était le vendeur des marchandises transportées et qu’elle n’était qu’un simple remettant.
Après avoir rappelé que l’indication de la qualité d’expéditeur sur la lettre de voiture constitue une simple présomption de cette qualité, la Cour d’appel a rejeté l’argumentation de la société P. pour les motifs suivants :
- la société P. n’avait pas indiqué agir pour compte lorsqu’elle a remis la marchandise au transporteur,
- la société P. avait participé activement à l’exécution du contrat de transport, à laquelle elle était intéressée en tant qu’acteur de l’acheminement par la remise des marchandises,
- les contrats de vente et de transport de la marchandise étant des actes indépendants, l’existence du premier n’était pas de nature à conférer au vendeur la qualité d’expéditeur des biens vendus.
La société P. ne pouvait donc pas échapper au jeu de l’action directe exercée par le transporteur.
A la suite d’un refus de garantie de l’assureur, la chambre commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée dans un arrêt du 4 octobre 2023 (n°21-19681) sur les termes de la police d’assurance d’un transitaire.
Le transitaire avait déclaré auprès de son assureur qu’il exerçait une activité de commissionnaire de transport, ainsi qu’une activité de commissionnaire en douane, mais pas l’activité de transitaire.
La police précisait que le contrat d’assurance garantissait la responsabilité civile contractuelle « encourue par l’Assuré en sa qualité d’auxiliaire de transport (commissionnaire de transport notamment) ».
La Cour d’appel avait donné raison à l’assureur en considérant que les dispositions de la police d’assurance ne couvraient pas la responsabilité résultant d’un mandat de transitaire, « peu important que la responsabilité civile contractuelle vise celle encourue par l’assuré en qualité d’auxiliaire de transport, même si ce terme englobe l’activité de transitaire, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une activité déclarée ».
La Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel pour dénaturation des termes clairs et précis de la police et violation du principe selon lequel « le transitaire est un auxiliaire de transport qui accomplit les opérations juridiques et matérielles nécessitées par le passage des marchandises en transit ».
La police couvrant l’assuré en sa qualité d’auxiliaire de transport, elle couvrait nécessairement l’activité de transitaire et l’assureur ne pouvait donc rejeter sa garantie.
Une société I. avait confié à une société B. l’organisation d’un transport de marchandises. Les marchandises ont été perdues en cours de transport.
En défense, la société B. avait opposé ses conditions générales de vente, contenant une clause de prescription annale.
La Cour d’appel de Grenoble, dans un arrêt du 12 octobre 2023 (n°22/01402), a rejeté l’application des CGV, car la société B. ne prouvait pas que les CGV communiquées à la procédure étaient celles applicables lors de la commande effectuée par la société I. sur son site Internet, ni que la société I. en avait eu connaissance.
La société B a néanmoins pu aboutir au même résultat par application de l’article L.133-6 du code de commerce.
La société B. prétendait en effet qu’elle n’effectuait pas de prestations de transport et n’était chargée « que de présenter des offres de prestations de transport pour le déplacement des marchandises en laissant à son client le choix de choisir le transporteur. »
La société B. était inscrite au registre des commissionnaires de transport, elle se prévalait sur son site « d’avoir négocié des tarifs auprès des meilleurs transporteurs » et elle assurait le suivi en temps réel des envois.
La Cour a considéré que « La qualité de commissionnaire est reconnue à une entreprise dont le client choisit telle ou telle modalité d’exécution du transport dans une gamme de prestations qu’elle propose. »
La société I., ayant choisi un transporteur « dans la gamme proposée » par la société B., la Cour a jugé que la société B. devait être considérée comme commissionnaire de transport et pouvait donc opposer la prescription annale de l’article L.133-6 du Code de commerce.
Dans un arrêt du 6 novembre 2023 (n°21/02817), la Cour d’appel de Pau a eu à se prononcer sur le point de départ de la prescription dans le cas de marchandises endommagées en cours de transport et non livrées.
En l’espèce, les marchandises ont été endommagées en cours de transport à cause d’un accident de la route ; elles n’ont pas été livrées au destinataire mais acheminées à la demande de l’expéditeur vers un lieu de réparation à titre conservatoire.
