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Juin – Août 2020
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La lettre d’information en bref
- La CJUE autorise la « révision » de la déclaration en douane pour modifier le mode de représentation entre les intervenants à l’opération de dédouanement ;
- La CJUE permet également la « révision » de la déclaration en douane, dans une affaire dans laquelle la Douane avait validé le classement tarifaire que l’importateur estimait erroné, lors d’un contrôle physique d’une précédente importation de la même marchandise ;
- La CJUE précise dans quelles « circonstances exceptionnelles » un opérateur peut demander une autorisation rétroactive de recourir au régime de la destination particulière ;
- La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) statue sur l’inclusion dans la valeur en douane d’une partie de redevances versées par une société à sa maison mère en contrepartie de la fourniture d’un savoir-faire ;
- La Cour de cassation précise les délais pour formuler des demandes de remboursement de droits de douane, les textes applicables et fixe le point du départ du calcul des intérêts en cas de remboursement.
Le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL), juridiction pénale internationale instituée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, a rendu le 18 août 2020 son jugement dans le procès de l’attentat contre l’ancien premier ministre libanais, Rafic Hariri, survenu le 14 février 2005.
Le procès s’était ouvert à La Haye en janvier 2014 pour s’achever en septembre 2018.
Au cours de ces années, le Tribunal avait reçu les témoignages de 269 témoins, dont 119 à l’audience, ainsi que de nombreux experts.
Les juges ont acquitté à l’unanimité l’accusé dont Vincent Courcelle-Labrousse assurait la défense.
Par deux arrêts rendus le 16 juillet 2020, la CJUE a interprété l’article 78 § 3 du code des douanes communautaire qui permet de procéder à la « révision de la déclaration » après l’octroi de la mainlevée des marchandises.
Son § 3 énonce « Lorsqu’il résulte de la révision de la déclaration ou des contrôles a posteriori que les dispositions qui régissent le régime douanier concerné ont été appliquées sur la base d’éléments inexacts ou incomplets, les autorités douanières prennent dans le respect des dispositions éventuellement fixées, les mesures nécessaires pour rétablir la situation en tenant compte des nouveaux éléments dont elles disposent ».
Dans les deux cas, des demandes de « révision » avaient été déposées par les importateurs :
- Dans la première affaire Pfeifer & Langen (C-97/19), il s’agissait d’une importation de sucre de canne originaire du Brésil destiné à être raffiné en Allemagne.
La marchandise avait été achetée par une société roumaine, filiale de la société allemande Pfeifer & Langen, fabricant de sucre.
Un certificat d’importation avait été délivré à la société roumaine, autorisant un taux de droits réduit.
La société allemande avait déclaré ce sucre pour la mise en libre pratique, en Allemagne, en son nom propre. L’importateur avait néanmoins remis à l’administration une copie du mandat donné par la société roumaine pour se faire représenter en douane par la société allemande.
Toutefois, la déclaration avait été mal remplie et la société allemande n’apparaissait pas comme le mandataire de la société romaine.
Pfeifer & Langen se serait fiée à un renseignement oral erroné d’un fonctionnaire des douanes allemandes, qui aurait indiqué que la société pouvait déclarer en son nom et pour son propre compte.
Constatant son erreur, la société allemande avait demandé la « révision » de la déclaration pour voir constater qu’elle agissait en tant que représentant indirect de la société roumaine (en son nom propre mais pour le compte d’autrui).
L’administration allemande avait toutefois décidé que la société allemande, agissant en son nom et pour son propre compte, ne pouvait pas utiliser le certificat d’importation accordé à la société roumaine.
Sur le plan juridique, la CJUE a considéré que l’article 78 n’interdisait pas de formuler cette demande de « révision ». En effet, comme elle l’indique l’économie de l’article 78 « consiste à aligner la procédure douanière sur la situation réelle » (point 32).
La CJUE considère que cet article « n’établit pas de distinction entre des erreurs ou des omissions qui seraient susceptibles de correction et d’autres situations de ce type qui ne le seraient pas. Les termes ‘éléments inexacts ou incomplets’ doivent être interprétés comme couvrant à la fois des erreurs ou des omissions matérielles et des erreurs d’interprétation du droit applicable » (point 36).
