Newsletter
Septembre – Décembre 2020
Télécharger le PDF
La lettre d’information en bref
- La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) fait la première application du nouvel article 124 du Code des Douanes de l’Union qui valide l’extinction de la dette douanière dans certaines circonstances, en l’occurrence une application du régime de perfectionnement actif ;
- La CJUE précise les « éléments de taxation » à prendre en compte en cas de mise en libre pratique après un perfectionnement actif ;
- La CJUE confirme l’inclusion de la valeur d’un logiciel dans l’assiette des droits de douane ;
- La CJUE inclut dans cette assiette une somme due par un importateur UE à son vendeur en rémunération d’un droit de distribution exclusive concédé par le vendeur ;
- La Cour de cassation applique strictement le régime du perfectionnement passif en présence d’une dissociation entre l’exportateur du produit (pour transformation hors UE) et la société qui le réimporte après cette opération ;
- La CJUE délimite l’exonération de taxation accordée aux raffineries pétrolières autoconsommant leurs produits énergétiques ;
- La Cour de cassation confirme sa jurisprudence sévère sur la preuve de la « bonne foi » qu’un prévenu doit rapporter pour être relaxé des sanctions douanières pénales.
- Les principales nouveautés de la loi de finances pour 2021 sont présentées concernant la matière douanière. De nouveaux transferts de droits et taxes recouvrés par la Douane sont prévus vers la Direction Générale des Finances Publiques.
La CJUE a rendu deux décisions et la Cour de cassation une troisième sur les difficultés pouvant résulter des régimes de perfectionnement conduisant une marchandise à être temporairement importée dans l’UE pour transformation (perfectionnement actif – « PA ») ou exportée de l’UE avant réimportation (perfectionnement passif).
- Par un arrêt Exter du 8 octobre 2020 (C-330/19), la CJUE a examiné la taxation d’un produit importé en suspension de droits de douane sous PA, en présence d’une mise en libre pratique. Il est rappelé qu’à la fin de la transformation, le produit est en principe réexporté, mais peut également être dédouané par mise en libre pratique avec paiement des droits.L’opérateur avait importé des produits, relevant du chapitre 21 de la nomenclature pour leur faire subir une transformation, placés sous PA. Une partie des produits avait fait l’objet d’une mise en libre pratique. Or, à la date du placement (2012), le produit bénéficiait d’une préférence tarifaire relevant du système des préférences généralisées, qui n’existait plus lors de la mise en libre pratique en 2014.La Douane néerlandaise avait donc décidé d’appliquer le taux normal, tandis que l’opérateur se prévalait de l’article 121 § 1 du code des douanes communautaire (CDC) : « lorsqu’une dette douanière naît, le montant de cette dette est déterminé sur la base des éléments de taxation propres aux marchandises d’importation au moment de l’acceptation de la déclaration de placement de ces marchandises sous le régime du perfectionnement actif. »La CJUE a néanmoins refusé d’inclure les taux de droits parmi la notion des « éléments de taxation », qui ne comprend donc que les données concernant la valeur, l’origine, le classement tarifaire, ou la quantité de la marchandise.
La CJUE a fait sien l’argument de la Commission européenne critiquant le maintien du taux réduit pour l’importateur mettant en libre pratique un produit issu d’un PA après l’expiration d’une mesure tarifaire préférentielle. En effet, cet opérateur aurait un avantage injustifié par rapport à ses concurrents tenus d’acquitter désormais pleinement le droit de douane.
- Dans la seconde décision également du 8 octobre 2020 Combinova (C-476/19), la CJUE intervenait sur un perfectionnement actif concernant des appareils importés pour être réparés et étalonnés. La marchandise avait été réexportée avant la date prévue, mais l’importateur avait adressé à l’autorité son décompte de perfectionnement avec retard.Une dette douanière était alors née sur le fondement de l’article 79 du Code des Douanes de l’Union. Toutefois l’importateur se prévalait de l’article 124 du CDU qui prévoit plusieurs cas d’extinction de la dette douanière, dont certains sont nouveaux et ont pour objectif de remédier au caractère trop formaliste des cas de naissance de la dette douanière.Ainsi, entre autres cas, la dette douanière s’éteint « lorsque sous réserve du paragraphe 6[commission de manœuvres], la dette douanière est née en vertu de l’article 79 et que la preuve est fournie, à la satisfaction des autorités douanières, que les marchandises n’ont pas été utilisées ou consommées et qu’elles sont sorties du territoire douanier de l’Union. » Le juge national suédois s’interrogeait sur la notion de « marchandise non utilisée » (art 124 du CDU § 1 point k).La CJUE a suivi le pragmatisme nouveau du législateur et considéré que « s’agissant des marchandises placées sous ce régime, l’utilisation des marchandises à laquelle se réfère l’article 124, paragraphe 1, sous k), du code des douanes doit nécessairement être comprise comme visant seulement l’utilisation allant au-delà des opérations de transformation autorisées par les autorités douanières. » (point 35).