La Cour a jugé que « la perte totale de la marchandise ne se réduit pas à l’hypothèse de sa disparition physique au cours du transport mais se réalise lorsque la marchandise n’a pas été présentée ou livrée à son destinataire, caractérisant une inexécution totale du contrat de transport par le voiturier. »
Il convenait donc, selon la Cour, de faire application de l’article L.133-6, alinéa 3 du Code de commerce selon lequel le délai de prescription « est compté, dans le cas de perte totale, du jour où la remise de la marchandise aurait dû être effectuée, et, dans tous les autres cas, du jour où la marchandise aura été remise ou offerte au destinataire. »
Dans un arrêt du 15 novembre 2023 (pourvoi 23-82.470) la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté une demande de voir poser une question prioritaire de constitutionnalité. La question critiquait les articles L. 152-1 et L. 152-4 du code monétaire et financier ainsi que 464 et 465 du code des douanes qui prévoient et répriment d’une amende égale à 50 % de la somme sur laquelle a porté l’infraction ou la tentative d’infraction de non-déclaration de transferts de sommes titres ou valeur (sans passer par une banque).
La Cour de cassation a rejeté la question en considérant que ces dispositions « visent à assurer l’efficacité de la surveillance par l’administration des mouvements financiers internationaux.
En réprimant la méconnaissance d’une telle obligation, le législateur a entendu lutter contre le blanchiment de capitaux, la fraude fiscale et les mouvements financiers portant sur des sommes d’origine frauduleuse. Il a ainsi poursuivi l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ainsi que celui de sauvegarde de l’ordre public. »
Selon la Cour de cassation, la nature pécuniaire de la sanction est liée à l’infraction. De manière bienvenue, la Cour de cassation rappelle néanmoins qu’« en retenant un taux de 50 %, qui ne constitue qu’un taux maximal pouvant être modulé par le juge sur le fondement de l’article 369 du code des douanes, le législateur a retenu une sanction qui n’est pas manifestement hors de proportion avec la gravité de l’infraction. »
Ces infractions ne sont donc pas sans contrôle juridictionnel notamment pour l’amende infligée, lorsqu’elles ne sont pas réglées par voie transactionnelle.
Le juge doit tenir compte de l’ampleur et de la gravité de l’infraction commise ainsi que de la personnalité de son auteur (art 369 CD). La Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts en 2022 sur les pouvoirs et devoirs du juge dans la fixation des amendes (cf. notre Lettre d’information n° 46 Janvier-Février 2023).
La Cour d’appel de Colmar a rendu une décision (RG 20/03119) le 28 septembre 2023 concernant des demandes de remboursement introduites par une société à la suite d‘un différend sur le classement tarifaire des marchandises qu’elle importait, à savoir des filtres antiparasitage électromagnétiques. Le délai pour ce faire est de trois ans « à compter de la date de la communication de la dette douanière au débiteur » aux termes de l’article 236 du code des douanes communautaire (règlement 2913/92 du 12 octobre 1992 applicable à l’époque).
La société avait formé une première demande de portée générale le 21 décembre 2009 auprès de la Direction Générale des Douanes et Droits indirects. Celle-ci n’était pas compétente pour recevoir ces demandes qui relèvent des services déconcentrés. La société avait ensuite régularisé deux demandes les 21 décembre 2010 pour les déclarations de 2007 et le 25 mai 2011 concernant les déclarations de 2008 auprès du bureau localement compétent.
Cette affaire a donné lieu à plusieurs décisions dont un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 15 décembre 2021 (pourvoi 19-16.350) qui a notamment statué sur l’obligation de l’administration des douanes, comme les autres, de rediriger une demande mal orientée (art. 20 de la loi 2000-321).
La Douane avait tout tenté pour faire écarter les demandes.
La demande de 2009 était certes incomplète et mal dirigée. Cependant, la Cour a jugé que l’administration était tenue de la rediriger vers les services locaux, d’en accuser réception (cf. les règles du décret 2001-492 du 6 juin 2001). Elle devait aussi réclamer les pièces manquantes dont les demande-types dites « annexe 111 » (formulaire prévu en annexe 111 des Dispositions d’Application du Code des douanes communautaire).