Au cas précis, la CJUE a jugé que l’article 78 du CDC était applicable « dans une situation où le mandataire est en mesure, y compris après la mainlevée des marchandises, de présenter le mandat par lequel il lui avait été donné instruction de présenter la déclaration en douane » (point 43).
En suivant les conclusions de l’avocat général, la CJUE considère qu’en définitive la demande de révision ne peut emporter aucun risque de fraude. En effet, il s’agit de permettre à la société roumaine de bénéficier de l’avantage auquel elle aurait eu droit si la déclaration avait mentionné d’emblée que la société allemande agissait pour le compte de la société roumaine. La CJUE a statué en faveur de la société allemande.
- Dans la seconde affaire Antonio Capaldo SpA (C-496/19), une société italienne avait importé de Chine des pavillons de jardin comportant, pour certains, une structure en fer, et pour d’autres, une structure en aluminium. Dans les deux cas, l’importateur avait retenu une position tarifaire (6306 12 00 00 — 12%).
A la suite d’un audit externe, la société avait constaté que la position était inexacte. Il aurait fallu utiliser une position 7308 90 pour l’une et 7610 90 pour l’autre, avec des taux nuls ou plus faibles.
La société avait donc demandé la « révision » de ses déclarations et le remboursement des droits payés en trop. L’administration s’y opposait en considérant qu’une importation du même type avait fait l’objet d’une inspection physique et que la position retenue par le service (non précisée dans l’arrêt mais correspondant sans doute aux déclarations initiales) n’avait pas été contestée par le commissionnaire ni l’importateur.
La CJUE a fait prévaloir l’objectif de l’article 78 de rétablir la situation pour que la déclaration en douane corresponde à la réalité.
Elle a jugé que la validation du premier classement tarifaire, lors d’un précédent contrôle physique, ne faisait pas obstacle à une demande de « révision » sur la base de nouveaux éléments, s’il apparaissait que ce classement tarifaire était erroné.
En l’occurrence, cette décision est favorable à l’importateur. Toutefois, cette jurisprudence confirme que l’administration a une grande liberté dans le cadre de la « révision » des déclarations. Son comportement procédural au moment du dédouanement n’entrave aucune possibilité de « révision ».
Par un arrêt Unipack AD du 9 juillet 2020 (C-391/19), la CJUE a rendu l’une de ses premières décisions sur le code des douanes de l’Union (règlement n° 952/2013 du 9 octobre 2013).
Un importateur bulgare d’emballages constitués en partie de feuilles en aluminium avait obtenu un Renseignement Tarifaire Contraignant (RTC) favorable en septembre 2015. Toutefois, le code tarifaire désigné sur le RTC avait été supprimé le 1er juin 2016, rendant le RTC caduc.––
La société ne s’était pas aperçue de cette situation et avait continué à utiliser le code tarifaire TARIC visé sur le RTC (7607 11 19 90).
Lors d’une nouvelle importation, en 2017, la société changeait de code TARIC puis l’administration diligentait un redressement et imposait un troisième code TARIC (7607 11 19 30) qui rendait la marchandise passible de 30 % de droits antidumping.
Dès lors que certaines utilisations de la marchandise étaient exemptées de ces droits lorsque le régime de la destination particulière avait été sollicité, la société importatrice formulait une demande pour recourir à ce régime. L’administration accordait l’autorisation, mais sans rétroactivité.
La société demandait que ce régime trouve à s’appliquer rétroactivement à compter de ses importations de juin 2017. Elle se prévalait de l’existence des « circonstances exceptionnelles » prévues par l’article 172 du règlement délégué d’application du CDU n° 2015/2446 du 28 juillet 2015, permettant de faire rétroagir l’autorisation jusqu’un an avant la date de la décision.
L’importateur estimait à un triple titre relever de ces « circonstances exceptionnelles » :
- il avait été mis fin à la validité du RTC précédemment accordé en raison de modifications apportées à la nomenclature,
- 9 importations avaient eu lieu pendant 10 mois après la fin de validité du RTC avec un code TARIC erroné sans critique de la douane et,
- la marchandise avait été utilisée à une fin exemptée du droit antidumping, dès lors qu’elle avait servi à fabriquer un produit qui relevait d’un secteur économique communautaire autre que celui protégé par le droit antidumping.