A l’inverse, si une marchandise est utilisée conformément à l’autorisation, dans des conditions n’appelant donc pas la naissance d’une dette douanière, l’extinction est possible. La CJUE confirme que l’article 124 du CDU s’applique à tous les régimes douaniers (point 37).
- Dans une troisième décision émanant cette fois de la chambre commerciale de la Cour de cassation, du 14 octobre 2020 (pourvoi n° 18-11.020), la gestion d’un perfectionnement passif était en cause. Du gel amincissant produit en France avait été exporté de France vers Hong-Kong par une société et réimporté après conditionnement en tubes, par une autre société. La Douane avait redressé les réimportations de cette seconde société, aux titres des droits de douane et de la TVA à l’importation. Le pourvoi de la société a été rejeté.D’une part, il a été jugé que l’exonération de TVA était perdue, dès lors que « l’exonération de TVA accordée dans le cadre du régime de perfectionnement passif impose une identité entre l’exportateur initial et l’importateur du produit fini lorsque seul l’exportateur a obtenu une autorisation de l’administration des douanes. »D’autre part, concernant les droits de douane, la Douane avait appliqué une méthode d’évaluation de l’assiette des droits, fondée sur la différence entre la valeur au départ du gel en vrac et celle à l’arrivée du gel en tubes. Cette méthode était moins favorable que les méthodes dites « différentielle » ou « sur les plus-values » prévues par le code des douanes communautaire. La Cour de cassation a jugé néanmoins que seule la société exportatrice aurait pu demander à bénéficier d’une de ces méthodes et validé l’arrêt d’appel, refusant de saisir la CJUE.
Dans deux arrêts, la CJUE a affiné sa jurisprudence sur les éléments à ajouter à la valeur « transactionnelle » déclarée en douane.
- Dans un premier arrêt BMW du 10 septembre 2020 (C-509/19), la CJUE a statué sur des logiciels créés par BMW pour tester des unités de commandes pilotant les systèmes informatiques embarqués dans les véhicules.Le logiciel était mis à disposition des fabricants non UE de ces unités de commandes mais ne faisait l’objet d’aucune inclusion dans la valeur déclarée. La Douane allemande le qualifiait « d’apport » fait par l’acheteur au vendeur, taxable conformément à l’article 71 § b du CDU.La jurisprudence sur la valeur en douane est extensive pour que « la valeur en douane reflète la valeur économique réelle d’une marchandise importée et dès lors [doit] tenir compte de l’ensemble des éléments de cette marchandise qui présentent une valeur économique » (point 13). La CJUE avait déjà inclus la valeur des logiciels dans l’arrêt Compaq du 16 novembre 2006 (C-306/04). L’administration a été suivie par la CJUE qui a rappelé que le caractère immatériel du logiciel ne faisait pas obstacle à son inclusion dans la valeur en douane comme « apport ».La question se posait ensuite s’il s’agissait d’un apport de bien immatériel qui serait taxable car faisant « partie intégrante des produits finaux, étant donné qu’ils y sont connectés ou incorporés et rendent possible leur fonctionnement ou l’améliorent », « y ajoutent une nouvelle fonctionnalité et contribuent ainsi sensiblement à la valeur des marchandises importées », sur le fondement du point i) de l’article 71 b du CDU). Une hésitation était permise par rapport à la qualification de « travaux d’ingénierie nécessaires à la production de la marchandise » (point iv) ibidem).
La CJUE a tranché en faveur de la première réponse en se fondant sur une des « conclusions » (n° 26) du comité du Code des Douanes dont elle rappelle que « si elles sont dépourvues de force obligatoire, n’en constituent pas moins des moyens importants pour assurer une application uniforme du code des douanes » (point 21).