Concernant les lettres de 2010 et 2011, l’administration concédait que les demandes étaient recevables au titre des déclarations souscrites moins de trois ans auparavant.
En revanche, l’administration considérait que toutes les déclarations pour lesquelles le système « SOFI » (prédécesseur de l’actuelle interface DELTA C ») avait donné automatiquement un « bon à enlever » caractérisait une « communication de dette douanière » et le point de départ de la prescription. La Cour de Colmar a rejeté cette argumentation, à l’instar du Tribunal judiciaire de Mulhouse. Elle a constaté qu’aucune décision expresse n’avait été prise aboutissant à une telle « communication ».
Il reste à voir si l’administration prolongera ou non ce contentieux en formant un nouveau pourvoi en cassation.
Dans un arrêt du 26 septembre 2023 (RG 21/06689), la Cour d’appel de Montpellier a statué sur l’obligation d’un importateur au paiement de droits de douane.
La Douane avait redressé certaines importations de 2012 à 2014 sur la valeur et en raison du défaut de paiement de la taxe spéciale sur les huiles destinées à la consommation humaine.
L’importateur faisait valoir qu’il n’avait signé aucun mandat au commissionnaire en douane qui avait souscrit les déclarations en douane litigieuses, de sorte que celui-ci devait être réputé avoir déclaré les marchandises « pour compte propre ».
Cette situation est rarissime pour un représentant en douane / commissionnaire en douane. La Cour d’appel a confirmé le jugement qui avait annulé l’avis de mise en recouvrement notifié à l’importateur.
La Cour d’appel a appliqué à la lettre les articles 5 et 64 du code des douanes communautaire alors en vigueur et retenu que, faute de mandat, la notion habituelle de « déclarant » en droit douanier, à savoir la personne au nom et pour le compte duquel on déclare en douane en cas de mandat de « représentation directe », devait avoir une acception plus simple : faute de mandat, la société agréée comme commissionnaire en douane, dont le salarié a signé les déclarations, est personnellement et exclusivement redevable des droits et taxes à l’importation.
Cette décision illustre la nécessité absolue qu’un représentant en douane dispose de mandats signés en bonne et due forme. La Douane y est devenue encore plus attentive sous l’empire de l’article 18 du Code des Douanes de l’Union et de l’arrêté du 13 avril 2016.
Nous ignorons si cet arrêt est définitif.
La « lutte des classes » fait rage entre créateurs de modes, d’une part entre les sociétés au sommet du secteur du luxe (Van Cleef & Arpels contre Louis Vuitton), d’autre part entre ces sociétés et les enseignes davantage tournées vers le grand public (Céline contre le groupe Mango).
Deux arrêts récents de la Cour d’appel de Paris (pôle 5 – chambre 2, 23 juin 2023, n° 21/19404, Louis Vuitton / Van Cleef & Arpels et pôle 5 – chambre 2, 10 nov. 2023, n° 21/19126, Céline / Mango) rendus en matière de concurrence déloyale illustrent comment les Maisons renommées tentent de protéger leurs créations, qui ne sont pas systématiquement protégées par des droits de propriété intellectuelle.
Si les créations de mode et de bijouterie peuvent être protégées par des droits d’auteur en vertu de l’article L. 112-2, 14°, du Code de la propriété intellectuelle, cette protection est assez difficile à obtenir car la mode s’inspire généralement d’un fonds commun d’articles existants ou ayant existé.
Quant à la protection par le droit des dessins et modèles, qui permet de protéger, pendant 25 ans maximum, la forme et/ou l’esthétisme d’un article de mode ou de bijouterie, elle nécessite notamment que l’article en question soit nouveau. Pour la même raison que de tels articles sont rarement protégés par des droits d’auteur, ils seront aussi difficilement protégés par un droit de dessin et modèle.
Mais même à défaut de droits d’auteur ou de droits de dessins et modèles, les créateurs peuvent lutter contre la reprise de leurs pièces iconiques par des concurrents en leur reprochant des actes de concurrence déloyale.
Van Cleef & Arpels reprochait à Louis Vuitton de commercialiser une gamme de bijoux « Blossom », dont certains utilisent un motif de trèfle quadrilobé en pierre dure semi-précieuse entourée d’un contour en métal précieux – autrement dit un motif de trèfle à 4 feuilles contouré – qui parasiterait la gamme de bijoux « Alhambra » commercialisée par Van Cleef & Arpels depuis plus d’un demi-siècle.