La CJUE a statué de manière sévère mais prévisible sur les deux premiers points ; en effet, il résulte de sa jurisprudence qu’un opérateur prudent et diligent doit suivre les évolutions de la règlementation et en tirer les conséquences ; il ne peut pas s’abriter derrière la carence de l’administration pour se soustraire à son obligation de diligence.
En revanche, sa décision sur le troisième point apparait plus critiquable.
La CJUE reconnait certes que la marchandise n’a pas été utilisée pour des finalités qui la rendraient passible du droit antidumping (fabrication de feuilles d’aluminium en rouleau pour recouvrir les aliments).
Elle juge toutefois qu’il fallait suivre avant le dédouanement la procédure prévue pour bénéficier de l’exemption du droit antidumping en demandant le bénéfice du régime de la destination particulière.
Ainsi, le manquement à une obligation de forme conduit un importateur à acquitter une dette douanière de droits antidumping, alors même que son importation n’a porté aucun préjudice aux intérêts économiques communautaires que ce droit a pour fonction de protéger.
Dans un arrêt Curtis Balkan EOOD du 9 juillet 2020 (C-76/19), la Cour de justice de l’Union européenne a statué sur l’inclusion dans la valeur en douane de redevances payées par une société filiale à sa maison- mère américaine.
La filiale avait conclu avec sa société mère, d’une part un contrat portant sur le droit d’utiliser un brevet pour la fabrication d’indicateurs de stock de carburant et des kits de fabrication de régulateurs de vitesse pour les véhicules, d’autre part un contrat portant sur la fourniture de services de gestion par la maison mère de toute l’activité opérationnelle de sa filiale (gestion, marketing, publicité, ressources humaines, etc.).
Dans le cadre du contrat de brevet, la filiale payait une redevance de 10 % du prix net de la vente des produits fabriqués dans l’Union européenne à sa maison mère.
Dès lors qu’une partie des composants servant à fabriquer les produits finis était importée, la douane bulgare avait considéré qu’une fraction de la redevance devait être ajoutée à la valeur en douane par application de l’article 32 § 1 c) du code des douanes communautaire (ancien code règlement n° 2913/92 du 12 octobre 1992) et des articles 157 et 158 § 1 et 3 et 160 du règlement d’application dudit code n° 2454/93 du 2 juillet 1993.
Le problème principal consistait donc dans le fait que la redevance s’appliquait lors de la vente des produits finis dans lesquels se trouvaient des composants importés (assiette du redressement) et des produits communautaires non concernés. L’autorité bulgare était d’accord pour faire un ajustement proportionnel limité aux composants importés.
La société bulgare avait contesté le redressement et obtenu gain de cause devant le tribunal administratif de Sofia qui avait considéré que les deux conditions d’incorporation -même partielle- de la redevance à la valeur en douane n’étaient pas remplies, à savoir que (i) les redevances n’étaient pas en relation avec les marchandises à évaluer et que (ii) le paiement des redevances ne constituait pas une condition de la vente des marchandises importées.
L’administration, ayant maintenu sa position, a formé un pourvoi devant la Cour suprême bulgare qui a décidé de saisir la CJUE.
Cette affaire est typique des difficultés que pose l’inclusion de redevances et/ou droits de licence à la valeur en douane, comme en témoignent les onze questions préjudicielles dont la Cour suprême avait saisi la Cour de justice.
La CJUE avait déjà tranché un cas similaire dans un arrêt GE Healthcare du 9 mars 2017 (C-173/15).
La CJUE y a répondu en utilisant toutes les ressources du « corpus juridique » de l’évaluation en douane, qui va bien au-delà des règlements communautaires. Elle a ainsi utilisé un « commentaire » n° 3 du comité du code des douanes communautaire (section de la valeur en douane). La CJUE considère ce texte (expertise à valeur non normative), comme un « outil valable » pour l’interprétation des règles.