La Cour précise qu’ « il ne saurait être admis que des parties puissent se prévaloir de dispositions contractuelles en vue de limiter les possibilités de correction prévues au titre de l’article 71, paragraphe 1, sous b), du code des douanes,… » ; la Cour ajoute que « la correction, en application de l’article 71, paragraphe 1, sous b), du code des douanes, de la valeur en douane d’une marchandise importée repose sur des critères objectifs et ne saurait être affectée par des dispositions contractuelles. » (point 22)
- Dans la seconde décision 5th Avenue Products Trading GmbH du 19 novembre 2020 (C-775/19), la CJUE était saisie d’une question préjudicielle concernant un contrat de distribution de cigares cubains en Allemagne et en Autriche. L’importateur bénéficiait d’un contrat d’exclusivité limité au territoire de l’Autriche. La Douane allemande prétendait que la somme payée dite « compensation » par l’importateur au vendeur cubain (25 % du chiffre d’affaires en Autriche) pour cette exclusivité, était assimilable à un droit de propriété intellectuelle au sens de l’article 32 § 1 c) du CDC alors applicable, à ajouter à l’assiette des droits de douane.Interrogée sur ce seul point par le juge national, la CJUE a répondu par la négative. La « compensation » n’est ni une « redevance » ni un « droit de licence » qui ne peuvent couvrir que « les paiements effectués par un acheteur à un vendeur au titre de l’usage des droits de propriété intellectuelle » (point 29).Pour aider le juge national, la CJUE a examiné une requalification au regard de la valeur transactionnelle à déclarer, à savoir la détermination du « prix effectivement payé ou à payer » ; des versements complémentaires sont à inclure s’il s’agit d’une « condition de la vente », au sens de l’article 29 § 3 du CDC (désormais 70 § 2 du CDU).Cet arrêt a conféré à cette notion de « condition de la vente » la même portée qu’en matière de redevance et de droit de licence pour assurer la cohérence d’application du code (points 40-42 renvoyant à l’arrêt GE Healthcare du 9 mars 2017 C-173/15). La CJUE a considéré que ce paiement avait été exigé par le vendeur comme condition pour la distribution exclusive en Autriche et devrait donc être inclus (points 44-45).
Deux points de fait, à savoir que la « compensation » était seulement exigée dans un contrat-cadre » et qu’elle ne devait s’appliquer que pendant quatre années, ont été jugés sans incidence.
Deux décisions ont été rendues concernant la taxation des produits énergétiques et de l’électricité.
- Par un arrêt Repsol du 3 décembre 2020 (CF-44/19), la CJUE a statué sur le « régime des utilités ».Ce régime permet d’exonérer au sein d’une raffinerie des autoconsommations de produits énergétiques, quand elles aboutissent à l’obtention d’autres produits énergétiques destinés à être utilisés comme carburants ou combustibles. Cependant, ces productions comportent des produits « fatals » obtenus de manière inhérente au processus.En l’occurrence, il s’agissait de soufre obtenu après désulfuration des produits pétroliers pour des fins environnementales. L’administration espagnole entendait taxer la fraction des produits énergétiques autoproduits qui était utilisée pour obtenir le soufre, lequel avait une valeur économique.La société pétrolière espagnole Repsol opposait l’exonération prévue par l’article 21 § 3 de la directive sur la taxation de l’énergie et de l’électricité n° 2003/96/CE du 27 octobre 2003.
La société n’a pas été suivie. La CJUE a jugé que le caractère « fatal » de la production était sans importance. L’essentiel était que ces produits obtenus fussent valorisés et la directive strictement appliquée. Si l’on suivait la société, une « lacune » apparaitrait dans la taxation (point 38), puisque certaines utilisations de produits énergétiques ne seraient pas taxées, selon la Cour.
La CJUE a donc retenu une application stricte de ce que la pratique dénomme le « régime des utilités » au nom de « l’intégrité du régime de taxation harmonisée » (point 40) et pour éviter des « distorsions de concurrence » (point 37). Il faut donc pratiquer un calcul pour identifier les produits énergétiques concernés et exonérer les produits qui servent à fabriquer des produits destinés à servir de carburants ou combustibles, qui seront taxés une seule fois lors de ces usages.
- Par un arrêt du 20 octobre 2010 (req. 19VE04358), la Cour administrative d’appel de Versailles a tiré les conséquences de l’arrêt du Conseil d’Etat dans l’affaire UPM, déjà commentée dans nos Lettres d’information n° 27 (mars-mai 2018) et n° 31 (septembre-décembre 2019).La société UPM avait acquitté de la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) pour la période 2004-2006 au titre de gaz naturel employé pour sa production d’électricité.Cependant, elle n’avait pas pu profiter de l’exonération obligatoire de la taxe instaurée par l’article 14 § 1 a) de la directive de 2003 en cas de production d’électricité.Suivant l’arrêt du Conseil d’Etat, la Cour administrative d’appel a considéré que la transposition tardive de la directive de 2003 en décembre 2007, alors qu’elle aurait dû intervenir le 1er janvier 2004, était fautive et engageait la responsabilité de l’Etat.