Alhambra
Van Cleef & Arpels |
Blossom Louis Vuitton |
Céline reprochait quant à elle au groupe Mango d’avoir repris, depuis juin 2017, plusieurs modèles de lunettes, boucles d’oreille, sacs, portefeuilles et ceintures qu’elle avait créés.
Si en première instance le trèfle à quatre feuilles de Van Cleef & Arpels lui avait porté chance car le Tribunal de commerce de Paris avait condamné Louis Vuitton à cesser toute commercialisation de sa gamme de bijoux « Blossom » et à indemniser Van Cleef & Arpels de plus de 300.000 euros (T. com. Paris, 4 oct. 2021, n° J2021000388), sa chance n’a pas duré puisque la Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement et absout de tout reproche Louis Vuitton.
En des termes similaires dans les deux arrêts, la Cour d’appel rappelle que « le principe de la liberté du commerce implique qu’un produit qui n’est pas l’objet de droits privatifs peut être librement reproduit et commercialisé », à condition toutefois de ne pas se livrer à des actes de parasitisme, qui « consistent, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis » (CA Paris, 20 mars 2014, n° 12/02256). Sont par exemple sanctionnés le profit effectué à partir du travail d’autrui ou l’absence d’efforts de l’auteur du parasitisme, qui n’a ni investi ni pris de risques (CA Paris, 8 sept. 2004, n° 04/09673).
Pour écarter la concurrence déloyale reprochée à Louis Vuitton, la Cour se penche sur quatre principaux points, qui seraient selon Van Cleef & Arpels autant d’éléments caractéristiques des agissements parasitaires incriminés :
- L’origine du motif « Blossom » incriminé: Louis Vuitton a en fait initialement repris son motif de fleur quadrilobée pour l’adapter aux tendances du marché.
- La comparaison des motifs quadrilobés: Les motifs quadrilobés en question ne sont pas strictement identiques, sachant qu’ils sont par ailleurs connus et usuels dans le domaine de la joaillerie et que Louis Vuitton associe la plupart du temps le motif quadrilobé incriminé à son motif floral « pointu » caractéristique de la Maison. Par ailleurs, les bijoux des gammes « Blossom » et « Alhambra » dont Van Cleef & Arpels opère une comparaison présentent en fait de nombreuses différences (dans leur matériau, dans leur sous-gamme, dans leur nature, dans leur taille, etc.).
- Les prix de vente: Les prix pratiqués par Louis Vuitton ne sont pas nécessairement inférieurs de 17 % à ceux pratiqués par Van Cleef & Arpels dans un but de détourner de la clientèle. En fait, les prix de la gamme « Blossom » varient et sont cohérents avec les prix usuels de la Maison.
- Les campagnes publicitaires: Les campagnes publicitaires et marketing de Louis Vuitton relatives à sa gamme « Blossom » diffèrent de celles de la gamme « Alhambra » de Van Cleef & Arpels, Louis Vuitton n’ayant pas rompu avec le style et l’esthétisme de ses campagnes habituelles.
En revanche, pour retenir la concurrence déloyale reprochée au groupe Mango, la Cour se montre autrement plus lapidaire : le groupe Mango a repris de nombreux modèles phares de Céline qui bénéficient d’une certaine notoriété et qui constituent ainsi des valeurs économiques individualisées. Cette reprise est d’autant plus illicite que le groupe Mango a commercialisé les modèles litigieux peu de temps après que Céline les a présentés en défilés ou ait lancé leur commercialisation et leur promotion.
De ce fait, le groupe Mango a accumulé les reprises dans le but de permettre à sa clientèle de se constituer, à moindre coût, une garde-robe Céline.
Finalement, c’est Céline qui touche le jackpot car tant en première instance que devant la Cour d’appel, elle a fait condamner le groupe Mango.
Elle a même réussi à faire augmenter la condamnation de celui-ci, passant de 1.500.000 d’euros devant le Tribunal de commerce. (T.com. Paris, 20 sept. 2021, n° 2018026040), à 2.000.000 euros devant la Cour d’appel.