Un examen détaillé de chaque condition a été fait par la CJUE (points 35 à 69), pour déterminer si la redevance devait être incluse. La CJUE penche pour l’affirmative, au moins partiellement.
En définitive, c’est sur la base de quatre critères que la juridiction suprême bulgare devra finaliser son examen du litige (point 70) :
« – les redevances n’ont pas été incluses dans le prix effectivement payé ou à payer pour lesdites marchandises ;
– elles se rapportent aux marchandises importées, ce qui suppose qu’il existe un lien suffisamment étroit entre les redevances et ces marchandises ;
– le paiement des redevances constitue une condition de la vente desdites marchandises, de sorte que, en l’absence de ce paiement, la conclusion du contrat de vente portant sur les marchandises importées et, par conséquent, leur livraison, n’auraient pas eu lieu et,
– il est possible d’effectuer une répartition appropriée des redevances sur la base de données objectives et quantifiables ».
La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts concernant la même société le 24 juin 2020 (pourvois 18-10.464 et 18-10.535 publiés au Bulletin).
Il s’agissait d’importations d’écrans à cristaux liquides à usage informatique.
A la suite d’un contrôle a posteriori, l’administration des douanes avait contesté la position tarifaire déclarée (8471) et reclassé ces écrans sous la position 8528 par quatre procès-verbaux d’infraction en 2005, 2007 et 2009. La société s’était pliée au classement retenue par l’administration pour d’autres importations identiques de 2006 à 2009.
Par un arrêt du 19 février 2009 Kamino International Logistics (C-376/07), la CJUE avait toutefois jugé que les « moniteurs » susceptibles de reproduire des signaux provenant d’une « machine automatique de traitement de l’information », mais également d’autres sources, relevaient de la position 8471.
La société avait déposé une demande de remboursement le 21 octobre 2010 concernant les importations souscrites pendant les années 2006 à 2009. L’administration avait accepté de rembourser les droits acquittés depuis le 21 octobre 2007.
L’enjeu du débat portait donc sur les restitutions de droits acquittés auparavant.
La Cour de cassation a rejeté un moyen, déjà écarté par l’arrêt de la Cour d’appel, tiré du « principe de l’égalité des armes » et de l’article 354 du code des douanes, à savoir que le redevable était en droit de fonder sa demande sur les interruptions de la prescription résultant des procès-verbaux.
Une seconde question de principe avait été posée sur l’applicabilité de l’article 352 ter du Code des douanes : « Lorsque le défaut de validité d’un texte fondant la perception d’une taxe recouvrée par les agents de la DGDDI a été révélé par une décision juridictionnelle, l’action en restitution (…) ne peut porter, sans préjudice des dispositions de l’article 352 bis, que sur la période postérieure à la troisième année précédant celle au cours de laquelle cette décision est intervenue » (rédaction lors du litige).
L’importateur soutenait que ce texte était applicable aux droits de douane, de sorte que la décision de la CJUE de 2009 rouvrait la possibilité de réclamer le remboursement pour 2006, 2007 et 2008.
La chambre commerciale a également écarté cette argumentation et fait prévaloir l’article 236 du code des douanes communautaire qui prévoit un délai de trois ans de date à date, sans qu’une décision de la CJUE puisse constituer un nouveau point de départ (en ce sens CJUE CIVAD C-533/10 du 14 juin 2012).
Il fallait donc déposer une demande de remboursement dans le premier délai triennal après le dédouanement aux motifs que « c’est sans confondre les délais accordés aux redevables pour présenter une réclamation et exercer l’action en répétition prévue par l’article 236 du CDC que la Cour d’appel a retenu que ces dernières dispositions constituaient une loi spéciale dérogeant aux principe et délai de la répétition de l’indu prévus par le code civil et leur a ainsi fait produire leur plein effet ».
Toutefois, la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel sur le point de départ du calcul des intérêts qui n’était pas la date de l’assignation en justice (selon la Cour d’appel). Il fallait retenir la date du paiement du principal (cf. en ce sens l’arrêt Wortmann du 18 janvier 2017 de la CJUE, C-365/15, cf. notre Lettre d’information n° 23).