Le préjudice est le montant de TICGN acquitté pendant les années 2004-2006, la TICGN acquittée en 2007 ayant fait l’objet d’un remboursement par l’administration. Le marathon judiciaire de la société UPM (papetier) atteint sa ligne d’arrivée (dix ans de procédure).
La chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 21 octobre 2020 (pourvoi n° 18-86.103) dans lequel elle confirme sa jurisprudence sévère sur la « bonne foi ».
Comme elle l’indique d’emblée, il résulte de l’article 392 du Code des douanes, tel qu’interprété en jurisprudence, que « le détenteur de la marchandise est réputé responsable de la fraude. Il ne peut combattre cette présomption qu’en rapportant la preuve de sa bonne foi. »
Une société avait importé des cigarettes en Guadeloupe, mais n’avait pas tenu compte du tarif des droits d’accise, fixé par le département dans les DOM. Le tarif n’avait été ni publié au bulletin départemental, ni notifié aux opérateurs.
L’importateur avait été relaxé par la Cour d’appel de Basse-Terre, qui avait jugé qu’il avait rapporté la preuve de sa bonne foi.
Cette décision est censurée par la Cour de cassation au motif qu’« il n’est pas relevé [par la Cour d’appel] que la prévenue [l’importateur], qui ne pouvait ignorer qu’aux termes de l’article 268 du code des douanes les bases de calcul des droits de consommation applicables aux marchandises importées sont fixées par délibérations du conseil général de Guadeloupe, ait rapporté la preuve qu’en l’absence de notification ou de publication de ces délibérations, aucune autre diligence ne pouvait être effectuée afin d’en obtenir communication. »
Pour faire bonne mesure, un motif supplémentaire de relaxe, tiré du paiement postérieur des droits éludés, a été également censuré : « le paiement des droits éludés et des majorations appliquées est inopérant à établir la bonne foi de la prévenue au moment de la commission des faits. »
La Cour de cassation souligne que l’intervention d’un commissionnaire en douane « qui n’implique pas nécessairement la bonne foi du mandant, ne saurait suffire à l’exonérer de sa responsabilité pénale. »
La jurisprudence sur la bonne foi est donc confirmée dans sa sévérité. Etrange notion juridique que cette « bonne foi » qui n’est pas une « intention » au sens de la procédure pénale où la preuve de l’intention incombe à la partie poursuivante, à l’inverse du droit douanier.
Depuis bien longtemps, la jurisprudence pénale douanière n’examine plus ce que le prévenu savait ou voulait faire, mais ce qu’il a fait, les renseignements qu’il a pris et les diligences dont il a fait montre pour lever tout doute qu’il devait avoir, en bref, ce qu’il aurait dû, savoir, faire ou vérifier.
En l’occurrence, la Cour de cassation se caricature quelque peu. Il est en effet très contestable de sanctionner pénalement un opérateur quand l’administration a failli à son obligation élémentaire d’information en temps et en heure sur les textes servant de base de taxation !
Nous commenterons la loi de finances pour 2021 dont les débats parlementaires viennent de se terminer. Les principales modifications concernant les règles douanières sont les suivantes :
- Transfert du recouvrement de la fiscalité pétrolière à la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP) en 2024 (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, taxe spéciale de consommation dans les DOM, taxe incitative relative à l’incorporation des biocarburants dite « TIRIB ») ;
- Simplification de la taxation de l’électricité actuellement régie par le Code général des collectivités territoriales et le Code des douanes (transfert en 2022 de la taxe intérieure de consommation finale d’électricité à la DGFIP);
- Réforme des taxes sur les véhicules à moteur ;
- Refonte du régime d’immatriculation et de francisation des navires dans le code des transports et transfert du recouvrement du droit annuel de francisation et de navigation et du droit de passeport en 2022 au ministère chargé de la mer et à l’administration fiscale ;
- Renforcement des incitations à l’utilisation des énergies renouvelables dans le transport (modifications de la TIRIB) ;
- Modification et harmonisation des règles de recouvrement forcé des créances douanières.